Un collectif de médecins propose de modifier la stratégie actuelle de santé publique pour combattre les addictions. Tenir compte du terrain en visant des objectifs atteignables dans la réduction des risques et non l’idéal de l’abstinence.

Halte à la tyrannie du tout ou rien. Pour réduire le nombre d’accidents sur les routes, on n’oblige pas les automobilistes à arrêter de conduire. On leur fait boucler une ceinture de sécurité et la vitesse est limitée. Contre les cancers de la peau après bains de soleil, les plages ne sont pas interdites, mais il est recommandé de porter chapeau et lunettes, outre adopter une crème anti-UV.

Pour les addictions, qui tuent beaucoup plus qu’on ne pense (lire encadré « Alcool et tabac, près de 120.000 morts »), la stratégie de réduction des risques devrait être la même. Celle du « step by step, du pas à pas », insiste William Lowenstein, président de SOS Addictions et co-signataire d’une tribune début novembre (1).

Et de rappeler ce à quoi les médecins sont confrontés : « Quand nous diagnostiquons une addiction, nous n’avons pas – ou rarement – devant nous le malade parfait qui accepte l’abstinence. Si nous voulons aider tous nos patients, nous devons sortir de la tyrannie de l’idéal : proposer une philosophie de santé qui tienne compte de la réalité du terrain, donc du plus grand nombre ». Mieux cerner comment proposer des objectifs atteignables.

Alcool et tabac, près de 120.000 morts
Une véritable hécatombe. Tabac et alcool, addictions majeures, provoquent maladies cardio-vasculaires, cancers, accidents, voire suicides… près de 120.000 morts par an à eux deux, en France. 75.000 décès par an dus au tabac (12 millions de Français fument régulièrement), via 16 cancers différents, poumon, vessie, sein, col de l’utérus, rectum, colon, larynx, cavité buccale, rein… ; 41.000 décès par an pour consommation excessive d’alcool.

« A l’échelle de la planète, il y a 800 millions de décès prématurés, selon l’OMS » rappellent les signataires de la tribune citée ci-contre. La prise en charge de ces addictions est clairement un enjeu majeur de santé publique en France mais aussi dans le reste du monde.

Santé Publique France adopte déjà ce slogan : « Pour votre santé, l’alcool c’est deux verres par jour et pas tous les jours ». Difficile en effet de stopper les comportements qui procurent du plaisir : fumer, boire, manger du sucre, du gras, du sel… « La loi du tout ou rien ne marche pas » insiste Imane Kendili, psychiatre, addictologue, présidente de l’African Global Health, co- organisatrice de la 2ème édition de la « Conférence africaine sur la réduction des risques en santé », qui s’est tenue fin septembre à Marrakech.

« C’est pourquoi 50 pays africains, 2 pays asiatiques, et 1 pays d’Amérique du sud [sur les 80 pays présents] ont signé un plaidoyer en faveur de la réduction des risques, plus adaptée et réalisable », fait-elle remarquer.

La crise Covid est passée par là. Elle a fait prendre conscience des risques globaux, de la nécessité de rendre le « citoyen impliqué et responsable, préservant sa santé ». On connaît l’inquiétude d’aujourd’hui, en particulier avec le changement climatique, d’avoir à faire face demain à de nouveaux virus.

« Si tout le monde se rue en même temps dans les hôpitaux, c’est catastrophique même dans les pays les plus riches. Si nous sommes tous malades, c’est l’économie mondiale qui est perturbée », souligne Imane Kendili.

Une évaluation scientifique nécessaire
La lutte contre l’addiction au tabac est exemplaire. Si l’on considère que l’injonction « tu fumes ou tu ne fumes pas » ne marche pas, comment réduire le risque ?

« La e-cigarette doit être considérée comme un produit à risques réduits », avance le Dr Alain Toledano, cancérologue, radiothérapeute à l’Hôpital Hartmann (Neuilly-sur-Seine) et président de l’Institut Rafaël. En effet, la membrane de certaines cigarettes électroniques est conçue pour empêcher la combustion, cette dernière atteignant dans les vraies cigarettes de hautes températures (400 à 800°C), qui provoquent l’émission de dizaines de composés volatiles cancérigènes.

Problème : les cigarettes électroniques étant considérées comme des produits du tabac, il est impossible d’en faire la promotion.

A noter que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), composé de 18 députés et 18 sénateurs, trouve urgent d’évaluer scientifiquement si les cigarettes électroniques, le tabac chauffé, les sachets de nicotine, etc. peuvent s’inscrire dans la stratégie de sevrage tabagique.

Selon la seule étude indépendante française sur le tabac à chauffer, financée par l’INCa et conduite par l’Institut Pasteur de Lille, celui-ci « pourrait être moins nocif que la cigarette traditionnelle, tout en étant considérablement plus nocif que la cigarette électronique ».

Et dans la seule étude indépendante relative aux sachets de nicotine, l’ »Institut fédéral allemand d’évaluation des risques » estime que « pour les fumeurs, le passage aux sachets de nicotine pourrait représenter une réduction des risques pour la santé ». Encourageant. Reste la réalité du terrain. « Le geste, donc la partie comportementale de l’addiction, est primordial pour beaucoup de patients », rappelle William Lowenstein.

« La e-cigarette arrête la combustion mais elle active, aussi, le circuit de la récompense dans le cerveau ».

Alors même qu’une étude réalisée en 2020 par l’Institut Pasteur de Lille a effectivement montré que la vape diminue les risques de 88% à 99% par rapport à la cigarette (résultat confirmé récemment par la revue internationale Cochrane), il faut apprendre à utiliser au mieux cette e-cigarette !

L’addictologue souligne ainsi que l’on peut « diminuer progressivement la dose de nicotine à ajouter au e-liquide. Finir par vapoter seulement du e-liquide, et petit à petit arrêter de vapoter et réussir son sevrage ».

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