Savoir dire stop ! Se mettre dans le sens historique du changement, travailler sans relâche et savoir que la rue n’est pas une amie fidèle, qu’elle ne sera pas toujours solidaire. L’histoire politique sénégalaise marquée par les quatre premiers chefs d’État met en évidence un pays qui a toujours su rester debout en dépit des coups durs endogènes et exogènes, parce qu’il a toujours su utiliser les ressorts de sa culture et ses traditions pour solder des comptes et veiller à l’intégrité du pays.
Les nouvelles autorités devraient s’en inspirer et comme l’a fait à raison dimanche dernier le Président Bassirou Diomaye Faye, elles devraient faire rêver les Sénégalais en étant elles-mêmes positives même si nous savons tous qu’il va falloir qu’on se retrousse sérieusement les manches, gardant à l’esprit que tout à un prix. Tout ! Comprendra qui voudra !
Léopold Sédar Senghor premier président de la République a traversé la « crise diaïste », une tentative d’assassinat en 1967, la grève générale de mai 1968, les chocs pétroliers de 1973 et 1979, la sécheresse de 1973 et 1979, l’exode rural, le multipartisme limité en 1976, les grèves estudiantines musclées de 1973, 1976, 77, 78, 79, la « détérioration des termes de l’échange ».
Les redoutables opposants Majmouth Diop, Dr Cheikh Anta Diop, Me Abdoulaye Wade.
La mort du brillant Omar Blondin Diop assassiné dans sa cellule à Gorée avec un drap qu’il n’aura jamais vu de ses yeux, faisant ainsi sauter la fumeuse thèse d’un suicide par pendaison. Le même Senghor a connu la première grève de l’électricité en 1979.
D’aucuns soutiennent qu’il aurait échappé à ce qu’ils considéreraient comme un coup d’Etat larvé en 1964 et d’autres fredonnés dans les années 1970. Ce qui lui fera prendre peur et quitter le pouvoir le 1er janvier 1981.
Au pire de la tension politique et sociale, l’opposition « entre le parti unique senghorien et la population civile a été pour le moins houleuse.
On dénombre de nombreuses grèves, manifestations et émeutes ayant conduit à plusieurs décès. Pour autant, le dialogue entre la majorité présidentielle et l’opposition n’a jamais complètement cédé. Senghor n’a jamais commis les erreurs des présidents Maurice Yaméogo au Burkina Faso et Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville à la même époque.
Ces derniers, ne supportant pas qu’on s’oppose à eux, ont tenté de museler les syndicats avant de se faire renverser par des manifestations populaires » relève Mathias Khalfaoui dans une réflexion qui vaut le détour.
Au pire moment de la tension politique et prémices des futures instructions sévères des institutions de Bretton Woods, Senghor a préféré partir, choisissant un Sénégal sauf et la vie.
Abdou Diouf, son successeur désigné, a connu:
_le multipartisme total en 1981,
_le début du conflit en Casamance la même année,
_les débuts du Plan d’ajustement structurel en 1986,
_la fuite des cerveaux,
_la crise policière de 1987,
_la présidentielle de feu 1988, la « jeunesse malsaine » selon ses dires,
_la crise mauritanienne de 1989,
_la dissolution de la Confédération Sénégambie la même année,
_les malaises footballistiques de 1986 (Caire) et 1992 (Dakar),
_l’explosion d’un camion d’ammoniaque ayant fait des dizaines de morts, le 24 mars 1992, à la SONACOS à Dakar,
_la crise politique de 1993 conduisant à l’assassinat du juge Babacar Sèye vice-président du Conseil constitutionnel,
_la dévaluation du FCFA en 1994,
_les évènements sociaux douloureux de 1996 auxquels participèrent les Moustarschidines,
_l’abandon du Budget de consolidation d’investissement,
_la chute vertigineuse de l’éducation rompue au double-flux,
_enfin le terrible et non moins sympathique opposant Me Abdoulaye Wade incarcéré en 1988 et 1993.
N’oublions pas les grèves de l’électricité débutées en 1979 et toutes les autres de 1981 1984.
Particulièrement celle de 1992 qui restera dans les annales. Trois jours sans jus. Le palais présidentiel plongé dans le noir. Beaucoup iront plus tard en prison. La décapitation des syndicats. Une formule nouvelle sous Diouf.
Arrivé au pouvoir le 19 mars 2000 à la faveur du second tour de la présidentielle, Me Wade élabore les « grands travaux du chef de l’État ».
Nous sommes dans l’ère du Wedi gis boki ci, même si l’exécution des projets confiée à l’Agence pour la promotion de l’investissement et les grands travaux (Apix) et à l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique (Anoci) font l’objet de vives polémiques relatives à la transparence, à l’orthodoxie de leur gestion.
