Nous saluons la visite du Président de l’Union Africaine à Poutine. Nous la voulions. Nous y tenions. Nous l’avions demandé. L’Afrique ne peut plus se terrer chez elle et laisser les autres mener le monde. Elle a une voix et cette voix doit compter. Chacune, chacun, jugera du discours du président de l’Ua à Poutine. Tiens, pourquoi donc ne s’est-il pas rendu en Ukraine, chez l’artiste Volodymir Oleksandrovytch Zelensky ?

Pour le blé et les engrais, il faut que très vite notre continent comprenne qu’il a tort d’être en dépendance. Nous sommes allés dire à Poutine, face au monde, que nous allions avoir faim et sans récolte. Stratégie diplomatique, ruse, vérité crue ? D’aucuns approuvent. D’autres le regrettent et pensent que c’est humiliant pour l’Afrique. Le Président de l’Ua, lui, sans détour, a choisi cette apostrophe. Il n’a pas usé de métaphores. Il a assuré le service d’urgence. Celui à qui on s’adresse n’est pas un poète, un tendre ! La finesse n’est pas sa tasse de vodka !

L’Afrique doit parer très vite à sa faiblesse alimentaire. Cela devient inacceptable ! Plus de 75% de ses terres sont arables et fertiles mais inexploitées. Qu’attend-on donc pour assurer notre sécurité alimentaire ? A la place d’aller en Russie ou en Ukraine acheter du blé – cependant, nous ne quémandons rien, nous payons, a tenu à préciser le Président Sall -, ne serait-il pas plus judicieux d’adopter chez nous, en le tropicalisant, le modèle russe, en transfert de compétence et d’expertise sur les variétés de céréales de chez nous ? Israël nous a bien transférés son expertise reconnue de la culture en serre ! Pour le Sénégal, l’Isra est en avance. Cet institut de recherche agricole toujours en veille technologique et scientifique, est un bijou sur lequel notre pays doit veiller !

Le Président de l’Ua doit marquer son mandat et le marquer durablement. Son succès est le nôtre. Son échec le nôtre. Sa mission est de réussir. Il doit réussir pour nous. Il porte un immense espoir. On peut le combattre, le parer du titre de monstre politique froid et sec. C’est ainsi l’arène politique. Pour survivre ou mourir. Mais l’actuel Président de l’Ua est respecté en Afrique et au-delà. Son pays donne une belle image de stabilité au monde, même si tout n’est pas parfait. Son leadership est certain. Le Sénégal est une oasis de paix en Afrique. Libre à qui veut de croire le contraire. Les raisons de chacune, de chacun, doivent être respectées. Juste faire de sorte que l’excès ne nuise pas ! Il partira le Président. Mais il tient son leadership. Les autres partiront aussi. On part toujours. Cette vérité s’impose à tous, qu’on le veuille ou non. Juste savoir quitter en beauté ! Personne n’est en retard et personne n’est en avance. Chacun est dans le temps de son horloge. Tout le reste est bavardage, hâte, suspicion, duel de politiciens moches et pressés, crasse médiocrité, ambition usurpée, vide culturel, chasse illégitime à la fortune facile. Le peuple seul jugera. Lui seul est arbitre. Que personne ne tente d’en douter. La démocratie, l’humilité et la justice seules nous sauveront. N’ayons pas peur. Nous sommes tous de passage.

Combien de femmes et d’hommes admirables et valeureux sont désormais dans l’oubli ? Ils ont fait la une de la presse, fait vibrer les plateaux de télévisions, les chaînes de radio. Ils étaient l’actualité. Nul ne parle plus d’eux. Presque effacés d’une mémoire collective capturée par la seule actualité de son temps de vie ! Mais soyons du camp de ceux qui appellent à la paix, luttent pour la justice.

Si Poutine nous recevait, nous lui aurions dit ceci, face au monde :

«La Russie est un grand pays, Monsieur le Président Poutine. Il doit le rester.
L’équilibre mondial en dépend. Que personne ne vous fasse croire que la Russie n’est plus la Russie. Mais sachez que vous êtes également dans le temps d’un autre monde. Vous êtes dans la métamorphose. Le temps de Pouchkine est loin, très loin. Mais le poète, romancier, dramaturge est dans tous les cœurs. Il nous a fait aimer Saint-Pétersbourg. Ses poèmes «Souvenirs à Tsarskoïe Solo», comme son «Ode à la liberté» sont chantés par le monde. Pouckine est bien vivant ! Le temps de Staline et de Lénine est à jamais disparu. Ne ressuscitez pas, Monsieur le Président, ce temps sombre et glauque de l’humanité. Ces hommes nous ont laissé des camps de la mort et des larmes. L’histoire l’a archivé pour toujours ! Tous les Présidents russes à venir, auront cette mémoire nauséabonde sur leur table. Leur mission sera de réparer cette déchirure irréparable.

