Auteur de nombreux ouvrages sur le continent africain comme « Chine-Afrique : le dragon et l’autruche » (2006), « Demain, la nouvelle Afrique » (2016), Adama Gaye, qui a occupé pendant quatre ans, de 1992 à 1996, le poste de Directeur de la communication de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), connaît bien la dynamique des organisations supranationales africaines.

Diplômé du Cesti de l’Université de Dakar, Adama Gaye a complété ses études en Communication et Relations internationales dans des universités comme Paris I Panthéon-Sorbonne et Oxford. Il revient sur l’élection d’un nouveau président la Commission de l’Union africaine et les défis de l’organisation.

Le prochain président de la Commission de l’Union sera élu au mois de février. Selon vous, quel doit être le profil de celui qui dirige la Commission de l’Union africaine ?

Définir le profil de la personne, homme ou femme, qui doit présider aux destinées de la Commission de l’Union africaine (Ua) devrait être en principe aussi facile que, paradoxalement, complexe. En principe, il doit s’agir d’être une voix, porte-voix, crédible, ayant une compétence sur les enjeux africains et ceux du reste d’une planète, mondialisée, afin que l’Afrique, longtemps marginalisée, puisse faire entendre son narratif.

C’est dire qu’à la tête de cette commission de dimension continentale, il faut être un fin et averti, à jour, diplomate, géopoliticien.ne, économiste, ayant une expertise sur les questions transnationales liées à la paix, à la sécurité, à la prise en charge, pour leur résolution, des conflits qui, de Goma à Gao, fracturent le continent, mais aussi une profonde morsure sur les sujets en téléchargement dans un monde mutant. Comment peut-on diriger l’Ua sans comprendre la transition énergétique, notamment le changement climatique avec ses dégâts naturels çà et là à travers l’Afrique ?

Son financement par les pays pollueurs ?

Sans être apte à trouver des réponses sur le terrorisme ou encore les pandémies transversales et d’autres enjeux typiquement africains, y compris le dividende démographique pour qu’il ne devienne pas une bombe; la participation des femmes dans la marche du continent; la clarification de la gestion publique des pays aujourd’hui rendue opaque par le retour en selle des régimes militaires; et, bien sûr, la problématique de l’effondrement du rêve pluraliste, démocratique, avec le regain de popularité des tentations autocratiques.

Avec le surgissement de l’intelligence artificielle et l’explosion de la révolution technologique, la dématérialisation des pratiques hier encore physiques, on peut dire que même si le leadership de la Commission de l’Ua commande de relancer un panafricanisme malmené, la complexité et la simplicité de la mission dicte qu’elle soit confiée à une personne visionnaire et au fait de la culture du régionalisme, pour garder son pli africain, mais aussi en mesure de décrypter les tendances lourdes imminentes, qui transforment d’ores et déjà notre monde.

Présider la commission de l’Ua exige une agilité pour aider ses Etats membres à ne pas rater le rendez-vous avec une histoire planétaire en route, sous la 4ème révolution industrielle que nous vivons…

Quel regard portez-vous sur la Commission de l’Union africaine depuis sa mise en place de 2002 ?

Malgré son zèle prescriptif qui l’a conduite à légiférer sur maints sujets importants pour l’Afrique et même à adopter, en mai 2013, un Agenda 2063 autour du thème : l’Afrique que nous voulons 60 ans après le lancement, en mai 1963, de la mystique institutionnelle du panafricanisme avec la création alors de l’Organisation de l’unité africaine (Oua), force est en effet d’admettre qu’il y a eu plus de bruits que d’actions qui puissent légitimer le statut d’une Commission qui lui a été conférée.

On peut même dire qu’elle a fait moins bien que son ancêtre puisque l’Oua avait, elle, réussi ses grandes ambitions, dont le parachèvement de la décolonisation africaine, la fin de l’apartheid et la réduction des conflits inter-états surtout au sortir de la guerre froide. L’Oua a aussi pu mettre en place les mécanismes de résolution des tensions polémologiques en les adoptant lors de son Sommet du Caire de 1993.

Qui oublie aussi qu’elle a déblayé le terrain à la démocratisation, parallèlement au retour des militaires dans les casernes, en Juin 1999, pendant son Sommet d’Alger ?

C’est ce socle qui permit d’engager un dialogue post-guerre froide avec les pays développés du G7, de mettre en place le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique), et, donc, justement de porter sur les fonts baptismaux l’Union africaine, en 2002.

On s’attendait qu’elle fasse monter en gamme le leadership continental, avec une présidence de commission plus affirmée qu’exécutive, n’obéissant plus au diktat de ce que le Tanzanien Julius Nyerere, président de son pays, avait qualifié de Syndicat des Chefs d’Etat du temps de l’Oua.

