Environ 60% des fonds d’investissement dédiés à l’Afrique sont domiciliés hors du continent. Ce chiffre provient d’une étude commandée par la Fondation MasterCard, en partenariat avec Mennonite Economic Development Associates (MEDA), et réalisée par une équipe d’experts internationaux, incluant Momentus Global (anciennement International Financial Consulting), Samawati Capital Partners et Stafford Law.

Luxembourg, Delaware, Dublin : ces noms évoquent moins l’Afrique que les paradis fiscaux et les centres financiers mondiaux. Pourtant, c’est là que s’enracinent les véhicules censés financer les PME africaines et les infrastructures vitales du continent. Une anomalie ? Plutôt un miroir des failles structurelles africaines.

Un continent contourné

Derrière ce chiffre choc, un constat : l’Afrique n’a pas su, jusqu’ici, se rendre incontournable. Les investisseurs internationaux préfèrent des juridictions sûres où les règles sont stables, les contrats respectés, et les tribunaux prévisibles. Le Luxembourg, deuxième hub mondial de fonds avec 5000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, offre un modèle bien rodé. Ici, tout est pensé pour séduire les gestionnaires de fonds : régulations flexibles, expertise juridique de pointe, fiscalité douce. Pareil pour la place financière asiatique Singapour (près de 5000 milliards $).

A l’inverse, beaucoup de pays africains souffrent d’une bureaucratie lente, de lois floues et d’instabilités macroéconomiques.

Résultat, des marchés porteurs comme celui des PME – qui représentent 80% des emplois formels sur le continent – peinent à trouver les financements nécessaires. Selon le rapport de 2024 sur la domiciliation des fonds en Afrique, le déficit de financement des PME atteint 940 milliards de dollars. Ce manque criant alimente un cycle vicieux : peu de financements, peu de croissance, peu d’attractivité.

Quelques résistants

Pourtant, l’Afrique n’est pas totalement absente de la carte. L’île Maurice, par exemple, s’est taillée une place enviable. Hub financier reconnu, elle attire aujourd’hui près de 20 milliards de dollars d’investissements. Son secret : des régulations claires, une fiscalité accommodante, et une stratégie assumée d’ouverture aux capitaux internationaux.

En Afrique du Sud, autre bastion financier, les fonds de pension se montrent particulièrement actifs.

L’Asset Owners Forum of South Africa (AOFSA) a mobilisé plus de 500 millions de dollars pour des projets locaux. Malgré des défis politiques et économiques, le pays capitalise sur un secteur financier robuste et des compétences solides.

Le Rwanda, enfin, joue la carte de la spécialisation. Avec son Kigali International Financial Centre (KIFC), le pays cible des niches comme la technologie ou l’impact social. Un pari audacieux pour une petite nation, mais qui commence à porter ses fruits.

Un réveil nécessaire

Le reste du continent, lui, piétine. Le Nigeria, première économie d’Afrique, n’a toujours pas trouvé la recette pour attirer les fonds, malgré des actifs publics évalués à 43,6 milliards de dollars. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Togo, en Afrique de l’Ouest, tentent de se positionner comme des hubs régionaux, mais les avancées restent timides.

Ce n’est pourtant pas le potentiel qui manque. Les fonds de pension africains cumulent des centaines de milliards de dollars sous-utilisés. Ces ressources pourraient devenir le moteur d’un renouveau économique si elles étaient orientées vers des PME, des infrastructures ou des projets d’innovation.

Changer la donne

Pour inverser la tendance, il faudra plus que des discours. Les pays africains doivent simplifier leurs lois, sécuriser les contrats et mobiliser les capitaux locaux. Les caisses nationales de sécurité sociale (CNSS), caisses des dépôts et consignations (CDC), fonds de pension et banques publiques de développement, qui gèrent des centaines de milliards souvent sous-exploités, doivent devenir des leviers pour financer les PME, les infrastructures et l’innovation.

Aujourd’hui, les fonds de pension africains pèsent plus de 600 milliards de dollars, dont 500 milliards en Afrique du Sud et 33 milliards au Nigeria.

D’ici 2050, leurs actifs pourraient exploser à 7300 milliards de dollars. Une manne gigantesque, encore sous-utilisée, qui pourrait pourtant servir de levier pour attirer les capitaux privés en réduisant les risques perçus. Idem pour les banques publiques de développement du continent, dont les actifs totaux dépassent 100 milliards de dollars et qui disposent de ressources à long terme.

Maurice, l’Afrique du Sud et le Rwanda montrent que c’est possible. Mais tant que la majorité des juridictions africaines resteront dans l’ombre des grandes places internationales, le continent continuera de financer sa propre marginalisation.

Car au fond, c’est l’histoire d’un continent qui laisse les autres écrire son avenir économique. L’Afrique ne peut plus se permettre le luxe d’attendre.

Agence Ecofin

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