​Au Sénégal, l’avortement reste interdit sauf en cas de danger avéré pour la vie de la mère. Pourtant, chaque jour, dans l’ombre des hôpitaux, des centres de santé et des maisons familiales, des femmes et jeunes filles vivent le drame du viol, de l’inceste, de la grossesse non désirée.

Certaines trouvent la mort, d’autres finissent en prison. D’autres encore abandonnent leur bébé dans une rue ou un égout. Face à ce fléau, Ndeye Fatou Diaw Touré, sage-femme de formation, formatrice en santé sexuelle et reproductive, tire la sonnette d’alarme.

Elle revient dans cet entretien exclusif avec PressAfrik sur les raisons de son engagement, les conséquences du manque d’accès à l’avortement médicalisé, et l’urgence d’une prise de conscience collective.

Question : Vous avez participé à une formation de deux jours consacrée à l’avortement médicalisé. En tant que sage-femme, quel était l’objectif principal de cette rencontre ?

Ndeye Fatou Diaw Touré : L’objectif était de conscientiser. Ce n’était pas une simple session technique. C’était un plaidoyer. Nous avons voulu amener tous les porteurs de voix – leaders communautaires, religieux, acteurs de la société civile, journalistes – à se mobiliser autour de cette problématique. Nous, sages-femmes, sommes les premières à recevoir des femmes et des jeunes filles victimes de viol ou d’inceste. Ces histoires nous marquent profondément. Et elles sont plus nombreuses qu’on ne l’imagine.

Aujourd’hui, ces femmes vivent dans le silence, la honte, le rejet. Elles n’ont pas d’avenir, elles sont abandonnées.

Alors qu’une société ne peut pas prétendre au progrès si elle laisse ses femmes mourir en silence ou se faire humilier après une agression. Il est temps de lever le voile, de parler franchement, d’inclure tout le monde dans ce combat. L’objectif est d’en faire une priorité nationale de santé publique, avec des réponses concrètes.

Question : Selon plusieurs témoignages, le refus d’autoriser l’avortement médicalisé pousse de nombreuses femmes à recourir à des pratiques dangereuses. Que constatez-vous sur le terrain ?

Ndeye Fatou Diaw Touré : Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une femme qui a décidé d’avorter, le fera. Légalement ou illégalement. C’est la réalité. Et quand cela se passe dans la clandestinité, dans des conditions non hygiéniques, les conséquences sont dramatiques : infections, perforations, hémorragies, stérilité… parfois la mort. Certaines finissent mutilées, d’autres en prison.

Ce qui est encore plus cruel, c’est que ces femmes paient cher pour cela.

L’avortement clandestin est devenu un véritable commerce. Certaines dépensent des centaines de milliers de francs CFA pour des interventions non sécurisées, pratiquées dans des maisons sombres, avec du matériel douteux. Et cela, parce que l’État ferme les yeux sur leur souffrance. En ne leur offrant aucune alternative, on les pousse vers la mort ou l’illégalité.

Question : Et lorsque l’avortement échoue, certaines vont jusqu’à abandonner ou tuer leur enfant. Comment expliquez-vous ce désespoir extrême ?

Ndeye Fatou Diaw Touré : Ce n’est jamais un acte anodin. Si une femme en vient à jeter son enfant ou à l’abandonner, c’est qu’elle a atteint une limite. Ce bébé, elle l’a porté neuf mois. Mais elle ne ressent aucun lien, aucune compassion, aucune envie de le garder. Pourquoi ? Parce que cette grossesse n’a pas été choisie. Parce que la société l’a rejetée. Parce qu’elle n’a reçu ni aide, ni écoute.

Nous devons comprendre que derrière chaque avortement, chaque abandon, chaque infanticide, il y a une histoire. Une souffrance. Un vide. Il ne s’agit pas de juger, mais de comprendre. La société sénégalaise doit s’armer d’empathie, se mettre à la place de ces femmes et revoir son rapport à la maternité, à la sexualité, à la dignité humaine.

