Enseignant-chercheur en droit public à l’université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, le Dr Yaya Niang a porté un regard critique sur la décision du Conseil constitutionnel rendu le 20 janvier dernier arrêtant la liste des candidats au scrutin présidentiel du 25 février 2024. Dans cet entretien exclusif avec Seneweb, le spécialiste du droit électoral a relevé une « inconstance de la procédure » et une « précarité de la motivation » de la décision des « sept sages », entre autres remarques.

 

Le juriste a également donné son avis sur la commission d’enquête parlementaire visant des membres du Conseil constitutionnel et la situation du candidat Bassirou Diomaye Faye, actuellement en prison.

 

 

 

 

Le Conseil constitutionnel vient d’arrêter une liste de 20 candidats à la Présidentielle du 25 février 2024. Quelle analyse en faites-vous ?

 

Le Conseil constitutionnel a pris, en réalité, deux décisions rendues les 12 et 20 janvier 2024. L’examen de ces deux décisions révèle la précarité de la motivation et l’inconstance dans la démarche. Ces traits caractéristiques dénotent une figure du juge constitutionnel peu soucieuse de la sauvegarde de la liberté de candidature. La fonction d’un juge constitutionnel dans nos démocraties modernes n’est plus réduite à une fonction mécanique de régularité, il doit être conscient qu’il doit assumer une fonction de régulation.

A titre de rappel, dans sa première décision n°1/2024 rendue le 12 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a jugé recevables vingt (21) candidatures, celle de M. Karim Wade y compris. Dans le considérant 27 de cette décision, le Conseil constitutionnel a dit et jugé que l’examen des pièces et mentions des candidatures retenues n’a révélé aucune irrégularité relative aux conditions de fond prévues par les articles 28 et 29 de la Constitution. 

De même, le Conseil a martelé, dans le considérant 11 de la décision précitée, qu’il a procédé à la publication de la liste des vingt (21) candidats après avoir procédé à toute vérification qu’il a jugée utile en application de l’article 125 du Code électoral. 

Un droit de réclamation contre la liste des candidats est ouvert à tout candidat dans les quarante-huit heures qui suivent le jour de l’affichage de la liste des candidats. Plusieurs réclamations ont été enregistrées. 

En réponse à ces réclamations, le Conseil constitutionnel a rendu la décision n°2/E/2024 du 20 janvier 2024. Cette décision est loin de me convaincre, à la lecture des motifs invoqués à son appui. 

 

Mais l’invalidation de la candidature de Karim Wade continue de susciter moult réactions. Que vous inspire cela ? 

 

 

Ce qu’elle m’inspire, c’est qu’elle est juridiquement contestable pour au moins deux raisons. L’examen de la décision relève, d’une part, la violation des règles de procédure posées par la loi organique sur le Conseil constitutionnel. Et, d’autre part, la précarité de sa motivation. L’instauration d’une procédure contradictoire viole l’article 14 organique sur le Conseil constitutionnel.

 

Et comment ?

 

Sur la procédure suivie par le Conseil, il faut rappeler que c’est un droit de réclamation, fortement prédominé par son caractère individuel, qui est ouvert, au profit de tout candidat, comme le prévoit l’article 127 du Code électoral. Une réclamation, comme son nom l’indique, n’appelle pas, en principe, un nouvel examen au fond des candidatures jugées recevables, mais elle postule plutôt la rectification d’erreurs et tout autre fait analogue au profit des candidats dont les dossiers ont été jugés irrecevables. L’article 92 alinéa 4 de la Constitution conforte cette conviction lorsqu’il soutient que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Le Conseil a décidé de s’écarter de cette exigence. Il admet non seulement des recours juridictionnels d’Amadou Ba et de Thierno Alassane Sall contre les candidatures de messieurs Bassirou Diomaye Faye et Karim Wade déjà jugées recevables, mais il a également soumis leur traitement à une procédure contradictoire. 

Or, les réclamations introduites par ces candidats pour contester les candidatures déjà validées par le Conseil constitutionnel nous paraissent sans objet, à moins que le Conseil décide d’ouvrir des recours contre ses propres décisions. Dans ce dernier cas, le Conseil remet la qualité de travail au moment de la publication de la liste des candidats. 

