Abdoulaye Ndao, président d’honneur de la Fédération sénégalaise des praticiens de la médecine traditionnelle (Fspmt) et président de l’Association des médico-droguistes, phytothérapeutes, herboristes et opothèrapeutes traditionnels du Sénégal (Amphot/S), attend depuis 2017 que la médecine traditionnelle bénéficie d’un cadre juridique. Le projet de loi déposé dans ce sens à l’Assemblée nationale dort dans les tiroirs de l’Hémicycle. Il espère que la 14ème législature va voter ce projet de loi pour réglementer la pratique de la médecine traditionnelle.

Que vous inspire ce thème de la Journée africaine de médecine traditionnelle de cette année 2022, intitulé «Deux décennies de la Journée africaine de la médecine traditionnelle, vers la réalisation de la Couverture sanitaire universelle en Afrique» ?

D’après ma compréhension, la Couverture sanitaire universelle signifie que chaque personne doit bénéficier, sans difficulté, des services sanitaires dont elle a besoin pour ses soins. C’est une journée de plus qui vient s’ajouter à 19 autres depuis 2003 ; c’est un thème de plus qui vient s’ajouter à 19 autres déjà débattus depuis 2003. Quand est-ce qu’on va traduire la somme de toutes ces réfle­xions engrangées depuis 2003 en autant d’actions concrètes en faveur d’une bonne prise en charge de la médecine traditionnelle dans nos politiques sanitaires nationales et africaines ? Savez-vous que dans ce domaine précis, depuis 2003, l’essentiel de ce qu’il fallait dire a été dit et bien dit, et que l’essentiel de ce qu’il fallait faire a été sciemment négligé par nos décideurs publics ? Je serai peut-être un peu exhaustif, mais c’est important pour la bonne analyse de ce qui va suivre ; entre 2003 et maintenant, voilà l’ensemble des thèmes développés, respectivement, lors des dix-neuf journées internationales de la médecine traditionnelle : «La médecine traditionnelle, notre culture, notre avenir», «Faire avancer la santé en Afrique avec la médecine traditionnelle», «Médecine traditionnelle africaine : contribution à la prévention à l’infection à Vih»…, «Deux décennies de médecine traditionnelle africaine 2001-2010 et 2010-2020 : quels progrès dans les pays ?», «La contribution potentielle de la médecine traditionnelle aux efforts de riposte au Covid 19».

Malgré toutes ces journées organisées avec faste, savez-vous que nous courons toujours, depuis 2000, derrière une loi sur la médecine traditionnelle ? Nous saluons l’adoption dudit projet de loi par le Conseil des ministres du 31 mai 2017, mais depuis, rien n’a été fait en vue de son vote par l’Assemblée nationale et sa promulgation par le président de la Répu­blique. Pensez-vous que c’est normal ? D’ailleurs, certains, dans nos rangs, n’hésitent pas à qualifier cette adoption en Conseil des ministres de poudre aux yeux.

Voulez-vous dire que cette Journée africaine de la médecine traditionnelle est sans importance pour vous les tradipraticiens ?
Nous ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ; loin de nous l’idée d’être nihiliste. Il y a des aspects de cette Journée africaine de la médecine traditionnelle très utiles. C’est toujours une occasion pour les tradipraticiens et les décideurs publics de se regrouper pour évaluer le chemin parcouru, faire l’état des lieux, avec ses hauts et ses bas ; ce que nous disons est qu’il nous faut apprendre à mettre en pratique les décisions et recommandations issues de telles rencontres.

Pouvez-vous être plus explicite ?
Parfaitement. Nous allons vous donner juste quelques exemples : il convient de mettre en pratique les recommandations ci-après : entreprendre les essais cliniques sur les plantes médicinales identifiées en 2001 et validées par l’autorité sanitaire nationale pour leur homologation et leur production sous forme galénique, encourager la production de Mta par les acteurs et faciliter les procédures d’obtention d’Autorisation de mise sur le marché (Amm) pour leurs produits, enregistrer les médicaments traditionnels normalisés sur la liste nationale essentielle des médicaments, mise en application de la Politique nationale de la médecine traditionnelle et du plan stratégique, impliquer les praticiens de la médecine traditionnelle dans toutes les phases de la planification (conception, élaboration, exécution, suivi et évaluation) des politiques et programmes de santé et dans la mise en œuvre du Plan national stratégique de sante communautaire, accorder aux praticiens et à l’arbre toute la place qu’ils méritent dans la recherche scientifique en vue de trouver les solutions idoines aux problèmes de santé publique (car sans arbre, nous ne pouvons pas parler de pharmacopée). Bref, toutes ces questions interpellent une loi sur la médecine traditionnelle pour mieux organiser et sécuriser le secteur et donner aux praticiens un statut officiel leur permettant d’exercer leur profession, sans contrainte.

