Malgré les efforts de prévention et de lutte contre le VIH, le virus continue de faire des ravages. Toutefois, les essais cliniques sont prometteurs, notamment ceux portant sur des traitements préventifs efficaces qui ouvrent la voie vers une possible réduction des infections.
Grâce à ces avancées, l’objectif d’éradiquer l’épidémie d’ici 2030 semble envisageable, bien que des obstacles subsistent comme vont le décrypter ces trois experts.
En 2022, encore 39 millions de personnes vivaient avec le VIH à travers le monde et 1,3 million de nouveaux cas ont été enregistrés malgré les nombreuses politiques de prévention, de dépistage et de soins déployées. Les derniers progrès thérapeutiques permettront-ils le déclin de l’épidémie de VIH, voire à terme l’éradication du virus ?
Trois spécialistes en infectiologie à l’Inserm livrent leur point de vue.
Dans un essai clinique mené en Afrique du Sud et en Ouganda auprès de 5 300 jeunes femmes de 16 à 25 ans, celles ayant reçu deux injections annuelles d’un nouveau traitement anti-rétroviral, le lénacapavir, sont restées indemnes de toute infection avec zéro cas de contamination au cours des premiers mois de suivi.
À tel point que l’ensemble des participantes des groupes contrôles, dans lesquels plusieurs dizaines d’infections avaient été enregistrées, se sont vues proposer le lénacapavir.
Grâce à l’amélioration des traitements préventifs (prophylaxie pré-exposition, ou PrEP) destinés à protéger les personnes séronégatives, la perspective d’une cassure de la courbe d’infection par le VIH devient envisageable. L’Onusida vise d’ailleurs à « en finir avec l’épidémie de sida comme menace de santé publique d’ici à 2030 ».
Mais parviendra-t-on à mettre fin à l’épidémie de Sida ?
Jade Ghosn : un fossé encore important entre la théorie et la pratique
Jade Ghosn est chercheur Inserm au laboratoire Infection, antimicrobien, modélisation, évolution (unité 1137 Inserm) et praticien à l’AP-HP Nord à Paris.
Techniquement, nous avons les moyens de contrôler l’infection chez les personnes séropositives grâce à des traitements efficaces et bien tolérés, qui évitent qu’elles ne transmettent la maladie. Et en prévention, nous disposons désormais de la PrEP qui protège les personnes séronégatives contre de nouvelles infections en cas de pratiques à risque. Donc si nous traitons tous les malades et les personnes à risque, nous pouvons en théorie casser complètement la dynamique de l’épidémie.
Malheureusement, la réalité est autre.
Les médicaments coûtent cher et ne sont pas accessibles dans un certain nombre de pays ou régions. Et la stigmatisation de la maladie continue à représenter un frein majeur à leur accès, en particulier chez les personnes homo– ou transexuelles, surtout dans des pays où ces pratiques sont criminalisées, mais aussi chez les travailleuses du sexe, un grand nombre de femmes africaines…
Ces personnes peuvent avoir peur d’aller consulter, de se rendre dans les centres de prise en charge du VIH, d’être reconnues, d’être jugées pour leurs pratiques sexuelles… Il y a donc un fossé important entre la théorie et la pratique qui est loin d’être comblé. Seule l’arrivée d’un vaccin pourrait changer la donne.
Des campagnes de vaccination permettraient de protéger toute la population dès l’enfance, sans discrimination possible. C’est pourquoi, malgré les avancées thérapeutiques, le développement d’un vaccin reste nécessaire et me semble le seul à même de mettre un terme à l’épidémie.
Morgane Bomsel : les traitements n’éliminent pas les réservoirs viraux
Morgane Bomsel est chercheuse Inserm, responsable de l’équipe Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse à l’institut Cochin (unité 1016 Inserm) à Paris.
Pour éradiquer le virus, il faudrait atteindre deux objectifs. Celui de zéro nouvelle contamination ; mais compte tenu des difficultés pratiques, culturelles et financières à engager l’ensemble des individus à risque dans une démarche de prévention, cela paraît illusoire. Cela signifie qu’en parallèle, nous devons parvenir à éliminer totalement le virus chez les personnes séropositives pour qu’elles guérissent.
Or, nous n’en prenons pas le chemin.
Les antiviraux actuels empêchent le virus de se répliquer dans l’organisme, mais n’éliminent pas les réservoirs viraux. Ces réservoirs se forment dès le début de l’infection quand le virus intègre son matériel génétique dans certaines cellules de l’hôte et n’en sort plus.
Ces cellules réservoirs sont indétectables vis-à-vis du système immunitaire.
Leur éradication est d’autant plus difficile à envisager que ces réservoirs se forment dans différents types cellulaires : les cellules immunitaires appelées « lymphocytes T CD4+ », mais aussi les macrophages des tissus ou encore des cellules de la moelle osseuse appelées « mégacaryocytes ».
Des stratégies sont à l’étude pour forcer ces cellules réservoirs à répliquer le virus afin que le système immunitaire les repère et les élimine, ou encore en les ciblant à l’aide de molécules thérapeutiques pour verrouiller la réplication du virus. Non seulement ces approches sont loin d’être au point, mais si elles aboutissent, elles devront être très performantes. En effet, pour guérir un patient, il faudra éliminer 100 % des réservoirs, car il suffit d’une ou deux cellules dormantes résiduelles pour que l’infection reparte.
Bruno Spire : des freins à la PrEP restent à lever
Bruno Spire est directeur de recherche Inserm au laboratoire de Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (unité 1252 Inserm) à Marseille.
Avec l’avènement des prophylaxies pré-exposition et la prise en charge des personnes contaminées, nous pouvons faire en sorte qu’il n’y ait plus de contamination. Mais cela implique un dépistage et des traitements systématiques, or, nous sommes loin du compte. En France, certaines populations, notamment étrangères, ne sont pas dépistées et il faut développer les moyens de les encourager à le faire.
D’autres ont des difficultés à suivre un traitement préventif régulièrement.
La prophylaxie pré-exposition actuelle repose sur la prise quotidienne d’un comprimé. Elle est efficace et bien acceptée par certains, par exemple les cadres supérieurs des grandes villes, mais compliquée à utiliser pour d’autres.
En effet, prendre un comprimé chaque jour est stigmatisant, oblige à avoir des boîtes de médicament chez soi et peut être difficile à cacher. Cela représente un frein à l’observance, comme pour des jeunes qui vivent chez leurs parents.
À ce titre, l’arrivée de nouvelles galéniques est une bonne nouvelle avec l’espoir de toucher de nouvelles populations cibles.
Avec deux injections sous-cutanées par an pouvant être auto-administrées, la prévention devient invisible aux yeux des autres. Nous espérons que ces nouveaux traitements permettront d’élargir la couverture de la prévention.
Pour le vérifier, l’ANRS-MIE pourra financer des études d’implémentation destinées à mesurer l’attraction et la rétention à différentes approches thérapeutiques selon les types de populations concernées, leur mode de vie et leur environnement social.
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