«Lébou», premier long métrage de la réalisatrice Ndèye Soukeynatou Diop, projeté en hors compétition du Festival international du film documentaire de Saint-Louis 2024, a le mérite d’inviter à la réflexion sur le changement climatique, l’urbanisme et l’avancée de la mer à laquelle les Lébous de Bargny sont confrontés au point de les éloigner de leur territoire traditionnel.

Le film installe le débat et interpelle aussi autour de la question : «Comment rester lébou au 21e siècle ?»

Ce long métrage de plus d’une heure, tourné à Bargny, offre un portrait saisissant de la communauté léboue, confrontée aux ravages de l’urbanisation galopante, de l’avancée de la mer exacerbée par les changements climatiques.

La raréfaction du poisson est venue accentuer, ces dernières années, les flux migratoires et le déplacement des Lébous vers l’intérieur du pays ou en dehors du pays.

A travers des scènes bouleversantes, Lébou explore les tensions entre tradition et modernité, mettant en lumière les efforts des Lébous qui luttent pour préserver leur identité culturelle et cultuelle face aux pressions extérieures.

Sur la côte dakaroise, rappelle la réalisatrice, les vagues de la mer écrasent les maisons, labourent les cimetières et rognent considérablement les espaces de vie des Lébous au point de les éloigner de leur territoire traditionnel.

Pour Ndèye Soukeynatou Diop, cinéaste issue de cette commu­nauté, Lébou, c’est un témoignage de fierté et d’appartenance, une tentative de rappeler l’importance de préserver les richesses culturelles et identitaires.

«Ma communauté, population autochtone de Dakar, conservatrice, attachée à sa culture, à la mer et à son identité de pêcheur, doit faire face à la modernité et aux difficultés liées à la pêche. Tout cela a rendu fragile son ancrage à la religion traditionnelle et aux valeurs d’organisation sociale.

Ce film installe le débat et interpelle différents Lébous autour de la question : comment rester lébou au 21e siècle ?», explique-t-elle dans un entretien avec les médias, juste après les cafés-rencontres tenus au Centre Jangkom de Saint-Louis dans le cadre du Festival international du documentaire de Saint-Louis.

«Me prendre mon identité culturelle, c’est me tuer socialement…»
Ndèye Soukeynatou Diop a bien choisi les repères de son enfance, au quartier de Bargny, pour tourner toutes les scènes de son film avec une équipe 100% sénégalaise. Un choix qui n’a rien de fortuit pour elle, mais aussi avec la conviction qu’un film, c’est comme la vie, c’est rappeler des choses de la vie.

«J’étais à l’Ufr des Lettres et sciences humaines (Lsh) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où j’ai soutenu mon mémoire de Maîtrise sur la poésie de Senghor.

Donc, sur le processus de création de ce film, même quand je faisais de la littérature, je sentais ce besoin de raconter quelque chose. Et quand j’ai vu le Master de cinéma documentaire, je n’ai pas hésité à postuler. Et après avoir été sélectionnée, la première idée que j’ai eue, c’est de filmer la mer, la pêche et les activités économiques des Lébous, la communauté dont je fais partie.

Et j’en suis arrivée à ce long métrage. Et ce ne sont pas des gens que j’ai payés pour jouer des rôles, les personnages sont tous issus de Bargny», raconte Ndèye Soukeynatou Diop.

Et de poursuivre : «C’est cette fierté et cette appartenance que je tenais coûte que coûte à défendre. Pour moi, me prendre mon identité culturelle léboue, c’est me tuer socialement, culturellement.

Et je ne souhaite pas ça. J’aimerais que les Lébous continuent à rester lébous malgré les changements dus aux problèmes environnementaux, la technologie. Je veux vraiment qu’on conserve cette communauté dans tout son sens et son ensemble.»

«Il faut que l’on continue à rester lébou malgré les difficultés»
Le tournage de ce long métrage documentaire, débuté en 2014 à Bargny, offre un regard intimiste sur une communauté en lutte pour sa survie, confrontée à des défis sociaux, économiques et environnementaux sans précédent.

Et pour Ndèye Soukeynatou Diop, il est crucial de sensibiliser le public à ces enjeux, notamment au changement climatique et à l’urbanisation effrénée.

«Il faut que l’on continue à rester lébou malgré les difficultés.

Il y a toujours des industriels qui ne veulent pas arrêter de s’installer à Bargny malgré les luttes, les dénonciations. Il y a la pauvreté qui s’installe parce qu’on perd progressivement notre activité économique.

Et ce film est une œuvre artistique que je veux mettre au service de Bargny et des Lébous. J’espère bien que ça va contribuer à sensibiliser le public dans ce sens», dira-t-elle.

D’une certaine manière, le film de Ndèye Soukeynatou Diop réconcilie le public avec une vision avant-gardiste du cinéma, qui voudrait que le septième art ne soit plus seulement divertissement.

Il doit surtout aider à se cultiver et s’enrichir, interroger, conscientiser et plus encore…

Et au cœur du film, se trouve la dualité entre tradition et progrès, symbolisée par la coexistence des femmes transformatrices à côté de la centrale à charbon, la cimenterie de la Sococim et le port minéralier de Sendou, mais aussi l’usine de sidérurgie.

Ndèye Soukeynatou Diop semble vouloir rappeler ici que le cinéma sait, plus que toute autre chose, s’imprégner du futur des sociétés et des hommes, pour amener à se réinventer s’il le faut, à dire l’ineffable pour mieux se prémunir de l’inattendu et à s’armer face au danger.

«La centrale à charbon est devenue voisine de ces femmes transformatrices de produits halieutiques.

Elles sont obligées de respirer les poussières de charbon, et celles-ci noircissent même les poissons séchés étalés par les femmes. Auparavant, on pouvait en prendre et en consommer directement, mais actuellement on n’ose pas», dénonce la réalisatrice.

Ce long métrage de 62 minutes en version originale sous-titrée en français a été produit par Impluvium Productions de Sébastien Tendeng et monté au Centre Yennenga.

lequotidien

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