Mais Me Wade ne commet surtout pas l’erreur d’installer l’alternance dans une logique de vengeance, il n’a pas de temps à perdre, même si l’on peut reconnaître à l’avocat la capacité à maquiller par le droit ses velléités politiques pour arriver à ses fins.
« Malgré ses critiques virulentes et constantes du régime d’Abdou Diouf, les principaux dirigeants socialistes et leurs familles ont échappé à la chasse aux sorcières. Wade a préféré utiliser les informations qu’il détenait sur ses adversaires pour les neutraliser politiquement ou les mettre au service de sa construction hégémonique », relève Momar Coumba Diop dans une revue d’article « Le Sénégal à la croisée des chemins ».
La politique est un art chez Wade, pour lui elle n’est pas faite que de tranchées. Chacun son style.
Face au front social, Wade propose l’expression non violente de l’expression sociale, ainsi débarquent le bracelet et le foulard rouge, ce qui n’exprime pas moins une soumission au désir du vieux.
Sauf qu’arrive très vite le drame du bateau le Joola (26 septembre 2022) et son record mondial de victimes, avec des responsables non identifiés et non jugés, après les fortes émotions de la CAN au Mali (finaliste) et de la Coupe du monde en Corée et au Japon (quart de finaliste). Du jamais vu.
Le « coup d’État rampant » d’abord, « debout » ensuite prêté par un certain Mahmout Saleh à Idrissa Seck, tout puissant Premier ministre, manque de basculer le Sénégal dans la folie.
S’ajoute aux misères de Wade la faillite de la Société des transports routiers du Cap-Vert (Sotrac). La nouvelle Constitution de 2021 ne change pas grand-chose dans la gestion des ressources publiques, tout comme la suppression et reconduction du Senat et de la CESE.
Talla Sylla passe sous les marteaux, ses agresseurs ne sont pas inquiétés.
Wade explose les recettes fiscales, l’État rentier naît au grand malheur des injonctions des institutions de Bretton Woods qui n’ont plus trop leur mot à dire. Cap sur le Moyen et Extrême Orient. Les pays riches du monde arabe et la Chine. Taiwan passe à la rubrique pertes et profits.
La discrimination salariale du Président Wade fait bouger en 2006 et 2007.
Les intersyndicales se radicalisent, les grèves se multiplient. Les industries broient du noir, les ICS fleuron de l’économie étouffent. Les déchets urbains jonchent la ville, la crise arachidière se déploie, les pluies hors saison font une hécatombe dans le cheptel, la paysannerie est désemparée, la corruption bat son plein. Les valises d’argent font de long trajet, un haut fonctionnaire du FMI est « valisé ».
Le célèbre journaliste investigateur Abdou Latif Coulibaly empêche de dormir.
La crise et les émeutes de l’électricité se mêlent aux déboires de Wade. Le dollar flambe, le prix du baril du pétrole explose après la crise alimentaire mondiale (2008), ensuite économique puis financière.
Il baisse les taxes et impôts.
Le Sénégal est au bord l’implosion par la faute du stockage des céréales en Russie, Inde et Chine. Près de deux milliards de personnes imposent leur dictat.
Tout est crise dans le monde.
L’immobilier tombe. On compare les années de 2008/2010 à la grande crise de 1929. L’annonce en grande pompe d’investissements à coup de milliards ne calme par la jeunesse déjà en mode migration clandestine avant qu’elle ne devienne « irrégulière ».
Elle ne voit pas l’argent venu d’Espagne, Italie en dépit des « grands retours ». L’arrivée d’Arcelor Mittal et autres brands ne change rien. L’opposition se rebiffe. Le Sénégal va mal mais tient bon.
C’est dans cette tempête d’émeutes de l’électricité (2009) et ras-le-bol populaire du pouvoir qu’arrive en 2012 Macky Sall qui va se la couler douce un bon moment.
Le prix du baril du pétrole tombe vertigineusement, avoisinant les 20 dollars le baril.
Du pain béni pour lui, ce d’autant que le dollar se négocie bien. Tant mieux pour la balance commerciale. Macky Sall et son administration ne répercutent rien aux populations. L’électricité est chère, le coût de production plombe les industries et entreprises. Il ne voit que ses travaux, le gouffre financier de la nouvelle ville Diamniadio à 60km de Dakar, à la valeur ajoutée quasi nulle.
Les sols faits pour le maraichage sont meubles. Il insiste quand même. Nous sommes encore dans le Wedi gis boku ci.
Arrive l’endommagement de la plus grande conduite d’eau en 2013. L’eau est coupée pendant des semaines. La coupure du réseau de distribution à la station de Keur Momar Sarr, à 200 km de Dakar fait monter la colère. Des manifestations spontanées éclatent, un peu plus d’un an après son arrivée au pouvoir.
