Le roman Les flots en sanglots de l’écrivain Alioune Badara Mbengue raconte l’histoire d’un jeune chômeur sénégalais, Tamsir Niane, rescapé du naufrage d’une embarcation de fortune de migrants illégaux qui tentaient de rallier l’Espagne par voie maritime. Le roman commence avec le «retour au bercail» du rescapé Tamsir, arrivé chez lui en pleine nuit, dans un piteux état, lorsque toute la maisonnée roupillait.

Dans les dix-sept chapitres qui charpentent le roman, l’auteur explique les causes de l’émigration irrégulière, analyse les conséquences de ce phénomène et aborde d’autres thèmes pour brosser le portrait du Peuple sénégalais et peindre les maux de la société sénégalaise. L’auteur raconte aussi l’amour entre Tamsir et Fatima, la fille d’un avocat. La mort accidentelle, par noyade, de Fatima lors d’une promenade avec Tamsir en bord de mer a mis fin à cette idylle qui s’est déroulée entre Famyr et Dakar. Accusé à tort d’homicide involontaire sur la personne de Fatima, Tamsir est envoyé en prison où il est mort de cancer du foie à quelques jours de sa libération.

Dans le roman Les flots en sanglots, le narrateur passe au scalpel les divers masques de la société sénégalaise et évoque des pratiques et comportements qui dénotent une décadence des valeurs morales. Il pointe un doigt accusateur sur la société et égratigne le «système» qu’il qualifie de «défectueux pourri». Pour lui c’est la pression sociale, la précarité et le mode de gouvernance qui sont les principales causes de l’émigration irrégulière.

Non seulement il y a une concurrence insensée et un suivisme aveugle, mais aussi la dure condition des femmes, le désarroi et la berlue poussent les jeunes à aller à l’aventure. Le «système» que le narrateur décrit au vitriol fait le lit de la mal-gouvernance, du clientélisme politique, du népotisme et du parachutage. A cause des pistonnages et des mirages de l’eldorado européen, beaucoup de jeunes laissés en rade optent pour l’émigration irrégulière, à leurs risques et périls.

De nombreux jeunes attirés par les sirènes de l’émigration sont les produits de l’école française et d’anciens militaires.

Le narrateur considère alors l’école française et l’Armée comme des fabricants de chômeurs. Il attire l’attention sur l’incapacité des jeunes diplômés à créer leurs propres entreprises parce que non formés pour être créatifs depuis l’enfance. Ces jeunes diplômés sont plus prêts à devenir salariés qu’à se lancer dans l’entreprenariat. Incapables de s’auto-employer, de nombreux jeunes sont au chômage. La libération des militaires fait elle aussi gonfler les effectifs des chômeurs, des délinquants et des candidats à l’émigration clandestine.

Pour l’auteur de Les flots en sanglots, les jeunes sénégalais ne sont pas exempts de reproches.

Ils rechignent à faire certains travaux, contrairement aux Guinéens qui triment pour gagner leur vie à Dakar. En peignant les maux de la société sénégalaise, le narrateur s’est également appesanti sur la crise des valeurs qui affecte le secteur de l’éducation. Il parle de la chute du mythe de l’enseignant, des relations sexuelles entre les élèves et les enseignants qui sont à ses yeux les conséquences du volontariat et du vacatariat dans l’enseignement.

Dans son analyse des conséquences de l’émigration irrégulière, le narrateur a mis l’accent sur les migrants qui tombent malades dans la pirogue en haute mer, leurs hallucinations et délires et les morts jetés à la mer par leurs compagnons d’infortune. La majeure partie des migrants meurent noyés lors du naufrage de la pirogue. Dans les familles, c’est la désolation, la consternation et la détresse.

Le narrateur ausculte l’état mental du rescapé et décèle des troubles de stress post traumatique après le naufrage qui nécessitent un suivi médical plus efficace que la stigmatisation, les médisances et accusations de folie dans les grand’places. Une manière de nous inviter à faire preuve d’empathie et de solidarité envers le rescapé d’un naufrage.