A votre niveau, qu’avez-vous fait pour rassurer l’Etat et l’encourager à adopter une telle loi ?
Vous auriez pu poser votre question dans le sens inverse. Précisons tout d’abord une chose essentielle : la médecine traditionnelle bénéficie, dans notre pays, d’une reconnaissance sociologique qui ne souffre d’aucun doute. Avec ou sans loi, les praticiens de la médecine traditionnelle sont au cœur des produits de la pharmacopée traditionnelle et sont sollicités par 85% des populations. Ce ne sont pas nos statistiques, ce sont celles de l’Organisation mondiale de la santé. Le système des Nations unies a défini un certain nombre d’objectifs assignés afin de promouvoir un développement global des nations. Ces objectifs devraient mobiliser toute la communauté mondiale d’autant que les déséquilibres, inégalités et ruptures inter et intra-régionaux de toutes natures sont porteurs de risques dont l’aggravation pourrait menacer l’équilibre de notre planète. Parmi les facteurs critiques, il y a bien évidemment la santé des populations. Dans le cadre des progrès réalisés au Sénégal pour l’intégration de la médecine traditionnelle dans le système national de santé, il faut reconnaître que la création de notre fédération, regroupant 64 associations réparties dans les 14 régions du Sénégal, a été d’un grand apport. Avec cette fédération, l’Etat a un interlocuteur sérieux et une sorte de socle pour mener à bien sa mission dans le domaine de la médecine traditionnelle, en toute trans­parence et de façon efficace.

Cette forme de médecine, quand elle s’appuie sur des méthodes et outils scientifiques, pourrait contribuer grandement à l’accès à la médecine pour tous et à l’établissement d’une Couverture sanitaire universelle au Sénégal. De manière générale, cette médecine est plus accessible, moins coûteuse et mieux perçue par les populations locales. Lorsqu’elle est de qualité, elle permet de favoriser les traitements de santé dans les zones où les systèmes de soins conventionnels sont moins présents. Si on peut en garantir la qualité, elle pourrait être bénéfique à une grande partie de la population, sachant que pour beaucoup, elle constitue la principale, voire l’unique source de soins. Le devenir de la médecine traditionnelle nous interpelle tous, surtout sur l’aspect législatif et règlementaire si nous voulons réellement qu’elle apporte sa contribution à la réalisation de la Couverture sanitaire universelle au Sénégal. Nous osons espérer, qu’avec cette nouvelle législature, nos honorables députés vont voter le projet de loi entériné en Conseil des ministres depuis 2017.

Si vous aviez à donner des pistes pour sortir de cette léthargie dans laquelle semble se trouver la médecine traditionnelle au Sénégal, que diriez-vous ?
Il ne s’agit pas de réinventer la roue. Bien que le Sénégal fût un des pionniers dans la promotion et valorisation de la médecine traditionnelle, nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait dans notre continent. Beaucoup de pays africains ont œuvré pour l’institutionnalisation de la médecine traditionnelle dans les systèmes nationaux de santé. La réglementation des dérivés de la pharmacopée traditionnelle est d’autant plus salutaire qu’elle favorise la promotion de l’éthique de la pharmacovigilance à appliquer à des produits destinés au grand public. La réglementation des produits de la pharmacopée traditionnelle peut autoriser leur prise en compte par la Pharmacie nationale d’approvisionnement, au sortir de travaux de recherche qui prouvent leur qualité, leur innocuité et efficacité.

Le Ghana abrite à ce jour 18 structures sanitaires ministérielles, au sein desquelles cohabitent une unité médicale moderne et une unité médicale traditionnelle qui se référent des cas médicaux. Ainsi, le patient jouit du libre choix de sa médecine dans ces cadres hospitaliers où la collaboration entre la médecine traditionnelle et la médecine conventionnelle est basée sur la confiance, l’ouverture et le respect réciproque entre les prestataires de service. La Fspmt est consciente des effets pervers induits par la prolifération du charlatanisme et de la publicité trompeuse qui en découle à travers les médias. Nous osons croire qu’à l’instar des autres pays frères de la Cedeao tels que le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Mali, entre autres, le Sénégal ne tardera pas à combler le vide juridique en matière de régulation des praticiens, des pratiques et des produits de la médecine et pharmacopée traditionnelles. Ce que nous attendons des députés de la 14ème législature, c’est de les voir voter cette loi en faveur de la médecine traditionnelle.

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