L’art pour l’art n’existe pas vraiment. L’artiste chanteur Abou Thiam, Ngaary Law de son nom d’artiste, a fait sienne cette assertion. Son art est un moyen de plaidoyer pour les populations du bord du fleuve Sénégal.

L’artiste, qui se donne le nom de «Griot de l’eau», a lié son destin à cet élément qu’il chante inlassablement et glorifie à travers le Festival de l’eau. Un évenement qu’une collaboration avec le Festival mondial des arts nègres en 2010 a réussi à mettre sur la paille.

Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU  – Vous vous définissez comme le «Griot de l’eau». Vous chantez l’eau, vous avez même un festival consacré à cette thématique. Quel est ce lien ?
Depuis 2007, j’organise ce festival. Il faut dire quand même que depuis le début, je suis un artiste qui a toujours prôné le développement. C’est-à-dire accompagner tout ce qui est dynamique de développement à travers des thématiques comme l’environnement, les mutilations génitales féminines, l’alphabétisation, les réfugiés, le Sida, etc.

En 2007, j’ai commencé à réfléchir sur l’élément liquide comme disent les pêcheurs, et de là est parti le Festival de l’eau que j’ai eu à dérouler, notamment à Bow, à 9 km de Matam. C’est un festival qui a voyagé aussi bien dans le Matam que dans le Podor. Et il a donné naissance à d’autres projets, notamment le concours de chansons sur l’eau et l’environnement en Mauritanie en 2013.

Il a donné naissance à l’orchestre du fleuve Sénégal qui réunit 12 artistes des 4 pays de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (Omvs).

Le festival a aussi donné naissance à la publication d’un recueil de proverbes liés à l’eau qui, en 2010, était exclusivement en pulaar. Mais avec l’arrivée du Forum mondial de l’eau, il est devenu trilingue, c’est-à-dire que c’est un recueil de proverbes liés à l’eau mais en version anglaise, française et pulaar et illustré avec des photos du Festival de l’eau.

La place de l’eau dans cette région est assez importante avec le fleuve Sénégal. Mais quelle est la situation de ce fleuve aujourd’hui ?
C’est un paradoxe. Il y a peu, j’ai animé une soirée avec le conteur Zoumba Sow de Saint-Louis, qui vient d’être consacré Trésor humain vivant par l’Unesco. Cet atelier réunissait des acteurs de l’eau des 4 pays de l’Omvs pour réfléchir sur les problématiques. Autant le fleuve est là, l’eau est là, autant cet élément liquide pose énormément de problèmes. Des problèmes d’accès à l’eau même parfois.

Dans certaines parties comme la Falémé, on est agressés par la démarche des orpailleurs. Il ne faut pas oublier aussi que cette eau, quand elle est accessible, présente des dangers comme la bilharziose ou les maladies diarrhéiques. Donc, nous avons la chance de l’avoir, mais il faudrait davantage aller vers une bonne gestion, une Gestion intégrée des ressources en eau (Gire).

Cette bonne gestion fait-elle défaut ?
Absolument. Tout n’est pas rose. Il y a beaucoup de problèmes, mais l’expérience de l’Omvs fait partie des rares expériences où 4 pays se mettent ensemble pour gérer collectivement cette ressource.

La pêche aussi est un problème sur le fleuve. Il n’y a plus beaucoup de poissons…
L’agression de l’homme se fait sentir partout, mais il y a une dynamique qui se redessine avec le Programme d’urgence pour la modernisation des axes frontaliers (Puma). Il y a des projets de restauration et de repeuplement des eaux du fleuve pour faire revenir ces poissons qui ont disparu.

Vous êtes un ar­tiste. Quand vous embrassez des causes de ce genre, cela veut dire que vous n’envisagez pas votre art uniquement pour divertir ?
L’art pour l’art n’existe pas en réalité. Ça dépend de ce qu’on a comme objectif, mais l’art a toujours été au service d’un idéal. En tant que musicien de Gauche vers les années 79-80, je suis resté dans cette dynamique en me disant que mon art, je dois le mettre au service de ma communauté, à travers les préoccupations de ma communauté.

Bientôt d’ailleurs, nous allons fêter les «Géantes invisibles», un concept qui est né au Fouta l’année dernière et qui consiste à voir quelles sont les femmes du Fouta qui sont engagées aux côtés de leurs communautés, les réunir quelque part, les célébrer et parler d’elles, les mettre sous la lumière.

Quels sont vos projets actuellement ?
Je travaille sur la relance du Festival de l’eau. Il faut dire que le festival a eu des problèmes en 2010 quand il y a eu cette connexion avec le Festival mondial des arts nègres de Dakar, qui nous a mis à terre. Depuis, on tente de se relever.

Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ils n’ont pas respecté les clauses alors qu’on avait investi tout ce qu’on avait. Depuis le départ de Abdoulaye Wade, on n’en parle pas. Le Fesman nous doit toujours 20 millions 800 mille francs. C’est devenu compliqué après ça, d’organiser le festival. Déjà que capter des financements n’est pas évident, peu de sociétés, de produits accompagnent les évènements culturels.

Quand j’entends parler de sponsoring, ça n’existe pas. Ce qu’il y a, c’est du copinage. Quand on reçoit une aide d’une structure, c’est parce que d’une façon ou d’une autre, on est connecté au directeur. Mais cela ne doit pas se passer comme ça.

Le mécénat d’art n’existe pas au Sénégal ?
Timidement en tout cas.

Vous artiste, comment arrivez-vous à vivre de votre art ?
C’est difficile. On fait des acrobaties. J’ai la chance peut-être d’être sollicité à cause de ma démarche. Il y a aussi nos droits d’auteur qui nous aident un peu, mais ce n’est pas évident. Actuellement, on a confié à Ngaary Law, ma structure qui est formelle depuis 1989, l’organisation du premier Festival de Mery, une commune du département de Podor.

Le Fouta est quand même une région où le niveau de développement n’est pas aussi élevé qu’on pourrait le penser…
Les choses bougent, mais timidement. Je viens du Fouta et je sais qu’en termes de transport, de réseaux routiers, beaucoup de choses ont bougé dans ce sens, mais il y a encore énormément de choses à faire au niveau de l’éducation, de la santé et de la culture. La culture est toujours le parent pauvre. Et au Fouta, ça ne bouge pas. C’est encore plus accentué même.

J’ai une expérience avec 47 utilisateurs de Xoddu (instrument traditionnel à cordes du Fouta) qui se sont mis en réseau.

Mais ils vivent au Fouta, ils sont connus là-bas, mais ce n’est pas l’art qui les fait vivre. Ce sont des gens qui, en fonction de leur profil, sont des éleveurs, des agriculteurs ou des pêcheurs. C’est ce qui nous a donné l’idée de les mettre ensemble et de voir comment les artistes, à l’image de Ngaary Law, peuvent mener des projets de développement.

lequotidien

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