Le Sénégal tend vers l’adoption d’une quatrième loi d’amnistie de son histoire, après celles concernant Mamadou Dia & Cie, la crise casamançaise et celle sur l’affaire Me Babacar Sèye. Mais cette pratique prévue par l’article 67 de la Constitution est perçue comme une loi favorisant l’impunité.

En Conseil des ministres, mercredi 28 septembre 202, le Chef de l’Etat Macky Sall, « abordant la consolidation du dialogue national et l’ouverture politique », a demandé au Professeur Ismaïla Madior Fall, Garde des sceaux, ministre de la Justice, « d’examiner, dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote ». Ce qui présage une quatrième loi d’amnistie au Sénégal au bénéfice de Khalifa Sall et Karim Wade, deux personnalités politiques de l’opposition.

« Après avoir volé l’argent des Sénégalais, assassiné des Sénégalais de 2012 à maintenant, ils veulent effacer leurs crimes économiques et de sang à travers une auto-amnistie », a réagi le député de l’opposition Guy Marius Sagna. Pendant ce temps, le leader de Gueum Sa Bobb, Bougane Guèye Dani, des observateurs et d’autres

acteurs de la vie politique, parlent « d’amnistie calculée », réclamant la « révision des procès ».

D’autres pensent que pour rétablir Khalifa Sall et Karim Wade, il y a d’autres moyens, autres qu’une loi d’amnistie, expliquant par exemple la révision du Code électoral, en ses articles L31 et L32.

Culture de l’impunité

Docteur en sociologie politique, Abdou Khadre Sanogo confirme cette « impunité ». Car, d’après l’analyste politique, « on n’amnistie pas des personnes, ici Karim Wade ou Khalifa Sall, mais des faits. Et une fois la loi adoptée, elle concerne les personnes déjà condamnés ou en train d’être poursuivis et celles qui seraient poursuivies pour un tel ou tel crime. Donc, tous ceux qui sont condamnés pour ces faits seront aussi libres », a-t-il fait savoir.

Dans son texte « Crimes de masse et lutte contre l’impunité : une approche historique », publié, en 2017, dans les Cahiers de la justice, la chercheuse française Sylvie Humbert distinguait « l’impunité de fait », qui résulte, selon elle, d’un conflit armé ou d’un coup d’État et « l’impunité de droit », qui se présente le plus généralement sous la forme d’une immunité garantissant l’impunité pour les fautes commises ou d’une amnistie prononcée au nom de « la réconciliation nationale ».

Et c’est dans cette dernière catégorie que certains spécialistes classent la loi d’amnistie si l’on sait qu’elle est une cause d’extinction de la peine, lorsqu’elle intervient après la condamnation, et d’extinction de l’action publique puisque, par l’effet de l’amnistie, le fait reproché perd son caractère délictueux. Les faits non découverts ne peuvent plus être recherchés et ceux qui sont découverts ne peuvent plus être punis. Des poursuites sont, malgré tout, possibles lorsqu’il existe une pluralité d’infractions qui n’ont pas été amnistiées. Et, d’autre part, l’action civile est toujours recevable pour obtenir une réparation, à travers les dommages-intérêts. Toutefois, l’amnistie peut être analysée comme une tentative de faire taire la parole et d’étouffer la mémoire. En définitive, la loi d’amnistie empêche les poursuites alors que les faits demeurent.

Loi Ezzan

A rappeler, d’ailleurs, que des réactions similaires ont été soulevées à la suite de l’adoption, le 7 janvier 2004, de la loi « Ezzan » proposée par Ibrahima Isidore Ezzan, député du Parti démocratique sénégalais (Pds), éteignant toutes les infractions commises dans la période du 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004, y compris l’affaire Me Babacar Seye, assassiné le 31 janvier 1993. En effet, après la décision du Conseil constitutionnel, rendue publique le 14 février, de déclarer en partie constitutionnelle ladite loi, la Fédération internationale pour les droits humains (Fidh) et ses organisations membres au Sénégal, (Ondh et Raddho), avaient exprimé leurs profonds regrets. Ces organisations avaient notamment exprimé « leurs préoccupations de voir consacrée par cette loi l’impunité dans l’affaire de l’assassinat du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, en 1993, mais aussi dans celle de l’agression d’un des leaders de l’opposition, Talla Sylla, en 2003. Avec la décision du Conseil constitutionnel, c’est désormais chose faite ».

Pire, disait-elles, « la loi Ezzan s’inscrit en parfaite contradiction avec le droit à un recours effectif devant une juridiction impartiale, garanti par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ratifiée par le Sénégal », annonçant, par conséquent, leur décision de saisir la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples par la voie appropriée.

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