Ils sont jeunes, ils sont élèves. Mais dans leur environnement, des faits s’accumulent et troublent leurs jeunes esprits. Dans les classes des établissements scolaires de Salémata, dans la région de Kédougou, les viols, les mariages précoces sont familiers pour les élèves.

A la faveur du festival des 72h de Slam et Poésie organisé par l’association Children for food de l’écrivain Moussa Seydou Diallo, ces jeunes ont saisi cette occasion pour exprimer leurs inquiétudes.

Les mots qu’ils utilisent dépassent certainement leur âge. Mais dans cet espace ouvert à l’allure de verger, ces mots raisonnent très fortement.

Ils secouent les certitudes et interpellent sur un mal que tous connaissent, mais que peu ont eu la volonté de dénoncer. Ces jeunes filles et garçons des écoles de Salémata, dans la région de Kédougou, ont eu cette volonté. Et le festival des 72h de Slam et Poésie est devenu le parfait écrin de ces coups de gueule. Ces coups de cœur.

A son âge déjà, Serigne Fallou Ba, en 4e au Cem de Salemata, s’inquiète du sort de sa jeune sœur, Ndèye Ndoumbé.

Conscient qu’il est des barrières qui s’érigent entre lui, le garçon, et elle, la petite fille destinée demain à se marier et mettre au monde des enfants. «Je voudrais qu’elle soit protégée, pas maltraitée.»

Ces mots, il les puise au fond de son cœur. Pour une quatrième édition, les 72h de Slam et Poésie de Kédougou, organisés par l’association Food for children (Ffc), se sont décentralisés dans le département de Salémata.

Sous le thème : «Lire pour lutter contre les violences faites aux femmes», l’évènement s’est déroulé les 17 et 18 mai derniers.

De jeunes élèves des écoles primaires et secondaires de Salémata se sont affrontés lors de joutes verbales de haute facture. Entre slam et poésie, ces jeunes esprits ont exploré les premières lignes du langage militant.

«Lutter contre les violences faites aux femmes» est ainsi revenu comme un leitmotiv, mais surtout une nécessité.

Il faut dire que malgré leur jeune âge, ces élèves semblent déjà avoir un large vécu sur ces maltraitances dont sont victimes les femmes et les jeunes filles. Violences conjugales, viols, mariages précoces, autant de fléaux qui frappent cette région du pays située à plus de 800 km de Dakar.

Dans cette zone enclavée, ce thème est d’une actualité brûlante dans la mesure où ces problèmes entravent souvent la scolarité des enfants.

Droit à la parole
Dans son petit monde, Fallou ne cesse de vivre des situations et des faits déstabilisants pour le jeune garçon qu’il est. Tout comme sa petite sœur, Ndèye Ndoumbé Ba. La jeune fille garde encore en mémoire le souvenir de sa brillante camarade de classe de Cm2, obligée par ses parents de se marier à un «vieux».

Ses pleurs, ses confessions au personnel enseignant ne réussiront pas à sauver cette jeune fille.

«Ses parents ont refusé d’écouter parce que c’est leur tradition. Après le mariage, elle est revenue à l’école, mais elle est tombée enceinte et elle a dû laisser tomber et retourner au village.» Une situation qui révolte la jeune élève qui exprime toute son impuissance face à une société où les femmes et les enfants n’ont pas droit à la parole.

«Nous sommes des enfants, nous ne pouvons pas intervenir quand ce genre de situation se produit. Les gens vont dire que nous manquons de respect à leurs parents. Si j’étais grande, je ferais en sorte de protéger les filles, j’organiserais des rencontres où elles pourraient partager leurs problèmes», assure-t-elle.

Dans le regard innocent de Fallou, des images ont commencé à s’incruster et ses oreilles en ont entendu.

Il y a quelques jours à peine, un homme du village voisin a été arrêté par la gendarmerie pour «détournement de mineure». Ces mots que Fallou reprend dans sa narration, il n’est pas certain que lui-même en comprenne le sens.

Dans la bouche de ces jeunes enfants de Salémata, les mots permettent tout seulement de nommer et de dire des choses, mais sans vraiment en appréhender le poids.

«Détournement de mineure, ça veut dire enlever la fille de son objectif alors qu’elle est à l’école et la forcer à faire quelque chose qui n’est pas bon.

Je suis contre ça», tonne le jeune Fallou. Ndèye Ndoumbé, la petite boule d’énergie qui est déjà prête à changer son monde, en est convaincue, quelque chose doit être fait. «Ici, personne ne s’occupe des filles.

Même si elles sont victimes de viol, elles ont honte de parler parce que les gens vont se moquer d’elles», dit-elle. Pourtant, de ces jeunes bouches, ne sortent que des mots puissants.

«Je suis une mère et une sœur ! Pourquoi mes larmes coulent ?» s’interroge Chantal Bidiar, élève en classe de 3e.

Dans sa langue maternelle, le bassari, la jeune élève interpelle, mais dit surtout son inquiétude face à un avenir incertain. «Nous, les hommes, avons le droit de rester à l’école.

Pourquoi les femmes n’auraient-elle pas ce droit ? Je veux un monde où l’égalité homme-femme est respectée. Si un homme est juge, la femme peut aussi l’être. La femme peux exercer les mêmes fonctions que l’homme», s’insurge Fallou Ba en pensant fortement à sa petite sœur.

Slam et poésie engagés
Dans la cour qui accueille ces festivités, ce ne sont pas seulement des élèves qui sont réunis, mais également des grands noms du slam et du conte. Meïssa Mara, Double Servo, Djawrigne Slameur et Aladji Lebone ont assuré le spectacle.

Ce sont également ces artistes déjà reconnus qui ont animé les ateliers de poésie et slam destinés à préparer les jeunes élèves aux joutes oratoires du dernier jour.

Au final, en rivalisant de mots, ces jeunes ont montré leur engagement contre les violences basées sur le genre. Après deux semaines d’encadrement des enseignants et des ateliers menés par des slameurs confirmés, ce sont Thierno Ndiaye du primaire, Rougui Bousso du collège et Coumba Diouldé Diallo qui remportent le Concours de slam et poésie de ces 72h dédiés aux arts oratoires.

lequotidien

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