C’est hélas l’inverse qui se produit. En dehors d’une faible présidence de transition de l’ivoirien Amara Essy, d’une plus verbeuse du Malien Alpha Oumar Konare, on peut dire que les successifs patrons de la Commission n’ont été que des marionnettes. Plus prompts à apparaître sur des photos de famille des chefs d’Etat que de porter la voix et la voie du continent.

Au surplus, de plus en plus choisis par des dirigeants autocratiques dont ils défendent les intérêts, les dirigeants anciens ou à venir qui ont tenu ses rênes ne sont que des figurant.e.s. Comme ce fut le cas de Jean Ping, Mme Nkosazana Dlamini Zuma, et maintenant Faki Moussa Mahamat.

Il est reproché à la présidence de la Commission d’être une coquille vide face à des Chefs d’États africains qui veulent s’arroger tous les pouvoirs. Que faut-il faire afin de permettre au président de la commission de jouer pleinement son rôle ?

Qui peut attendre plus du vieillissant Raila Odinga, plus présenté par son pays, le Kenya, pour l’évincer du jeu national ? De Mahamoud Aly Youssef, l’homme-lige du pouvoiriste Djiboutien, Ismaël Omar Guelleh? Le Malgache, Richard Randriamandrato, ancien ministre des Affaires étrangères qui part avec l’avantage de représenter un pays non souillé par des dérives anti-démocratiques.

Aucune de ces candidatures n’osera porter les grands combats africains et d’abord ceux relatifs à la démocratie et aux droits humains.

Dans un monde où des voix fortes parlent pour diverses régions, comme Trump, Lula, Erdoğan, Poutine, Xi Jinping, l’Afrique est partie pour demeurer le continent inaudible malgré ses défis et leur impact sur la gouvernance planétaire. L’Ua reste un gentil Club Med politique sans gravitas !

Où est son numéro de téléphone aurait dit le grand diplomate américain, Henri Kissinger, reprenant une boutade par laquelle il avait ainsi mis en exergue le manque de personnalité de la communauté économique Européenne avant qu’elle ne devienne l’Union Européenne.

De l’Organisation de l’unité africaine à l’Union africaine, avez-vous observé un changement de paradigme dans la façon de faire ?

J’ai eu la chance de participer autant à des réunions de l’Oua qu’à celles de l’Ua mais il n’y a pas photo. L’Oua était pénétrée d’un sens élevé d’une mission continentale.

Même si les dirigeants qu’on y croisait n’étaient pas aussi diplômés que leurs lointains successeurs au sein de l’Ua, ils étaient plus humbles mais rigoureux, sérieux, centrés sur l’intérêt du continent, la préservation des frontières héritées de la colonisation (uti possedetis juris), et moins cupides.

Ce n’étaient pas les courtiers et preneurs de commissions dans les transactions plus ou moins louches des temps actuels.

C’est que l’Oua se faisait respecter. Et elle savait punir ses dirigeants quand ils fautaient, comme lorsqu’ils tombaient dans le piège de la corruption. Ce le fut avec le Camerounais Nzo Ekangaki et le Togolais Edem Kodjo, deux de ses Secrétaires Généraux, soupçonnés de l’avoir été, qu’elle éjecta de leurs postes pour cette raison.

C’est comme si, désormais l’Ua n’est, comme beaucoup d’autres institutions africaines, qu’un instrument de projection de pouvoir, capturé par divers lobbies, dont des chefs d’Etat africains qui y placent leurs pions pour servir leur plan personnel de pouvoir. L’élection à la présidence de la commission de l’Ua devrait donc y faire accéder un leader capable de faire entendre la voix africaine quitte à s’attirer les foudres des dirigeants étatiques.

Nous sommes mal partis pour briser la perte de pertinence du plus grand regroupement continental au monde, au point qu’il n’est pas superflu de se demander si elle sert encore à quelque chose.

Tant qu’elle ne sera pas perçue comme porteuse de progrès, paix et prospérité, d’intégration, à travers des actes concrets comme l’amélioration du commerce intra-africain via sa nouvelle zone de commerce continental, de libertés de circulation des populations dans ses pays-membres ou de fournisseur de réponses africaines sur les urgences immédiates et futuristes, autour de la démocratie, de l’intelligence artificielle et de l’alimentation, elle continuera de susciter des moues dubitatives.

En un mot, tant que le projet fédérateur africain ne produit pas un mieux-être continental, il reste, au plus, un arbre à palabres ronronnantes.

L’Ua ne semble plus être visitée par la mystique panafricaine qui fut le socle d’une Oua dont la voix, en dépit de ses lacunes, fut une des forces d’appui d’une Afrique en reconstruction post-indépendances.

lesoleil

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