La recherche de la paix s’accompagne d’une redistribution équitable des ressources en commun. Telle est l’un des enseignements que l’on peut tirer d’un panel sur la gouvernance des ressources naturelles en Afrique, lors du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité.  

Pétrole, gaz, or, cobalt, lithium, etc. C’est en étant assise sur de l’or que l’Afrique éprouve  toutes les peines du monde à amorcer son développement. Si  ses ressources naturelles profitent aux plus grandes firmes internationales, elles ne servent pratiquement que miettes et conflits aux populations des zones où elles sont produites.

Au Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité qui s’est tenu les 27 et 28 novembre 2023, un panel a été consacré à la ‘’Gouvernance  des ressources naturelles de l’Afrique : entre convoitises, instabilité et interventions extérieures’’. Des spécialistes assurent qu’une meilleure implication des populations locales dans la gestion des ressources est essentielle pour maintenir les conditions  d’évitement de nombreux conflits.

Il ressort des interventions des spécialistes qu’en Afrique, les conflits sont très souvent corrélés avec les ressources naturelles, au point que l’on parle d’une malédiction des ressources naturelles.

Ancien ministre de l’Énergie et des Mines du Burkina Faso, Bachir Ismaël Ouédraogo déplore que des régions entières donnent de la ressource pour tout un pays et se retrouvent sans emplois ni infrastructures sociales (routes, électricité, commodités, etc.) pour améliorer leurs conditions de vie.

‘’En même temps, retient-il, ces populations voient les montants vertigineux qui sont tirés de l’exploitation de leur sous-sol. C’est ce qui crée un sentiment d’injustice à l’origine des rébellions. Voilà la source de tous les problèmes que nous vivons à l’image du terrorisme et tout ce qu’il y a comme instabilité qui suivent nos ressources minières’’.

Les sentiments d’injustice souvent à l’origine des conflits

Pour le ministre burkinabé, l’on peut dire la même chose au plan étatique. Pour l’illustrer, Bachir Ismaël Ouédraogo explique la gestion de l’exploitation du pétrole dans un pays comme le Nigeria : ‘’Vous prenez le net entre l’exportation du fuel et les importations de pétrole raffiné, l’État se retrouve à subventionner la consommation du  produit qui provient du sol nigérian.

En lieu et place des bénéfices que devrait réaliser l’État pour l’exploitation du pétrole, le gouvernement se retrouve à rechercher des ressources ailleurs pour investir dans l’accessibilité des produits pétroliers’’.

La majeure partie des constitutions africaines consacre les ressources naturelles comme la propriété des peuples.

Mais ces derniers sont loin d’être les premiers servis. Et, rappelle le docteur Pape Fara Diallo, ‘’l’évaluation de l’indice de gouvernance des ressources naturelles de NRGI montre que dans tous les pays évalués en Afrique subsaharienne, à l’exception de deux d’entre eux, il existe un écart net entre les règles établies et les pratiques en matière de gouvernance des ressources extractives’’.

Dans ces conditions, ajoute le chef du Département de science politique de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, la corruption, l’inefficience de l’utilisation des fonds alloués aux collectivités territoriales peuvent fortement réduire, voire rendre illusoire la possibilité des populations de profiter de leurs ressources.

En raison de ces pratiques, les pertes sont considérables. Selon Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) en France, ‘’sur 54 États africains, 45 dépendent à plus de 70 % des exportations de matières premières. En 2005, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a estimé que du fait de la complexité des contrats, ces pays perdent environ 50 milliards de dollars par an’’.

Former les ressources humaines pour défendre les intérêts locaux

Pour inverser la tendance, les spécialistes s’accordent sur l’impératif d’améliorer les questions de la gouvernance. Pour Bachir Ismaël Ouédraogo, ‘’nous avons besoin d’une vision et d’un leadership pour négocier des contrats qui profitent d’abord aux intérêts africains. Former les jeunes dans le domaine de nos ressources afin qu’ils puissent s’aguerrir et défendre les intérêts nationaux lors des négociations de contrats avec les firmes internationales’’.