En recevant des réclamations de cette nature, le Conseil constitutionnel s’est toujours chargé lui-même, depuis 1992, date de sa création, de mobiliser des moyens juridiques pour défendre sa décision publiant la liste des candidats, celle rendue le 12 janvier 2024, dans ce cas d’espèce, sans qu’il soit besoin de saisir les candidats concernés. Il n’appartient pas aux candidats dont les dossiers ont déjà été jugés recevables par le Conseil constitutionnel de s’expliquer sur la validité de ceux-ci. Au lieu de s’en tenir à la procédure encadrée par la loi organique sur le Conseil constitutionnel, les « sept sages » de Dakar-Plateau ont décidé de passer outre en instaurant, devant son instance, pour la première fois, une procédure contradictoire. 

Est-il encore nécessaire de rappeler qu’il incombait aux requérants de fournir les preuves de leurs allégations. Si le juge électoral juge qu’elles sont insuffisantes, il devrait conclure à leur rejet pour se conformer à la loi et à la pratique de la juridiction à chaque fois qu’il a été amené à statuer sur des réclamations introduites après la publication de la liste des candidats. 

En notifiant à messieurs Karim Wade et Bachir Diomaye Faye des réclamations des candidats qui contestent leur candidature et tout en les obligeant à apporter des réponses aux allégations des requérants, la juridiction constitutionnelle instaure délibérément une procédure contradictoire devant son instance en violation de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel. Celle-ci dispose expressément en son article 14 que la procédure devant le Conseil constitutionnel n’est pas contradictoire. Le Conseil constitutionnel vient donc d’instituer une procédure d’exception qu’il ne tient ni de la Constitution ni de la loi organique qui l’organise encore moins du Code électoral. 

Cette procédure contraste pourtant avec la position ferme du Conseil constitutionnel qu’il avait soutenue dans ses échanges épistolaires avec le président Abdoulaye Wade en 2001, lors des élections législatives de la même date.(courriers publiés au Journal Le Soleil du mardi 10 avril 2001). 

 

 

Que s’était-il passé ?

 

Dans son courrier n°0333 du 28 mars 2001, le président Wade avait reproché au Conseil constitutionnel d’avoir statué sur une requête de l’opposition sans en informer au préalable la coalition de la majorité dont le bulletin de vote a été mis en cause et sans qu’elle soit mise en état de se défendre (dans ce bulletin figuraient la photo du Président Wade et le nom du président de la République, alors qu’il n’était pas candidat aux élections législatives).

En réponse à ces remarques, le Conseil avait ardemment soutenu dans son courrier du 31 mars 2001 que la loi organique qui l’organise dispose que la procédure devant la juridiction n’est pas contradictoire.  De même, le Conseil arguait que « le contentieux des candidatures est un contentieux objectif qu’il règle sans possibilité de contradiction par les parties ou de notification aux parties, du reste non autorisé par la loi ». Tout document produit après le dépôt d’un recours, précisait le Conseil en 2001, n’a qu’une valeur de simple renseignement ». 

Si tel est le cas, pourquoi le Conseil a opposé à monsieur Karim Wade la pièce qu’il a produite à la suite du dépôt de la réclamation de M. Thierno Alassane Sall ? Après avoir installé M. Wade dans une procédure contradictoire, en dépit d’une prescription contraire de la loi organique précitée, le juge constitutionnel a utilisé contre le candidat du PDS une pièce qu’il a été contraint de produire. Tel est le procédé utilisé par la Haute juridiction pour conclure à l’irrecevabilité de la candidature de Karim Wade. Une décision d’irrecevabilité caractérisée par l’inconsistance de sa motivation. 

 

Pourquoi parlez-vous de la précarité de la motivation de la décision du Conseil constitutionnel ?

 

Dans sa démonstration ayant conduit à l’invalidation de la candidature de M. Karim Wade, la juridiction constitutionnelle a privilégié la législation française au détriment de la loi sénégalaise. Curieusement, le juge constitutionnel n’a fait référence qu’au Code civil français, plus précisément, à ses articles 23-4 et 27-1. Il s’’est contenté d’interpréter la législation d’un Etat étranger, celle française en particulier, pour entraver la candidature de M. Karim Wade. Par ce procédé, le Conseil admet, désormais, que la validité d’une candidature à une élection présidentielle sénégalaise, pourrait s’apprécier à l’analyse d’une loi d’un Etat étranger, qui pourrait être chinois, coréen, turque ou tout autre Etat dont la nationalité s’invite dans le traitement du contentieux des candidatures.  Le juge constitutionnel peut-il nous assurer de maîtriser le droit positif de tout État dont le régime de la nationalité s’invite dans le traitement des candidatures ?  