Sachez, Monsieur le Président, que la Russie reste impériale, mais elle le reste dans la seule puissance de son identité, de sa langue, de sa culture, de son patrimoine. Pas par ses missiles et ses chars. Pas par l’invasion de ses voisins et la menace atomique. La Russie est un bijou du patrimoine culturel et artistique mondial. C’est cette Russie que vous devez porter. Pas celle des conquêtes de la mort et des musées des ossements. L’identité de votre puissance culturelle et artistique est votre meilleure souveraineté ! Les États-Unis d’Amérique ne l’ont pas. A leur manière, leur culture est en guerre avec le monde. C’est une guerre de l’agression culturelle. Mais elle ne conduit pas à des larmes et des fosses communes. Les peuples du monde sont obligés de veiller à leur souveraineté culturelle face à un pareil déferlement de valeurs gouvernées par l’argent, le profit, les usines du rêve, une folie technologique créatrice, inventive et libérale, qui défie toutes les civilisations. La culture américaine se résume ainsi dans les salons : ils ont remplacé le cheval par la voiture et gardent toujours leurs pistolets ! L’actualité chez eux, chaque jour, le confirme dans la douleur et la stupéfaction. Mais la démocratie et la liberté sont leur plus belle parure ! Se défendre donc est devenu un enjeu de culture pour les peuples libres du monde. Il sera difficile d’échapper à cette marée culturelle américaine moderne, envoûtante et ensorceleuse qui a profondément pris en otage les jeunesses de toute la planète terre ! Des contres offensifs s’organisent partout par le monde contre l’armée culturelle américaine : Apple, Facebook, Twitter, Amazone, Google, WhatsApp, pour s’en arrêter là !

Monsieur le Président Poutine, vos ballets, vos danses, vos opéras, vos musées, vos écrivains, vos poètes, vos penseurs, ont marqué et dominé le monde. Monsieur le Président Poutine, ne quittez jamais du cœur et du regard ce fabuleux héritage culturel et artistique de la belle Russie qui fait votre grandeur. Cette grandeur vous interdit d’être laid à la face du monde, même si cela semble trop tard, hélas. Les tribunaux internationaux se sont mis en route pour vous punir. Plaider non coupable serait ignorer les drames engendrés à jamais chez les propres enfants de la Russie comme chez ceux de l’Ukraine envahie, déchiquetée. Arrêter vite la guerre. Faites vite aboutir les négociations. Arrivez vite à la paix avec vos frères voisins. Le passé doit être clos. Rebobiner le film de la grande Russie impériale ! La Russie n’a jamais perdu sa grandeur. Quittez ce moule de l’orgueil et de la grandeur coûte que coûte. La grandeur d’un pays ne se mesure pas à des superficies de terres. Elle se mesure à des valeurs de civilisation qui honorent et respectent l’homme. La Russie impériale est à jamais finie, mais la Russie doit se faire respecter. Elle le sera seulement si elle respecte les autres.

Quant à la vieille et si désespérée Europe d’aujourd’hui, elle doit apprendre à savoir s’arrêter là où le sang, la culture et la langue ont ouvert des maisons de famille, de fraternité, de vivre ensemble, de métissage. L’Otan, pour la nommer, ne doit pas être un envahisseur, un provocateur, un effaceur de frontière culturelle. Elle doit respecter la mitoyenneté culturelle qui est un marqueur d’identité de ce qu’était l’empire russe, de ce qu’était l’Union soviétique. Mais cette mitoyenneté ne peut plus être une génuflexion, une abdication corps et armes, un abandon de soi et de ses libertés. C’est d’égal à égal, quelle que soit la faiblesse des uns et des autres, que doit se bâtir le vivre ensemble. Fini le diktat et les razzias.

Monsieur le Président Poutine, vous n’avez pas tort de rappeler que les accords sont faits et signés pour être respectés. Ils le sont très peu, c’est vrai. Ils ne l’ont presque jamais été, ailleurs. A commencer par les États-Unis d’Amérique. Loin du théâtre des opérations en Russie-Ukraine, l’Amérique a toujours pris plaisir à mettre le feu dans la ceinture de sécurité russe en passant par les pays d’Europe membres de l’Otan. Elle les domine et les guide. C’est cette vérité qui a failli emporter l’Otan, en «mort cérébrale». Votre invasion de l’Ukraine a été une aubaine pour Washington qui a pris la direction des opérations. Et l’Europe apeurée et sans conviction s’est de nouveau agrippée à l’Amérique. Cette ruse et cette stratégie longuement planifiée, date du Président Roosevelt, le seul président américain qui a été élu pour quatre mandats. Jamais les États-Unis d’Amérique n’ont eu un Président aussi intelligent, rusé, stratège, visionnaire, planificateur. Il s’est battu pour que l’Amérique héberge le siège des Nations Unies. La fortune de Rockefeller a aidé à construire le siège et à adoucir les postures rebelles.