Deuk bi da fa Macky disent les Sénégalais.
Il sort le Plan Sénégal Émergent. L’aéroport international Blaise Diagne cher à Wade croule sous le cout de construction. On parle de 525 millions d’euros avec un co-financement de la Banque africaine de développement.
Trop cher aux yeux de ses compatriotes.
Mais on n’a encore rien vu. La présidentielle de 2019 approche, le TER un gouffre financier de moins de 50 km de parcours sort d’Alstom mal en point sans qu’un rail ne soit placé.
On parle de de 451 milliards FCFA par-ci, de bien plus par ailleurs. Alstom se frotte les mains. Macky Sall l’a tiré d’affaire.
Vainqueur au premier tour de la présidentielle de 2019, le président réélu se voit déjà en course pour un troisième mandat. Ainsi commence un nouveau cycle qui va plonger le pays dans l’instabilité, ce d’autant que BBC dévoile dans la foulée de sa réélection un scandale dans le pétrole impliquant son frère Aliou Sall.
C’est l’affaire Pétrotim.
D’un peu moins de 45 milliards FCFA sous Me Wade qui a pourtant battu le rappel de l’augmentation de salaire et des recrutements sans compter la généralisation des bourses chez les étudiants, Macky dope la masse salariale des fonctionnaires, la faisant passer de 77,6 milliards FCFA en avril 2022 à 106,2 milliards un mois plus tard. Encore du jamais vu.
Il récidive en janvier 2024, à deux mois de la présidentielle, le pointant à 131,5 milliards FCFA selon l’ingénieur logiciel Arona Oumar Kane.
Le Sénégal de Macky Sall sort pourtant de la pandémie de 2020 (covid-19) et la guerre en Ukraine (février 2022). Rien ne justifie une telle décision, surtout pas notre économie d’importation.
On ne parle plus d’endettement mais de surendettement.
Macky Sall qui aura été il est vrai un énorme constructeur « falsifie les chiffres », procède à « un carnage organisé » des finances publiques, pire il « pille » les deniers, martèle le Premier ministre Ousmane Sonko.
Ne se présentant pas à la présidentielle de 2024 après l’instabilité politique qui a plongé de 2021 à 2024 le Sénégal dans le chaos, Macky Sall s’en va, laissant arriver au pouvoir son pire cauchemar, l’opposant radical Ousmane Sonko, qui a du mal à faire démarrer le moteur en dépit de toutes les promesses. La faute au legs de Macky Sall qui a « mis en ruine le pays ».
Dans la douleur commence la magistrature des nouveaux dirigeants.
La réalité est plus dure qu’ils ne croyaient. Sauf qu’aussi dure voire surréaliste qu’elle ne parait pour eux, la réalité de leur prédécesseur au regard de ce qui précède n’était pas une sinécure. Loin s’en faut.
Chacun d’eux a trimé, rivalisant d’ingéniosité, de probabilités et de combinaisons, pour trouver des solutions plus ou moins politiques, économiques, sociales.
Ne s’arrêtant pas sur le passé, regardant devant, ils ont essayé, ne parvenant sûrement pas à faire exactement ce qu’ils voulaient ou ce qu’il fallait, du fait sans doute de la corruption rivée à notre ADN, de leurs limites et insuffisances, des difficultés internes, du goulot d’étranglement orchestré par ailleurs.
Ils n’ont pas été pas forcément clean, ils ont beaucoup de choses à se faire reprocher, à se faire pardonner et, peut-être peu pour se faire remercier.
Par contre, ils ont eu tous un dénominateur commun : Ils n’ont pas perdu du temps. Mieux ils ont fait rêver, même si nous n’étions pas dupes. Alors faites-nous rêver !
Savoir dire stop !
Se mettre dans le sens historique du changement, travailler sans relâche et savoir que la rue n’est pas une amie fidèle, qu’elle ne sera pas toujours solidaire.
La récente histoire politique sénégalaise marquée par les quatre premiers chefs d’État met en évidence un pays qui a toujours su rester debout en dépit des coups durs endogènes et exogènes parce qu’il a toujours su utiliser les ressorts de sa culture et ses traditions pour solder des comptes et veiller à l’intégrité du pays.
Les nouvelles autorités devraient s’en inspirer et comme l’a fait à raison dimanche dernier le Président Bassirou Diomaye Faye, elles devraient faire rêver les Sénégalais en étant elles-mêmes positives même si nous savons tous qu’il va falloir qu’on se retrousse sérieusement les manches, gardant à l’esprit que tout à prix. Tout ! Comprendra qui voudra !
Maderpost / Charles Faye