Dans le roman Les flots en sanglots, le narrateur a plusieurs fois parlé de religion, de tradition, de sagesse et de destin.

Il donne aussi des leçons de morale, d’éthique, de déontologie, d’humilité et d’humanisme. La figure du marabout est très présente dans le roman, représentée par Serigne Cheikh. L’auteur a beaucoup insisté sur les valeurs ancestrales, également enseignées par la religion, qui doivent être inculquées aux hommes et aux femmes depuis leur prime jeunesse : pudeur, chasteté de la femme, discrétion, sens de l’humain, droiture, discipline, culte du travail, bravoure, patience, responsabilité parentale, etc.

Le marabout représente à la fois le sage traditionnel et le guide religieux. Il est révéré et écouté.

Le poids de la religion et l’influence du marabout dans un contexte de chômage massif des jeunes sont tels que le narrateur a mis en relation la religion et le bonheur. Pour lui, pauvreté matérielle n’empêche pas d’être heureux car le bonheur est un état d’esprit découlant de la paix intérieure. Le narrateur vante alors les vertus de la foi, de la piété, de la chasteté et de la mortification qui conduisent à l’élévation de l’âme et permettent à l’être humain d’être heureux.

L’auteur de Les flots en sanglots invite chaque citoyen à considérer les valeurs religieuses et ancestrales comme des viatiques pour être combatif, résilient, courageux et persévérant.

Pour autant, l’ancrage à ces valeurs religieuses et traditionnelles ne doit pas empêcher les Africains en général et les Sénégalais en particulier de s’ouvrir à l’Occident pour s’enrichir. L’auteur s’oppose au procès fait à l’Occident et à l’homme Blanc que certains musulmans considèrent comme un impur. Il fait dire au personnage principal du roman, Tamsir, discutant avec son marabout Serigne Cheikh, que Dieu n’est pas seulement dans les mosquées, il doit aussi s’inviter dans nos actes quotidiens.

Une manière de dire que l’islam ne se résume pas à la prière, c’est aussi et surtout un type de comportement. Pour l’auteur, les valeurs traditionnelles et religieuses sont compatibles avec certaines valeurs du Blanc. Ce qu’il déconseille c’est le conservatisme soporifique et la copie aveugle. Il recommande de prendre chez le Blanc ce qui est utile.

Même si l’auteur, en rappelant certaines valeurs traditionnelles et religieuses, soutient le libre-arbitre et l’effort individuel, à la fin du roman il abdique et s’incline devant la toute-puissance du destin.

En prison, alors en phase terminale d’un cancer du foie à l’approche de sa libération, Tamsir, dans sa lettre adressée à son frère Kader, donne raison à son marabout Serigne Cheikh qui lui avait dit que c’est Dieu qui décide du destin de l’être humain, donne la vie et ôte la vie. Même l’obtention d’un emploi relève du destin car c’est Dieu qui donne du travail !

La mer fait partie du triste destin de Tamsir, elle est pour lui un porte-malheur : elle a brisé son rêve pour l’Espagne, lui a causé des traumatismes psychologiques et lui a pris sa fiancée Fatima et son ami Mamad. C’est là tout le sens du titre du roman : «Les flots en sanglots» Le personnage principal du roman, Tamsir, se résigne à son triste sort, attendant stoïquement sa mort imminente.

Il nous donne rendez-vous dans l’Au-delà, au royaume des cieux où il espère trouver le suprême et éternel bonheur qu’il n’a pas pu avoir sur terre.

Le roman Les flots en sanglots est publié aux Editions Sirius de Dakar en 2020. Il est le premier roman du jeune Sénégalais Alioune Badara Mbengue, comptable de formation. Ce roman bien écrit constitue une source inépuisable, un viatique pour la jeunesse sénégalaise.

Mamaye NIANG
Professeur d’Histoire et Géographie

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