 La satisfaction de la condition de validité d’une candidature tenant à une nationalité exclusivement sénégalaise ne s’apprécie d’abord qu’à l’analyse des dispositions du Code la famille et du Code de la nationalité.

Il en est ainsi de l’article 849 du Code de la famille qui dispose que le Sénégalais est soumis à sa loi nationale, même s’il est considéré par un autre Etat comme ayant une autre nationalité. 

L’article 5 de la loi n°61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité, modifiée, dispose qu’« est Sénégalais tout enfant né d’un ascendant au premier degré qui est sénégalais ». Monsieur Karim Wade, né d’un père sénégalais, est, selon la loi sénégalaise, de nationalité sénégalaise sans aucune considération d’une législation d’un Etat étranger. 

La nationalité exclusivement sénégalaise s’apprécie avant tout de l’analyse des dispositions précitées. Le raisonnement du Conseil devrait s’adosser prioritairement sur l’interprétation qu’il en fait pour le règlement de la question soulevée. 

Je soutiens que la vérification des conditions d’éligibilité ne peut être aléatoire. S’il se trouve qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la mise en œuvre concrète de la condition de la nationalité exclusive, le juge constitutionnel doit admettre les limites de ses moyens de contrôle et rendre une décision aux vertus pédagogiques pour que le législateur puisse s’en saisir pour reformuler cette condition comme c’est le cas dans d’autres pays africains. Le Conseil constitutionnel a-t-il la ferme conviction que chacun des vingt (20) a une nationalité sénégalaise exclusive. Dans l’application d’une condition d’éligibilité, le Conseil doit réserver un traitement égalitaire à tous les candidats. 

Au surplus, il est clairement établi que le 20 janvier 2024, au moment de statuer, donc avant l’acquisition définitive de la qualité de candidat, le Conseil constitutionnel a reçu du candidat Karim Wade , une preuve irréfutable qu’il est exclusivement de nationalité sénégalaise. Il en résulte, qu’à cette date, M. Karim Wade s’est conformé à la condition posée par l’article 28 de la Constitution. S’il est élu, il serait indéniablement de nationalité exclusivement sénégalaise. Par conséquent, l’objectif de l’exigence constitutionnelle rappelée ci-dessus, s’en trouve satisfaite. Cette exigence qui impose la satisfaction d’une nationalité exclusivement sénégalaise avant l’acquisition de la qualité de candidat. Cette condition est bien remplie dès lors que la preuve de sa satisfaction est apportée avant l’acquisition définitive de la qualité de candidat.

D’ailleurs, le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas constamment rappelé, dans ses jurisprudences, que la recevabilité des candidatures s’apprécie en considération de la situation juridique du candidat au moment où il prend sa décision, et non au moment du dépôt du dossier de candidatures (décision ° 2-E-2019 Affaire n° 12-E-19 du 13 janvier 2019). 

En faisant abstraction de ce fait, le juge constitutionnel se dédit. Il s’écarte de sa fonction de garant de la liberté de candidature en s’agrippant sur une prétendue déclaration sur l’honneur qui est devenue surabondante dès lors que le candidat a produit un document tenant lieu d’une preuve formelle qu’il s’est départi de la nationalité qu’il avait acquise, faut-il le préciser, du seul fait de sa naissance. 

 

Mais le Conseil a considéré que le candidat du Pds a fait une déclaration sur l’honneur inexacte. Cela n’est-il pas un parjure ? 

 

Monsieur Karim Wade a déclaré sur l’honneur que sa candidature est conforme aux articles 28 et 29 de la Constitution. Du point de vue strictement juridique, il est difficile d’évoquer l’inexactitude d’une déclaration sur l’honneur ainsi formulée, s’il est admis, comme je l’ai développé précédemment, que c’est la loi sénégalaise qui est applicable aux sénégalais qui sont dans la même situation que Karim Wade.