Une autre nécessité est l’implication des populations et de la société civile à la fois dans l’élaboration, la gestion des revenus extractifs et les questions de gouvernance.

Mais, souligne le docteur Pape Fara Diallo, ‘’le premier problème qu’il faut régler est d’extirper la négociation, la validation et l’octroi des contrats extractifs du seul périmètre du pouvoir discrétionnaire du président de la République’’.  

Sur cette question, le Sénégal est sur la bonne voie, reconnaît le représentant du comité national ITIE Sénégal. Ceci, en opérant des réformes dans la loi sur la répartition des revenus issus des hydrocarbures pour mettre en place une commission de négociation et de validation des contrats.

Bien que la représentation de l’Assemblée nationale dans cette commission soit à saluer, l’incohérence soulignée par le Dr Diallo est l’absence des collectivités locales des zones extractives.

Une carte extraordinaire à jouer sur la transition écologique

Tout ceci se fonde sur une vision stratégique et planificatrice soulignée par Jean-Marc Gravellini, à travers la réalisation des infrastructures indispensables, la formation des jeunes et la mise en place d’un environnement indispensable à l’investissement.

D’autant plus que, souligne le chercheur, ‘’l’Afrique a une carte maîtresse à jouer dans l’accompagnement de la question de la transition énergétique.

Il y a de nombreuses ressources en Afrique qui sont déjà indispensables pour la transition écologique, ce qui constitue un enjeu considérable pour le continent et pour la planète. En quelques jours, si l’Afrique utilisait le potentiel de l’énergie solaire, les besoins de la planète pourraient être satisfaits. Des techniques existent pour transformer en hydrogène de l‘énergie produite à partir d’énergie solaire’’.

Bientôt, les États africains n’auront même plus le choix.

En 2050, plus de 70 % de la population africaine aura moins de 35 ans. Pour anticiper et  trouver des emplois à cette jeunesse, ‘’une meilleure prise en charge de l’exploitation des ressources naturelles permettra au gouvernement africain de faire une meilleure prise en charge des problèmes qui peuvent arriver avec l’exposition de la jeunesse’’, souligne Jean-Marc Gravellini.

Fort de son expérience à la tête du ministère de l’Énergie et des Mines du Burkina Faso, Bachir Ismaël Ouédraogo donne un conseil avec ces hydrocarbures : ‘’Il faut transformer les ressources sur place. Au lieu d’exporter du GNL (gaz naturel liquéfié), le Sénégal devrait travailler à être un hub de métallurgie pour tous les pays de la sous-région ouest-africaine.

Les Africains doivent comprendre que la solution viendra de notre collaboration et de l’investissement internes. Ces intérêts communs vont nous faire réfléchir à deux fois avant de nous faire la guerre’’.

Ismaïla Madior Fall plaide pour l’institutionnalisation du forum de Dakar

Le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité s’est clos hier. Cette neuvième édition est la dernière organisée sous la présidence de son créateur Macky Sall.

Selon le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur qui a présidé la cérémonie de clôture, cette 9e édition ne devrait pas être la dernière tout court. ‘’Il n’y a pas de doute que le forum va survivre à son initiateur le président Macky Sall. Il devrait être comptabilisé parmi son legs aux générations futures.

Ce forum, bien qu’initié par le Sénégal, appartient maintenant à toute l’Afrique’’, assure Ismaila Madior Fall.

 Pour y parvenir, le chef de la diplomatie sénégalaise a annoncé une réflexion sur une possible institutionnalisation de ce rendez-vous de Dakar : ‘’Quel format institutionnel devrait revêtir le forum ?

Un think tank sur les questions de sécurité, un institut, une fondation, une université ou simplement comme c’est le cas actuel, un cadre d’échange annuel sur les questions de paix et de sécurité’’, suggère Ismaïla Madior Fall.

L’institutionnalisation permettra de dégager un  budget pour l’organisation de cet événement qui est jusqu’ici financé par de bonnes volontés dont le Japon, la France et l’Arabie saoudite, entre autres.

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