La 14e édition de la Biennale de l’art africain contemporain (Dak’Art), qui s’est tenue du 19 mai au 21 juin 2022 à Dakar, baisse ses rideaux. Directeur artistique de l’événement, El Hadji Malick Ndiaye, historien de l’art et conservateur du Musée Théodore Monod d’art africain, porte un regard positif, très prometteur sur l’art africain qui, selon lui, continue de surprendre et d’émerveiller.

De sa création à aujourd’hui, comment la Biennale de Dakar a-t-elle évolué ?
La Biennale de Dakar a été créée en 1990 parce que tout simplement, les acteurs de la société, les artistes en l’occurrence, avaient longtemps demandé qu’après le Festival mondial des Arts nègres de 1966, l’Etat du Sénégal mette en place une rencontre périodique de tous les artistes. Et c’est la raison pour laquelle la Biennale de Dakar a été créée en 1990. Alors, quand elle a été créée, c’était la Biennale des arts et des lettres. A l’époque, le principe c’était que si on devait avoir une biennale qui se concentrait sur les lettres, l’année suivante la Biennale allait se concentrer sur les arts. Donc les arts et les lettres devaient s’alterner. C’est la raison pour laquelle en 1990, on s’est concentrés sur les lettres et en 1992, sur les arts.

Mais tout de suite, le comité d’orientation a vu que ce schéma ne pourrait plus continuer parce qu’il fallait attendre 4 ans pour avoir les arts ou les lettres. Il a été décidé en 1994, qu’il n’y aurait pas de biennale et que ce serait une année de réflexion. Et suite à cela, la Biennale s’est concentrée exclusivement sur les arts et a changé de nom pour devenir la Biennale de l’art africain contemporain, qui a commencé à se tenir en 1996. Durant tout ce temps, ce qui caractérise la Biennale, ce sont les idées panafricaines. L’objectif principal, c’est de promouvoir l’art contemporain du continent et de sa diaspora. Parce qu’au début, c’était une biennale qui était ouverte au monde entier et ce n’étaient pas seulement les artistes africains qui étaient sélectionnés mais les artistes luxembourgeois, italiens, français, etc. Donc à partir de 1996, la Biennale se concentre sur les artistes du continent et de sa diaspora pour promouvoir leur art, avec des idées panafricanistes, et c’est ce qui nous a menés jusqu’en 2022. Etant entendu que les deux seules années où la Biennale n’a pas eu lieu, c’était en 1994 et 2020.

Pour cette année, la 14e édition vient de se terminer. Que peut-on retenir du Dak’Art 2022 ?
Cette Biennale de Dakar a suscité l’engouement total pour la simple et unique raison que c’était attendu depuis 4 ans. Pendant 4 ans, les habitués n’ont pas pu venir à Dakar pour voir les œuvres et expositions. Donc la Biennale de Dakar a été une plateforme d’échange, un réseau, parce que les artistes, à cette occasion, viennent ­rencontrer les collectionneurs, les critiques d’art, les conservateurs, les galeristes et les ­marchands d’art. Tous ces acteurs-là viennent à l’occasion de la Biennale et c’est ce qui fait évoluer l’espace créatif. Et les artistes confrontent leur travail aux travaux qui sont exposés. Donc nous avons eu une Biennale qui s’est bien passée et qui a suscité l’engouement de la presse nationale et internationale, avec des retours ­satisfaisants qui montrent que ­l’organisation a été bien faite. Et la sélection des artistes et la proposition de la carte curatoriale ont été bien reçues de manière globale.

