Le Sénégal enregistre 1500 nouveaux cas de cancer du sein et 1000 du col de l’utérus, chaque année, selon la Ligue sénégalaise de lutte contre le cancer (Lisca). Ainsi, le constat établi est que cette maladie fait bien des ravages. Même si les femmes sont les plus exposées à cette maladie, les hommes aussi ne sont pas épargnés.

Pr Ibrahima Ka, enseignant-chercheur à l’Ucad, chirurgien généraliste et directeur du Centre national d’oncologie de Diamniadio, fait le point et donne les bons gestes à adopter pour se prémunir du cancer.

Pr Ka, on est en Octobre rose, quelle est la situation du cancer dans le pays ?
Le cancer rentre dans le cadre des pathologies non transmissibles. Vous savez que depuis un certain nombre d’années, le combat, c’étaient les maladies infectieuses. Et depuis quelques années, il y a ces maladies non transmissibles qui ne sont pas des maladies infectieuses, et parmi lesquelles le cancer qui affecte beaucoup de personnes de par le monde, et le Sénégal n’est pas épargné parce que, d’après les données qu’on a d’un institut qui s’appelle Globocan (The Global cancer observatory, qui vise à fournir des estimations régulières de l’incidence et de la mortalité pour 28 principaux cancers dans 184 pays), il est attendu des milliers de cas par an au Sénégal.

Pourquoi on parle plus des cancers féminins, y a-t-il une explication ?
Effectivement, on a l’habitude de parler de ces cancers féminins parce que, tout simplement, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent dans le monde. Donc, à côté du cancer du sein, il y a aussi le cancer du col de l’utérus.

Alors, nous au Sénégal, nous avions établi un registre national du cancer, dans lequel il fallait répertorier au niveau de toutes les structures de prise en charge du cancer, les types de cancer et le nombre. Et on s’est rendu compte que sur ce registre-là qui a été enregistré de 2010 à 2015, si on fait le classement par organe, le cancer du sein était en premier, et en deuxième, nous avions le cancer du col de l’utérus.

C’est pourquoi la majeure partie des stratégies que les sociétés partenaires, les associations de patients et la Ligue sénégalaise de lutte contre le cancer (Lisca) mènent, sont axées sur ces cancers féminins, notamment le cancer du sein et celui du col de l’utérus.

La Lisca fait de la sensibilisation, la vaccination contre le cancer. Y’a-t-il une avancée ? Vous le constatez ?
Effectivement, dans le cadre de la prévention du dépistage, il y a des avancées parce que, avant, il n’y a qu’à Dakar qu’on pouvait faire par exemple une mammographie. Aujourd’hui, avec l’intervention du ministère de la Santé et de l’action sociale, presque dans toutes les régions, on peut faire la mammographie. Avant, le dépistage ne passait pas bien car les gens ne s’approprient pas le dépistage du cancer.

Aujourd’hui, c’est le cas parce que la moitié de la population, en tout cas les jeunes et les moins jeunes, est en train de faire du sport. Et si vous remarquez, de plus en plus, les Sénégalais font attention à ce qu’ils mangent. Il y a quelques années, ça n’existait pas.

Déjà, les gens commencent à comprendre. Autre chose, pendant le mois d’octobre et au-delà, on reçoit beaucoup de consultations de femmes qui viennent parce qu’elles s’inquiètent. Alors, ça veut dire que l’autopalpation est rentrée dans la pratique et que les femmes pensent à le faire.

Sur le plan de la politique sanitaire, on a eu la construction de beaucoup de structures avec leurs équipements. Il y a le Plan national de lutte contre le cancer aussi au niveau du ministère de la Santé. Il y a également des associations telles que la Lisca et les autres. Il y a les professionnels de la santé aussi qui portent le plaidoyer et puis font tout pour sensibiliser les populations.

Et je pense que c’est en train d’évoluer dans le bon sens et que c’est rentré dans nos pratiques, surtout en ce qui concerne le cancer du sein parce que, en octobre souvent, les femmes se bousculent ici pour venir faire la consultation, donc le message est déjà passé. Il est rare de voir aujourd’hui des femmes qui ignorent le cancer du sein. Du côté du cancer du col de l’utérus, il y a aussi des avancées notoires.

On a mis en place le vaccin contre le Papillomavirus humain (Hpv) parce que le cancer du col de l’utérus est d’origine infectieuse pour une grande partie. Donc, il suffit de vacciner les adolescentes contre cette infection virale, ça leur évitera de développer l’infection, et du coup éviter le cancer du col de l’utérus.