Or, la loi sénégalaise, le Code de nationalité sénégalaise plus précisément, ne reconnaît qu’un sénégalais, sans aucun autre attribut de « binational » ou autre, lorsqu’il est établi que l’enfant est né avec l’un des ascendants sénégalais. L’appréciation de l’exactitude de la déclaration évoquée ne saurait être assujettie à l’interprétation de la législation d’un Etat étranger.

Je précise que monsieur Karim Wade est soumis à la loi sénégalaise comme le prévoit l’article 849 du Code de la famille. Lui opposer le droit positif d’un Etat étranger, c’est lui retirer les droits que lui reconnait la loi sénégalaise. Dans le droit positif sénégalais, il n’est nullement fait distinction entre un Sénégalais « binational » de naissance et un autre qui le ne le serait pas. 

Par conséquent, le fait d’ériger en règle cette distinction par une décision de justice là où la loi ne l’a fait pas, est une entorse au principe d’égalité des citoyens sénégalais. Le traitement de ceux-ci doit se faire sans distinction d’origine, sauf violation du principe de l’égalité des citoyens proclamée par l’article premier de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001, modifiée. 

 

Vous faites remarquer l’inconstance de la procédure suivie. Pourquoi ?

 

Sur la procédure suivie par le Conseil, il faut rappeler que c’est un droit de réclamation, fortement prédominé par son caractère individuel, qui est ouvert, au profit de tout candidat, comme le prévoit l’article 127 du Code électoral. Une réclamation, comme son nom l’indique, n’appelle pas, en principe, un nouvel examen au fond des candidatures jugées recevables, mais elle postule plutôt la rectification d’erreurs et tout autre fait analogue des candidats dont les dossiers ont été jugés irrecevables. L’article 92 alinéa 4 de la Constitution conforte cette conviction lorsqu’il soutient que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Le Conseil a décidé de s’écarter de cette exigence. Il admet non seulement des recours juridictionnels d’Amadou Ba et Thierno Alassane Sall contre les candidatures de messieurs Bassirou Diomaye Faye et Karim Wade déjà jugées recevables, mais il a également soumis leur traitement à une procédure contradictoire. 

Or, les réclamations introduites par ces candidats pour contester les candidatures déjà validées par le Conseil constitutionnel, nous paraissent sans objet. En recevant des réclamations de cette nature, le Conseil constitutionnel s’est toujours chargé lui-même, depuis 1992, date de sa création, de mobiliser des moyens juridiques pour défendre sa décision publiant la liste des candidats, celle rendue le 12 janvier 2024, dans ce cas d’espèce, sans qu’il soit besoin de saisir les candidats concernés. Il n’appartient pas aux candidats, dont les dossiers ont déjà été jugés recevables par le Conseil constitutionnel, de s’expliquer sur la validité de ceux-ci. Au lieu de s’en tenir à la procédure encadrée par la loi organique sur le Conseil constitutionnel, les « sept sages» ont décidé de passer outre en instaurant, devant son instance, pour la première fois, une procédure contradictoire. Est-il encore nécessaire de rappeler qu’il incombait aux requérants de fournir les preuves de leurs allégations. Si le juge électoral juge qu’elles sont insuffisantes, il devrait conclure à leur rejet pour se conformer à la loi et à la pratique de la juridiction à chaque fois qu’il a été amené à statuer sur des réclamations introduites après la publication de la liste des candidats.

 

 

Le Pds a proposé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur une supposée corruption. Quelles incidences cela peut-il avoir sur le calendrier électoral ?

 

La mise en place d’une Commission d’enquête est prévue par l’article 48 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale. C’est une prérogative reconnue aux députés. 

Je ne dispose pas encore d’éléments d’appréciation qui sont de nature à apprécier les éventuelles répercussions comme iln’existe pas encore de rapport ni une initiative de révision de la constitution. 

Pour le moment, le calendrier électoral est celui fixé par la Constitution en son article  31-31 qui dispose que “le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu quarante-cinq (45) jours francs au plus et trente jours (30) francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du Président de la République en fonction.

 

Quant à Ousmane Sonko, il est perdu par l’affaire l’opposant à Mame Mbaye Niang ?