Qu’est-ce qui a motivé le choix des 59 artistes de l’exposition internationale ?
Les critères, c’était avant tout la thématique qui avait été posée : «I Ndaffa/Forger.» Donc les artistes ont travaillé sur la base de ce critère et le jury s’est décidé sur le caractère plastique, l’originalité du travail, la base des matériaux utilisés, la perspective et le parcours de l’artiste, la constance de sa production, mais aussi sur la base de l’élan créateur qui anime son œuvre. Donc les critères peuvent être très variés mais dans tous les cas, le travail de l’artiste a été bien jugé. La diversité également des matériaux parce qu’on ne peut pas faire une sélection avec 80% de multimédia ou 80% d’installation, de peinture. Donc il faut quand même varier et tenir compte de la diversité des artistes qui viennent du continent pour équilibrer le maximum possible parce que l’objectif de la Biennale, c’est d’offrir une fenêtre de visibilité, de l’évolution, de la création à un moment T de l’histoire. Dès lors, il faut prendre tous ces facteurs et les étudier pour essayer de dénicher les artistes du continent qui font des choses extraordinaires. Mais le premier critère, c’est le talent créateur de l’artiste.

Le regard que l’on porte sur l’art africain demeure-t-il un regard exotique ?
Je pense que le regard ­exotique est derrière nous. Et c’était même le débat des années 90 jusqu’au début des années 2000. Aujourd’hui, les artistes sont présents dans les expositions. Il est difficile de voir une grande exposition internationale dans un grand musée ou dans une grande biennale ou triennale qui n’invite pas des artistes qui viennent du continent ou de sa diaspora parce que tout ­simplement, ces artistes ont dépassé tous les critères de ­cloisonnement et sont jugés comme des artistes qui font ­évoluer l’art contemporain dans les ­thématiques, les dispositifs, l’expérimentation innovante. Donc le caractère exotique, je ne pense pas que ça soit le débat aujourd’hui. Ce ne sont plus des questions que l’on pose sur la table. Ce sont des artistes ­africains qui participent à des expositions aux côtés d’artistes ­américains, australiens, chinois. On a des artistes qui font partis de ­l’écosystème mondial de l’art contemporain et qui font évoluer le ­système de l’art contemporain.

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’art africain en général et l’art sénégalais en particulier ?
En tant que directeur artistique qui a conduit la Biennale de l’art africain contemporain, c’est un regard très positif. C’est un regard qui est très prometteur parce que ces artistes-là sont animés d’une puissance, d’une énergie et d’un esprit créatif qui continue de nous surprendre et de nous émerveiller.

Existe-t-il des spécificités propres à l’art dit africain ?
Il n’y a pas de spécificité propre. Ce sont des artistes qui sont comme tous les artistes, qui peuvent toucher à toutes les thématiques, qui sont en dehors de toutes les catégories et qui sont banalisés de plus en plus partout. Maintenant, ces artistes qui habitent le continent sont touchés par des questions spécifiques qu’ils parviennent à traiter de manière très spécifique, parfois avec des matériaux qui sont dans leur environnement, qu’ils parviennent à recréer et à ré-enchanter. Dans tous les cas, ce travail peut être fait également dans son environnement propre par un artiste chinois, australien. Ça c’est la spécificité mais au-delà, les artistes voyagent partout dans le monde et ils empruntent des sujets, des matériaux, des manières et des techniques de dispositif au monde entier.

Comment voyez-vous le futur de la scène artistique sénégalaise ?
Cette scène se porte bien parce que nous avons une jeune génération qui émerge et la Biennale l’a montré d’ailleurs. Cette jeune génération qui émerge est totalement coupée disons de l’ancienne ­génération, dans le sens où ce ne sont pas les mêmes aspects qui les intéressent. C’est une ­génération des réseaux sociaux, Twitter, Facebook, d’internet, se trouvant dans un autre Sénégal très connecté et un Sénégal également complètement désincarné. Nous avons une jeune génération qui ­réinvente les pratiques artistiques. Dakar reste une plateforme incommensurable, une opportunité également pour tous ces artistes qui veulent s’exprimer, qui veulent développer leur créativité, et pour tous les acteurs et toutes les institutions qui veulent se rencontrer pour faire évoluer la création contemporaine.

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