Après avoir séduit le public français, des émissions comme «Le Bachelor», «Secret Story», «4 mariages pour une lune de miel» et «Les reines du shopping» débarquent sur les écrans africains via Canal+ Afrique. Mais ces émissions, à l’origine conçues pour un public occidental, sont-elles réellement adaptées aux réalités africaines ? Pour le spécialiste des médias, Adama Sow, l’arrivée massive de ces émissions françaises en Afrique s’apparente à une nouvelle forme de colonisation culturelle.

Un vent de romance souffle sur Canal+ Afrique. Le groupe a lancé depuis le 15 juin dernier, pour la première fois en Afrique francophone, sa version africaine de Secret story, une émission qui réunit 15 candidats venus de 14 pays d’Afrique, confinés dans une maison en Afrique du Sud.

Mais aussi 4 mariages pour une lune de miel, une émission où 4 couples rivalisent pour organiser le meilleur mariage possible, Les reines du shopping, une émission présentée par la styliste sénégalaise, Adama Paris, et dans laquelle 5 femmes âgées de 25 à 70 ans et de styles différents, s’affrontent chaque semaine pour composer le look parfait avec un budget limité et un thème imposé.

L’autre émission de télé-réalité version africaine également retransmise sur Canal+ Pop, c’est Le Bachelor.

Dans cette émission également avec une touche panafricaine, le concept reste inchangé : un homme célibataire doit choisir parmi 20 prétendantes. La cérémonie de la rose, moment emblématique de l’émission, se tient à la fin de chaque épisode, et le Bachelor élimine progressivement les candidates jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une. Toutes ces émissions qui ont connu un succès en France, trouvent désormais un nouveau terrain de jeu sur les chaînes africaines de Canal+.

Toutefois, leur adaptation aux contextes locaux est loin de faire l’unanimité.

Pour le spécialiste des médias, Adama Sow, l’arrivée massive de ces émissions françaises en Afrique s’apparente à une nouvelle forme de colonisation culturelle. «Je pense que c’est une vaste entreprise, assez agressive d’ailleurs, concoctée par les multinationales médias françaises, à commencer par la tête de pont, le groupe Canal dans ses différentes composantes.

Ils ont même créé des chaînes de langue nationale.

Ils ont dégagé beaucoup de moyens pour produire des contenus locaux, que ça soit à Dakar ou Abidjan. Ils ont signé avec des maisons de production locales pour produire, coproduire, prendre même des actions. C’est une offensive, pour ne pas dire une recolonisation. Mais cette fois-ci, ce n’est pas une recolonisation politique ou par les armées, mais c’est une recolonisation par la culture et les médias, c’est-à-dire l’audiovisuel», explique Adama Sow.

Joint par Le Quotidien, M. Sow estime que ces émissions ne sont pas adaptées aux réalités africaines.

«C’est un placage. Ils prennent des concepts et les plaquent dans un contexte socio-culturel différent. Alors que pour certaines émissions, même dans le cas où vous les suivez, c’est ridicule. C’est un peu infantilisant pour nous parce que le rendu n’est pas bon. Je suis assez frustré à chaque fois que je regarde ces émissions parce que je sens que ça nous infantilise. Cultu­rellement et sociologiquement, ce ne sont pas des concepts qui sont adaptés chez nous.

Malheureusement, ils ont juste pris des concepts occidentaux et les ont littéralement reproduits sans même les adapter au contexte socio-culturel.

Et pour moi, c’est presque une insulte à la créativité», a-t-il soutenu. Adama Sow déplore également le manque de soutien des autorités africaines pour la production de contenus locaux. «On a assez de bons scénaristes, de bons créateurs de contenus qui peuvent concevoir des contenus plus adaptés. Mais nos autorités ne comprennent pas l’enjeu de la colonisation ou le caractère un peu monopole sur les productions de contenus.

Canal ne nous appartient pas mais nous inonde de contenus», argue-t-il, estimant que si les Etat africains avaient compris l’enjeu, ils auraient favorisé les sociétés de production et les médias audiovisuels locaux à produire des contenus qu’ils pourraient même exporter. Adama Sow appelle à une prise de conscience politique et culturelle. «Ce qui manque à nos autorités, c’est vraiment de donner un vrai respect à la culture africaine dans l’approche écriture des contenus. Les acteurs politiques ne pensent pas trop à la production audiovisuelle. Pour eux, ce n’est pas une priorité. Et ce que Canal est en train de faire en Afrique, c’est infantilisant», analyse-t-il.

«Ce sont des émissions qui contribuent à une dépravation des mœurs»
Judith Ekwalla, journaliste et présentatrice télé, qui a remporté le Prix de la meilleure production journalistique au festival Dakar Court 2021, partage cet avis quant à l’impact de ces émissions sur la culture africaine. «On a l’impression que le besoin était là. Mais en même temps, nous Africains, on embrasse tout et tout le temps alors qu’on n’est pas préparés à cela. On a notre culture, notre façon de faire et maintenant, ce qui est imposé par les occidentaux, c’est un peu une aliénation culturelle.

Il y a un risque et ce risque chez nous, c’est d’oublier qui nous sommes, d’où on vient», déclare-t-elle.

Critique de cinéma, Judith Ekwalla souligne également l’attrait des jeunes Africains pour ces programmes. «Les jeunes, surtout ceux qui sont assoiffés de la culture européenne, ils aiment, ils adhèrent à ces émissions. Maintenant, tout dépend des émissions. J’en ai regardé quelques-unes et je reste persuadée que ce sont des émissions qui contribuent à une dépravation des mœurs.» Jointe également par Le Quotidien, Judith Ekwalla s’inquiète de la dépravation des mœurs que ces programmes pourraient entraîner.

Elle cite en exemple Secret Story et Le Bachelor, soulignant l’inadéquation de ces formats avec les valeurs locales.

«Personne n’a envie de voir sa fille exposée dans une émission en train d’embrasser des objets déshabillés. On vend une image de la femme africaine qui n’est pas en réalité celle-là», fait-elle savoir, tout en protestant contre des émissions de ce genre en Afrique. Pour la journaliste, face à ces menaces, la solution réside dans l’éducation et la production locale.

«Il faut davantage éduquer nos enfants, nos jeunes filles à faire la différence.

La jeunesse africaine même est en perte de repères. Et nous devons travailler à cela pour qu’on sache véritablement qui nous sommes, quelles sont nos réelles valeurs et comment nous pouvons les promouvoir de la manière qui nous convient et qui convient à tout le monde. On ne peut pas tout avaler et tout accepter.

A un moment donné, il faut mettre un peu de limite», a-t-elle prévenu.

Sur les réseaux sociaux également, des internautes n’ont pas manqué de critiquer cette invasion des émissions en Afrique. «Une vraie catastrophe cette édition de 4 Mariages. Franchement arrêtez de faire honte à l’Afrique. Vous n’êtes pas obligés de copier les Occidentaux, surtout quand vous êtes incapables de relever le défi…», a vivement réagi Mireille Siapje sur la page Facebook du Canal Pop de l’émission 4 mariages pour une lune de miel.

lequotidien

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