 

L’affaire Mame Mbaye Niang n’a été invoquée que dans la deuxième décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2024.

 A titre rappel, dans sa première décision rendue le 12 janvier 2020, le juge électoral avait rejeté la candidature pour défaut de production de l’attestation du Directeur de la Caisse de dépôt et de consignation. Je relève donc que le juge constitutionnel a invoqué des motifs différents dans ses deux décisions intervenues dans un intervalle aussi court, soit entre le 12 et le 20 janvier 2024, pour invalider la candidature de M. Sonko. 

Dans le considérant 19 de sa décision du 12 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a jugé la candidature de M. Ousmane Sonko irrecevable motif pris de ce que son dossier est incomplet. Il a donc repris la position de la Commission de contrôle des parrainages qui avait reproché à M. Sonko de n’avoir pas produit l’attestation confirmant le dépôt de la caution à la Caisse des dépôts et consignations. En jugeant irrecevable le 12 janvier 2024 la candidature de M. Ousmane Sonko, le juge constitutionnel a écarté les pièces tenant lieu de preuve que M. Sonko a fait toutes les diligences pour obtenir les documents nécessaires à la constitution de son dossier de candidature. Il a établi par actes d’huissier que l’incomplétude de son dossier ne lui est pas imputable. Malgré la présentation de toutes les preuves, le Conseil a passé outre en considérant que son dossier est incomplet avant de se déjuger le 20 janvier 2024, dans sa deuxième décision invoquer, cette fois-ci, un autre motif, celui résultant de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire à Mame Mbaye Niang.  

Seulement que le Conseil constitutionnel semble oublié que cet arrêt est rendu par la Cour suprême le 4 janvier 2024, soit une semaine avant sa décision du 12 janvier 2024. Pourquoi le juge électoral n’avait pas tiré toutes les conséquences de cet arrêt lorsqu’il rendait sa décision du 12 janvier 2024 ? C’est une démonstration qui ne me convainc pas du fait de la contrariété des motifs. L’arrêt de la Cour suprême, faut-il le rappeler, a été rendu le 4 janvier 2024. 

En tout état de cause, on a du mal à suivre la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel sur la date de référence à partir de laquelle il apprécie la validité des candidatures. Autrement dit, l’examen de la jurisprudence n’apporte pas une réponse claire à la question de savoir si le Conseil constitutionnel apprécie la situation juridique du candidat au moment du dépôt de son dossier, intervenu au mois de décembre, ou plutôt à la date à partir de laquelle la juridiction statue sur les candidatures ? 

On a constaté que pour juger irrecevable la candidature de M. Karim Wade, la haute juridiction a fait référence à sa situation juridique à la date de dépôt de son dossier de candidature, soit le 22 décembre 2024. Dans ce cas d’espèce, le juge constitutionnel a donc fait savoir qu’il a considéré la situation du candidat à la date du dépôt du dossier de candidature. 

Cependant, pour invalider la candidature de M. Sonko, le Conseil a privilégié sa situation juridique, cette fois-ci, non pas la date de dépôt de son dossier, mais plutôt à la date de prise de décision, soit le 20 janvier 2024. Ce raisonnement contradictoire dans une même décision n’emporte pas notre conviction.  

 

C’est à l’image du dérèglement électoral auquel nous assistons depuis un moment.  Peut-on dire alors que le Conseil a recadré la DGE et la CDC ?

 

Je ne suis pas convaincu de l’existence d’une volonté du Conseil constitutionnel de vouloir corriger la Direction générale des Elections (DGE) et de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). 

 

Je rappelle que dans sa décision du 12 janvier 2024, les « sept sages de Dakar-Plateau » avaient cautionné l’attitude de ces structures comme l’illustre le considérant 20 de cette décision. Dans ce considérant, le juge constitutionnel a soutenu que la candidature de M. Sonko est irrecevable, motif pris de ce qu’il n’a pas produit « l’attestation confirmant le dépôt de la caution à la Caisse des Dépôts et de Consignations ». En procédant ainsi dans sa décision du 12 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a cautionné l’attitude de la Direction générale des élections et celle de la Caisse des Dépôts de Consignations. 