Question : Parlons de curetage. On voit que c’est une étape importante à faire quand une femme avorte, toutefois, il y a souvent des risques pouvez-vous nous en parler?

Ndeye Fatou Diaw Touré : Le curetage est une intervention pratiquée par un chirurgien gynécologique et qui consiste à gratter la muqueuse tapissant l’utérus : l’endomètre. il se réalise après un avortement. J’ai accompagné de nombreuses femmes avant. Si cette intervention peut s’avérer nécessaire dans certaines situations médicales. Trop souvent, les patientes ignorent les risques qu’elle comporte.

J’ai vu des femmes revenir quelques jours après l’intervention, souffrant de douleurs persistantes, de saignements inhabituels.

Le curetage est une opération qui consiste à rentrer un instrument appelé curette (sorte de petite cuillère métallique à bord tranchant) dans l’utérus. Il pénètre d’abord dans le col, le vagin puis dans la cavité utérine. À l’aide de la curette, le médecin peut gratter les parois de l’utérus et de récupérer la muqueuse endométriale, ou du contenu intra utérin (grossesse, débris placentaire).

Ces complications, bien que rares, sont graves.

Mais au-delà des effets immédiats, les séquelles à long terme sont parfois plus insidieuses. Dans les cas les plus graves, des adhérences se sont formées dans la cavité utérine, compromettant toute possibilité de grossesse. Mais même si le curetage reste un geste maîtrisé et très courant, il entraine parfois des effets sur la procréation. Car les adhérences peuvent empêcher la nidation de l’embryon, bloquer les trompes ou provoquer des fausses couches précoces. Et cela, malheureusement, on ne le dit pas assez.

Il est essentiel que les femmes soient informées. Le curetage doit rester une solution médicale encadrée, pratiquée dans des conditions strictes de sécurité et, surtout, expliquée en toute transparence. En tant que sage-femme, mon rôle est aussi de prévenir, d’éduquer et de soutenir. Car derrière chaque acte médical, il y a une femme, un corps, un avenir.

Question : Certaines sages-femmes, mal informées, dénoncent les patientes au lieu de les prendre en charge. Comment remédier à cette situation ?

Ndeye Fatou Diaw Touré : Cela relève d’un profond manque d’information. Beaucoup de sages-femmes ignorent qu’elles doivent d’abord sauver une vie, soulager une détresse. Elles pensent respecter la loi en signalant une tentative d’avortement, mais en réalité, elles ne disposent pas des bonnes informations.

Ce qu’il faut, c’est renforcer la formation continue.

Il faut que les responsables de santé, les cadres techniques, ceux qui participent aux rencontres et ateliers, transmettent l’information à la base. Les sages-femmes sont en première ligne, ce sont elles qui accueillent les victimes. Elles doivent savoir ce qu’elles peuvent ou non faire, ce que la loi permet, ce que les conventions internationales exigent. Il y a une réelle confusion juridique et morale. Cette confusion coûte des vies.

Question : Quel est votre message aux autorités, mais aussi aux journalistes et à l’opinion publique ?

Ndeye Fatou Diaw Touré : J’appelle les journalistes à s’impliquer. Vous êtes les porteurs de voix, les passeurs d’histoires. Avant d’être journalistes, vous êtes aussi des êtres humains, des sœurs, des mères, des pères, des frères. Vous avez un rôle à jouer dans cette lutte.

Nous demandons que le décret d’application du Protocole de Maputo soit enfin signé.

Il est temps de permettre un avortement sécurisé en cas de viol ou d’inceste. Il est temps de reconnaître que protéger les femmes, c’est protéger la nation. Et il est temps, surtout, d’ouvrir le débat, sans hypocrisie, sans peur, sans stigmatisation.

pressafrik

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Un commentaire

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