Ce jeudi après-midi, les comédiens sénégalais de «Brrr Production» ont distillé leur interrogation sur le féminisme, sur la scène du Théâtre Al Hamra de Tunis.

Auteure et metteur en scène de cette pièce d’une heure trente minutes présentée en hors compétition aux 24es Journées théâtrales de Carthage, Bérangère Brooks explique que même si le mot féminisme dérange certains, le spectacle vise avant tout à susciter le débat sur la place de la femme dans la société sénégalaise.

Vous venez de présenter ici à Tunis «Mondial.e.s», un questionnement autour du féminisme. Qu’est-ce qui a poussé à cette création ?
C’est un questionnement sur le féminisme et la place de la femme dans la société sénégalaise. Notre spectacle précédent, Le débat, parlait déjà un peu de la place de la femme dans la famille, le mariage, etc. Et puis c’est un prolongement de ça, cette idée de monter une association féministe au Sénégal et en regardant aussi ce qui se passe ailleurs.

Je suis quand même très intéressée par la mondialisation, les liens entre le Sénégal, l’Afrique sur ces questions-là. C’est sous cet angle qu’on a monté le spectacle.

Dans la pièce, on se rend compte quand même que féminisme, c’est le mot qui pose problème…
C’est le mot qui fait mal. Pas qu’au Sénégal. En Europe, c’est pareil. On a du mal à dire «je suis féministe», c’est comme si c’est un gros mot. Les femmes ont peur de le dire et on plaisante un peu dessus, mais c’est vrai qu’on peut trouver d’autres mots si on ne veut pas le dire, comme elle le dit à la fin du spectacle.

Mais c’est quand même pour l’égalité des hommes et des femmes tout simplement.

Il y a quand même des situations caricaturées ou bien vous êtes restée dans la réalité de ce qui se passe ?
C’est quand même dans la réalité, mais la manière de le mettre en scène… C’est imagé parce qu’on est beaucoup dans l’absurde et le rire, mais ça part de choses réalistes, de vraies situations.

Vous avez eu l’occasion de présenter ce spectacle à Dakar et dans les régions. Comment a-t-il été reçu ?
Très bien. C’est un spectacle qui tourne et qui marche bien. Souvent, on fait des débats, des discussions à la fin. Ce genre de spectacle, c’est pour ouvrir le débat dans la société en fait. Ce n’est pas spécialement pour donner un message, mais c’est plutôt pour montrer les choses comme elles sont et après, que les gens discutent.

Et c’est donc plutôt bien reçu. Tout le monde n’est pas d’accord sur le féminisme, mais on en parle.

Et pour parler de théâtre en général, on a l’impression qu’au Sénégal, il n’y a plus beaucoup de compagnies professionnelles…
Ça revient un petit peu je crois. J’ai l’impression que ces dernières années, il y a de jeunes compagnies, notamment en banlieue, qui travaillent. Il y a un élan de jeunes qui arrivent à monter des choses. C’est mieux qu’il y a dix ans.

C’est un problème de structuration, de moyens…
Un problème de formation. Il n’y a pas de formation au Sénégal pour devenir acteur, metteur en scène, rien en écriture. C’est difficile de ne se former que sur le tas.

Vous avez le soutien des autorités ?
Pas des autorités, non. Moi je trouve du soutien sur place, mais ce sont des fondations, des organismes culturels internationaux qui nous soutiennent.

On se rend compte aussi que la majorité des comédiens sont dans des séries. Le spectacle vivant en souffre quand même non ?
C’est pour eux une manière de gagner leur vie. Et ce n’est pas ce qu’ils préfèrent. Souvent les comédiens préfèrent venir faire du théâtre, mais le problème, c’est que les séries, ça paie.

Donc, c’est aussi important de gagner sa vie quand on est comédien et il y a beaucoup de compagnies de théâtre qui n’arrivent pas à monter des projets et qui n’arrivent pas à payer les comédiens, les payer correctement pour qu’ils arrivent à en vivre. Donc beaucoup d’acteurs font beaucoup de séries pour pouvoir aussi faire du théâtre à côté.

Que faudrait-il faire alors pour que le spectacle vivant soit aussi attrayant que les séries ?
Je pense qu’il faut de l’argent, c’est sûr. Parce qu’il faut les faire tourner. Nous, on joue beaucoup dans les écoles par exemple. Il faut aussi aller dans les régions. C’est ce que nous, nous faisons. Et dans la dernière tournée, on a eu beaucoup de monde dans les régions parce qu’on y va tous les ans.

C’est de montrer au public ce qu’est le théâtre, que le théâtre peut être drôle. Les gens ont aussi une idée du théâtre un peu vieille. Les jeunes ne savent pas parce qu’ils ne sont jamais allés. C’est quand même bien de poser des spectacles de qualité qui ont des choses à dire.

Moi j’utilise beaucoup l’humour, mais on peut utiliser d’autres expressions qui attirent les jeunes et surtout leur parler de choses qui les intéressent. C’est essentiel. Si vous parlez de choses qui n’intéressent pas le public, pourquoi il viendrait au théâtre ?

Dans votre processus de création, comment ça se passe ?
Je travaille beaucoup à partir de recherches, sur un thème comme ça, des interviews. Je travaille dans mon coin pendant des mois, ensuite je convoque les comédiens. Je choisis parmi les comédiens que je connais. Et on travaille, mais eux ne savent pas au départ de quoi ça parle.

On travaille sur les images, etc. Petit à petit, j’amène le fonds, mais moi je sais ce que je veux d’eux et je trouve que c’est plus intéressant qu’eux, au départ, ne sachent pas forcément de quoi ça va parler. Pour qu’ils soient très libres en fait. Petit à petit, j’amène le texte et on construit le spectacle.

Vous avez travaillé en Afrique de l’Est avant le Sénégal. C’est la même dynamique en matière de théâtre ?
Ca dépend des pays. J’ai travaillé en Tanzanie et c’était un peu difficile, pas énormément de projets. Au Kenya par contre, c’est un pays où le théâtre vit et il y a de belles choses qui se font.

Et c’était difficile de mettre cette compagnie en place au Sénégal ?
Ça a été difficile, oui, parce qu’il faut quand même faire son trou, être accepté. Mais j’ai rencontré ces acteurs en faisant des formations, je les ai un peu formés. Je pense que ces jeunes acteurs ont l’énergie, et ce sont eux aussi qui ont fait que ma compagnie a existé, perdure et marche. Je suis tombée sur des gens qui veulent travailler et qui travaillent bien. Et qui ont du talent.

lequotidien

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