C’est à la suite que M. Sonko a introduit une réclamation pour faire valoir son droit d’être candidat. En réponse à cette réclamation, le Conseil a fini d’admettre, dans sa décision du 20 janvier 2024, que l’absence   de l’attestation de la Caisse des Dépôts et Consignations n’est pas imputable au requérant. Le juge se déjuge et anéantit lui-même le seul motif qu’il avait invoqué pour rejeter la candidature de M. Sonko dans sa décision du 12 janvier 2024. Il faut en conclure que si M. Sonko n’avait pas introduit cette réclamation, le motif d’incomplétude de son dossier serait reconduit dans la décision portant publication définitive de la liste des candidats. 

 

La candidature de Bassirou Diomaye Faye est validée. Mais comment va-t-il battre campagne étant en détention préventive ? Autrement dit, la loi a-t-elle prévu une telle situation ? 

 

Monsieur Bassirou Diomaye Faye est un candidat à l’élection présidentielle en détention préventive. C’est une situation atypique bien qu’on l’ait expérimenté ailleurs en Afrique comme au Niger avec le candidat Hama Amadou en 2015. 

La situation du candidat se présente comme suit : d’un côté, en tant que citoyen en détention préventive, il garde encore tous ses droits bien que ceux-ci soient restreints. De l’autre, il a acquis la qualité de candidat à une élection présidentielle. Cette qualité emporte aussi des conséquences juridiques importantes. Cette qualité est consubstantielle à la liberté d’aller et de venir. De ce fait, il existe assez de mécanismes devant pouvoir aider à trouver une conciliation entre ces deux situations. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’un candidat à une élection présidentielle présente assez de garanties de représentation. 

Ma conviction est que le plus grand mécanisme de régulation dans une démocratie, c’est l’élégance républicaine. Je dis souvent aux étudiants, que la démocratie c’est certainement des règles, mais surtout de l’élégance républicaine. 

Si le Président Abdoulaye Wade, comme Monsieur Abou Diouf l’avait fait pour lui, appelle le Président Macky Sall, à 20 h, pour lui adresser ses félicitations, c’est moins une règle écrite qu’une élégance républicaine. Je suis donc d’avis que l’on doit pouvoir s’appuyer sur les ressorts juridiques existants pour faire valoir les droits attachés à la qualité de candidat à une élection présidentielle. 

 

Bien qu’étant derrière nous, la vérification des parrainages continue également de susciter une vague de critiques. Comment appréciez-vous le processus ?

 

Globalement, nous assistons à un véritable dérèglement électoral. Le parrainage continue encore de susciter des controverses et les craintes sont légitimes. Le destin de ce pays ne peut pas être suspendu aux caprices d’un logiciel et au résultat d’un tirage au sort. 

D’ailleurs, la question que je me pose est celle de savoir comment le Conseil constitutionnel a pu procéder aucontrôle des parrains des chefs exécutifs locaux (maires et présidents de Conseils départementaux). Si la liste des 165 députés pourrait être obtenue par le Conseil constitutionnel à partir des résultats définitifs des élections législatives qu’il proclame, il n’en pas tout autant facile d’établir la liste des chefs exécutifs locaux. Le Conseil constitutionnel n’a pas fait ressortir dans sa décision comment il a obtenu la liste des présidents des organes locaux ayant servi de référence au contrôle des 120 parrains présentés par le candidat Amadou Ba. Si cette liste existe, qu’elle est l’autorité qui l’a établie. A supposer qu’elle existe, la loi électorale autorise la présentation de 120 parrains sans possibilité de présenter un minimum et un maximum pour la prise en charge de la prise en marge d’erreurs comme c’est le cas avec le parrainage des électeurs. Le candidat ayant pris l’option d’un parrainage par les chefs exécutifs locaux ne présente que 120 parrains, ni plus, ni moins. 

Est-ce dire que parmi les 120 parrains présentés aucune erreur n’a été relevée, même sur un nom mal orthographiée ?

Un autre mécanisme de présélection doit être trouvé à partir du moment où les acteurs politiques et la société civile s’accordent sur la nécessité de fixer des règles restrictives de l’accès au suffrage, sous réserve qu’elles ne soient pas ambiguës de nature à favoriser des exclusions massives et expéditives. Il faut donc que les partis politiques acceptent de se retrouver en en grands ensembles à l’intérieur desquels des primaires pourraient être organisées. 

Part.
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