Alors que les chalutiers de fond approvisionnent presque exclusivement les marchés étrangers, les exportations sénégalaises des produits de la pêche ont presque quadruplé entre 2008 et 2018, mais le volume de poissons disponibles sur le marché local a fortement diminué.  

Les communautés de pêche artisanale au Sénégal sont de plus en plus menacées par un grave déclin des populations de poissons, causé en grande partie par les pratiques non durables et destructrices de l’environnement des chalutiers de fond contrôlés essentiellement par des acteurs étrangers originaires de l’Union européenne et de la Chine, selon un rapport publié le 26 octobre par la Fondation pour la justice environnementale (EJF).

1 effondrement

Intitulé « Au point de rupture : comment le chalutage de fond précipite l’effondrement de la pêche artisanale au Sénégal », le rapport s’appuie sur des entretiens menés entre septembre 2022 et mai 2023 auprès de différents acteurs des communautés de pêche artisanale, du secteur industriel et du gouvernement, ainsi que sur des recherches documentaires et des analyses de données.

Il en ressort que 65 % des pêcheurs artisanaux interrogés ont déclaré gagner moins aujourd’hui qu’il y a cinq ans.

La majorité de ces pêcheurs ont également fait état d’une baisse importante des captures au cours des cinq dernières années. 76,5 % d’entre eux ont déclaré avoir pris « beaucoup moins » ou « moins » de poissons pendant la saison sèche (noor) qu’il y a cinq ans, et 65 % ont affirmé être « très souvent » ou « souvent » revenus d’une sortie sans aucune capture au cours de la dernière saison sèche.

Cette tendance s’aggrave pendant la saison des pluies (nawet), durant laquelle 88 % des personnes interrogées ont précisé avoir pêché moins de poissons et 70,5 % ont déclaré être souvent revenus d’une sortie sans avoir pêché quoi que ce soit.

Le déclin des populations de poissons pousse également les pêcheurs à naviguer plus loin, à passer plus de temps en mer et à y courir des risques plus importants, à la recherche de poissons à pêcher. 88 % des personnes interrogées ont révélé avoir dû changer de zones de pêche au cours des dernières années.

Dans un contexte de déclin des populations de poissons, les pêcheurs doivent aussi faire face à des dépenses d’exploitation plus élevées dans la mesure où ils doivent passer plus de temps en mer pour accéder à une ressource qui s’amenuise, ce qui rend les sorties de pêche de moins en moins rentables.

94 % d’entre eux ont affirmé faire face à des charges d’exploitation plus élevées, et 53 % ont indiqué que les expéditions de pêche qui généraient des bénéfices nets étaient moins fréquentes.

Baisse de l’approvisionnement du marché local

Le rapport révèle d’autre part que l’ensemble des acteurs de la pêche artisanale voient leurs conditions de vie se détériorer : 65% des pêcheurs, 86% des transformatrices artisanales et 100% des mareyeurs ont déclaré avoir plus de difficultés à nourrir leur famille.

En outre, 88% des pêcheurs, 93% des transformatrices et 100% des mareyeurs ont déclaré avoir un accès plus limité au poisson pour leur propre consommation.

Par ailleurs, les pêcheurs artisanaux sont confrontés aux incursions illégales des chalutiers dans les zones réservées à la pêche artisanale, ce qui engendre souvent la destruction fréquente des engins de pêche. Environ 76 % des pêcheurs ont vu leurs filets ou leurs lignes endommagés par un chalutier.

Certains pêcheurs ont également indiqué avoir perdu des amis en mer à la suite d’une collision avec un chalutier, et avoir été victimes de violences, comme par exemple des ébouillantages.

La flotte sénégalaise de chalutiers de fond, l’une des plus importantes d’Afrique de l’Ouest avec un total de 99 navires titulaires d’une licence de pêche en 2019, est essentiellement contrôlée par des acteurs étrangers provenant de l’Espagne, de l’Italie et de la Chine, par le biais d’accords de sociétés mixtes opaques.

Ces chalutiers approvisionnent presque exclusivement les marchés étrangers.

Conséquence : les exportations sénégalaises des produits de la pêche ont presque quadruplé entre 2008 et 2018, mais le volume des produits disponibles sur le marché local a diminué fortement. Certaines espèces et certains produits utilisés dans les plats traditionnels, tels que le thiof (mérou blanc) et le yeet (escargot de mer fermenté), sont devenus plus difficiles à trouver sur les marchés locaux et ont commencé à disparaître de la cuisine sénégalaise.

Selon les estimations, entre 2008 et 2018, la disponibilité des protéines de poisson par habitant pour les ménages sénégalais a reculé de 47 %.

Le rapport souligne par ailleurs que la crise du secteur de la pêche artisanale au Sénégal, qui a été aggravée par les pratiques de la flotte chalutière, pousse un nombre croissant de pêcheurs sénégalais, principalement de jeunes hommes, à émigrer à l’étranger.

Dans ce cadre, les îles espagnoles des Canaries sont la destination la plus courante en raison de leur relative proximité avec la côte ouest-africaine.

ECOFIN

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