Après le lancement de la plateforme étoile ­africaine, en janvier 2022 et le magazine papier Etoile africaine en mars, Mame Dorine Gueye, directrice éditoriale de ladite plateforme a lancé la première d’une série de conférences. « Lingué », organisé en partenariat avec l’Institut français du Sénégal à Dakar, est un cadre d’échange, de partage, de construction de savoir et de ­­savoir-faire. Le thème de ce nouveau rendez-vous ­d’échanges portait sur : « La créativité face aux codes culturels ».

Au Sénégal, nourrir l’ambition de devenir un artiste ou un entrepreneur culturel est perçu pour beaucoup comme un manque d’ambition. Ainsi, les personnes ayant une sensibilité artistique sont livrés à elles-mêmes car considérées parfois comme déchus du système scolaire, universitaire. Elles ne bénéficient pas la plupart du temps d’un soutien de la part de leur famille et proches, ce qui freine le développement de leurs activités. Mame Dorine Gueye, directrice éditoriale de la plateforme Etoile africaine et initiatrice des conférences « Lingué », convaincue que la transmission est nécessaire à la pérennisation des connaissances et savoir, estime qu’il parait pressant de concevoir un espace de transmission de savoir et de savoir-faire.

Lingué dit-elle, est une série de panels de haut niveau animés par des acteurs de tout bord. « La créativité face aux codes culturels : ces codes culturels sont-ils des handicaps, un frein ou bien stimule-t-ils les créativités des artistes ? » C’est à ces épineuses que se sont efforcés de répondre l’écrivaine Mariétou Mbaye, plus connue sous le nom de Ken Bugul, Ousmane Ndiaye Dago, designer photographe et le commissaire d’exposition, Wagane Gueye. Ce dernier, a présenté la famille comme un obstacle où même un code culturel qui entrave à la créativité. Selon lui, le premier problème que rencontrent jeunes adolsecant.e.s désireux d’embrasser une carrière artistique, c’est la famille. Trop souvent dit-il, beaucoup de parents disent « non » à l’engagement de leurs enfants qui veulent franchir ce pas pour s’engager dans une formation d’artiste, de créateur.

Dans son argumentaire, il révèle que même s’il était d’une famille très ouverte d’esprit, sa mère aurait préféré qu’il soit un professeur de lettres au lieu d’être dans des expositions qui ressemblent un peu selon lui, a des risques. L’artiste signale que la société sénégalaise est très « conservatrice », très « démocratique ». Président de l’association d’échanges culturels les Ateliers du Vau, Wagane Gueye soutient que même si la famille constitue un frein continuel à la créativité, les mères sont plus compréhensives souvent car, dit-il, « elles sont beaucoup dans l’intuition, dans les concessions ». Mais ce qui est très contradictoire, regrette-t-il, « beaucoup d’artistes qui ont réussi font tout pour que leurs enfants ne s’intéressent pas à l’art ».

L’autocensure comme frein à la créativité
Pour Mariétou Mbaye, Ken Bugul de son nom de plume, l’exception confirme la règle. Son cas est un peu diffèrent car, dit-elle, elle n’a pas commencé à écrire en évoluant dans une famille. Ensuite n’ayant pas évolué dans une vraie famille, elle n’a pas été depuis tout petite dans un encadrement familiale ou on pouvait la conditionner à des codes. « Je n’ai pas connu de codes parce que je n’ai pas été éduquée, encadrée. Donc j’évoluait librement. Et quand j’ai commencé à écrire, j’avais déjà 35 ans. Donc je n’étais pas jeune. Et j’étais autonome, je vivais seule. Donc, c’était facile parce qu’il y avait aucune emprise sur moi », tranche-t-elle. Par contre, au niveau de la créativité en tant que telle, elle rappelle qu’en écrivant le Baobab fou, son premier roman, elle était dans une situation de précarité, aussi bien matérielle que physique, enfin existentielle, pour ne pas avoir répondu aux attentes aussi bien de sa famille que de la société.

« J’étais dans une telle urgence, une nécessité de m’exprimer que je n’ai pas réfléchi à ce que je vais écrire », raconte, celle qui dit vouloir avoir une vie bien à l’image de certaines copines de son village ou dans un autre environnement proche. « J’ai su quand Baobab fou est sorti, comment au Sénégal, la moitié des gens qui ont lu le livre m’ont carrément rejeté, marginalisé. Et une autre moitié a dit que c’était bien.», a-t-elle expliqué devant un public attentif. Très en verve, elle soutient que l’autocensure aussi est un frein à la créativité. Par rapport à la famille, Ken Bugul pense que la famille est un frein à tout. « La famille est le premier obstacle à l’individualité, à la créativité. Tel que nous la connaissons, la notion de famille ici au Sénégal peut constituer un frein. Mais le sens de la famille que nous avons est un peu en contradiction avec notre législation, avec l’émancipation », a-t-elle ajouté.

Et de poursuivre : « La famille noie l’individu dans le groupe. Dans une famille, on n’existe pas en tant qu’individu mais on existe en tant que membre d’un groupe où on essaye de s’organiser avec des codes socio-culturels pour qu’on vive ensemble ». A l’en croire, au-delà de ça, il y a un problème de crédibilité. « Pour créer, il faut une autonomie, une émancipation, une prise en charge qu’il faut assumer. Tous les grands artistes du monde ont galéré. Si tu ne galère pas, il va rester quelque chose de ta créativité parce que tu vas l’hypothéquer pour du confort. Donc émancipez-vous, si vous voulez créer », a-t-elle proposé.

La formation pour définir une politique culturel
Pour Ousmane Ndiaye Dago, designer photographe, on devient artiste après des études universitaires. Mais il déplore le fait qu’au Sénégal, sont considéré comme artiste les déchus du système scolaire. « On est chanteur, danseur, musicien, photographe si on n’a pas réussi à l’université », a-t-il expliqué en citant des artistes comme Fou malade, Dj Awadi, entre autres. Selon lui, ce qui manque aux artistes, ce sont les études académiques. Le designer photographe estime qu’il y a des freins à la créativité mais on peut les contourner.

« On est dans un monde qui est un gros village. Il faut contourner les codes mais d’une façon pas dérangeante », pense M. Ndiaye qui insiste sur la formation. « La formation, si ça n’existe pas, on n’avance pas. On devient tailleur parce que son père est tailleur, menuisier parce que son père est menuisier. Il faut changer le monde. Il faut aller à l’école. Mais si on reste dans ce truc on n’avance pas », constate-t-il et de préciser qu’il y a des normes qu’il faut respecter. « L’art aussi c’est des normes. Maintenant, pour être peintre, on peut être naïf ou autodidacte mais on peut aller aussi à l’école », conclut le designer photographe.

lequotidien

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