Il y a un Plan national de lutte contre le cancer qui est là depuis plusieurs années et qui déroule ses activités. On a assisté aussi à la construction et à l’équipement de nouveaux hôpitaux, notamment à Kaffrine, Sédhiou, Kédougou et Touba. Dans chaque hôpital, il est prévu une structure qui prend en charge le cancer, avec notamment l’installation d’une radiothérapie au niveau de Touba.

En dehors de Dakar, actuellement, c’est Touba qui prend en charge le traitement des malades. Déjà, c’est une avancée notoire dans la prise en charge si on sait qu’avant tout se concentrait dans un seul hôpital. Donc, il y a un début de décentralisation et la politique publique aussi accompagne beaucoup le traitement de ce cancer. En dehors de ça, il y a les subventions.

Maintenant, la chimiothérapie et la radiothérapie sont subventionnées. Et pour coiffer le tout, dans le cadre du Plan Sénégal émergent, il y avait un projet phare, c’est la construction d’un centre national anti-cancer qui est dénommé le Centre national d’oncologie de Diamniadio.

Bien sûr, dans les dispositifs de prise en charge, il y a le Centre national d’oncologie dont vous êtes le directeur. Où en est-on ? Comment avance-t-il ?
Il sera un hub de technologie qui va prendre en charge les cancers en général. De la prévention, du dépistage jusqu’aux soins palliatifs, en passant par les soins curatifs. Mais aussi mettre l’accent surtout sur la prévention.

C’est un projet très ambitieux de 105 millions de dollars, financé par l’Etat du Sénégal avec la coopération coréenne, et qui va établir ce centre, construction clé en main, avec tous les équipements qu’il faut qui vont tourner autour de la radiothérapie, la chimiothérapie, la médecine nucléaire et la chirurgie, mais aussi toutes nos spécialités chirurgicales qui traitent les cancers les plus fréquents dans le pays.

Donc, ça va nous permettre de chapoter les autres structures, de coiffer tout et d’avoir un niveau national de prise en charge de ces cancers au Sénégal.

 Beaucoup de choses vont changer avec ce centre-là ?
Effectivement, ça va changer beaucoup de choses. Déjà, il y a le fait que ce centre soit à Diamniadio. Autre chose, il est prévu de construire une maison pour les accompagnants des malades.

Donc, ils seront vraiment à l’aise là-bas et on aura des spécialistes pointus qui vont avoir le matériel qu’il faut. Donc, le plateau technique qui est moderne, actualisé pour pouvoir prendre en charge les catégories du cancer.

 La fermeture de Le Dantec et l’éparpillement de certains services n’ont pas impacté la prise en charge des patients ?
Il faut savoir que la fermeture de Le Dantec a été programmée et accompagnée. En réalité, les malades ont été dispatchés dans divers hôpitaux. Au début, il y avait quelques difficultés.

Nous avions à l’époque tenu quelques réunions dans ce sens et ça nous a permis très rapidement de s’adapter et de recaser les patients, et continuer donc la prise en charge puisque l’hôpital Le Dantec est aussi en chantier.

Si on arrive à le terminer, ce sera aussi un pôle d’excellence qui va permettre de prendre en charge de manière moderne les cancers et même d’autres pathologies.

Ce sera sans doute une répétition, mais elle est nécessaire : quels sont les bons réflexes à avoir pour la prise en charge du cancer ?
Le cancer, j’ai l’habitude de le dire, est la maladie la plus démocratique parce que, en réalité, c’est une anomalie au niveau du matériel génétique. Mais en tout cas, l’anomalie au niveau génétique est constante.

Alors, en matière de cancer, ce qui est important, c’est la prévention et le dépistage, surtout pour les cancers du sein et du col de l’utérus. La prévention du cancer du sein est très simple. Il suffit de faire l’autopalpation des seins, qui est conseillée chez les femmes après avoir vu leurs règles, de palper leurs seins et de voir s’il y a des nodules ou quelque chose d’inhabituel.

Et s’il y a quelque chose d’inhabituel, il faut aller voir un professionnel de santé pour faire les investigations qu’il faut. En dehors de l’autopalpation, il y a ce qu’on appelle la mammographie, qui est un examen radiologique qui permet de mesurer la densité du tissu mammaire. Le tissu mammaire a une certaine densité.

Donc, il y a une fourchette normale qui est acceptée. Alors au-delà, s’il y a des opacités ou des images inhabituelles ou une augmentation de la densité, il y a peut-être une boule dans le sein.

Et dans ce cas, il faut aller voir un praticien pour faire les explorations qu’il faut. Pour le cancer du col de l’utérus, c’est surtout la vaccination. Il faut qu’on veille à cette vaccination des adolescentes, et ceci nous permettra un jour d’éradiquer complètement ce cancer-là au Sénégal.

lequotidien

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