Roosevelt en mettant le redoutable Churchill dans sa poche, a fini par installer le pouvoir de l’Amérique en Europe. Ce qu’avait compris le plus célèbre général de France, le président Charles de Gaulle qui se méfiait d’une Amérique ivre de puissance. Oui, Monsieur le Président Poutine, vous n’avez pas tort d’alerter que l’Otan a depuis longtemps franchi la ligne rouge. Son expansion est moins un appétit de loup que la ruine de l’orgueil russe dépossédé de sa grandeur et humiliée. Une provocation stratégique et presque payante, car vous voilà lancé contre un pays indépendant et libre à qui vous imposez l’orgueil de votre armée et votre puissance militaire. Le piège s’est bien refermé sur vous. Mais cela vous le savez et parce que vous le savez, l’équilibre du monde est menacé et l’Europe tremble. Elle est si fragile l’Europe !

Mais sachez également Monsieur le Président Poutine, que l’autodéfinition de chaque État, au-delà des accords internationaux, est un droit pour se défendre, se protéger, vivre. Ce droit n’incombe pas seulement au plus fort. Oui, la ceinture de sécurité de la Russie était un droit acquis et à respecter. Celle de l’Ukraine également, sauf que vous avez décidé d’apprécier et de décider pour elle. L’Ukraine doit vivre libre et souveraine. Quant à l’Otan et au-delà d’elle, l’Ue est entrée dans la danse en attisant l’appétit de solidarité économique et financière que pouvait susciter l’adhésion à sa famille. Les États-Unis ont laissé faire. Ils raffolent d’attiser les braises dans leur lit, cigare à la bouche, loin des théâtres d’opérations. Cela leur a toujours réussi. Aucun accord international ne peut appeler un seul de leur soldat devant les tribunaux internationaux. Et pourtant.

Oui, Monsieur le Président Poutine, au nom des droits de l’homme et des libertés on peut faire fi des accords qui servent les plus forts. Vous avez accompli ce qui n’est ni beau ni grand. Quittez vite vos habits de sang et d’aigle pour des habits de colombe, même si la Russie n’a jamais ressemblé à une colombe, au regard de son histoire, de l’affirmation guerrière de sa puissance, de ses conquêtes, de sa longue domination idéologique. Pourtant si le mur de Berlin est tombé, c’est que quelque part une colombe libre ou mal enfermée, s’est envolée ! Elle était sous la surveillance d’un certain Gorbatchev ! Cela a détendu le monde qui a mieux respiré, fraternisé ! La Russie alors est devenue plus ouverte, moins fermée mais toujours froide, réservée et vigilante. Aux républiques d’Europe qui ne sont pas tous libres et respectueux des droits humains, la Russie depuis des siècles s’est inscrit résolument, sans trembler, dans une idéologie qui donne peu de chances aux libertés de s’exprimer.

Monsieur le Président Poutine, le monde vous regarde ! Il regarde et voit des images de la folie et de la mort que plus rien n’effacera de l’histoire de notre humanité. Si tout semble désormais perdu pour certains de ce que vous laisserez au monde comme image, nous croyons qu’il appartient à tout homme politique de savoir comment atténuer le verdict de l’histoire, l’atténuer, en lui offrant des gages, des gestes de grandeur, de repentir et d’humanité que rien ne pourra non plus effacer, même s’ils ne suffiront jamais à couvrir le mal commis. Des gages venant de vous, personne n’y croit plus.

Nous sommes venus ici parler d’abord à un grand pays que son histoire culturelle a placé dans notre cœur. Celui qui le conduit aujourd’hui, c’est vous. Vous êtes donc la Russie. Mais il est insensé d’être à soi seul, toute la Russie. Cette guerre, cette invasion mortelle, ne sont pas bénies par tout le peuple russe. C’est une responsabilité sans nom que vous avez décidé d’assumer seul. Le prix à payer sera lourd. La seule vérité, Monsieur le Président Poutine, est que personne ne peut aujourd’hui aller à la paix, sans vous ! L’histoire attend. Les générations futures attendent. Vous tenez seul, en vos mains, cette espérance. Ne tardez pas ! Les rues, les maisons, les familles, les villes, les ports, les hôpitaux, les écoles, les maisons de culture, les esprits, les cœurs sont déjà pleins de sang en Ukraine. Et vous semblez ne pas être encore ivre de tant de sang ! Votre pays est grand, Monsieur le Président Poutine. Très grand. Il a nourri l’esprit du monde. Il l’a même forgé, quelque part dans son histoire. Vous devez en tenir compte. Cet esprit lumineux des grands penseurs, poètes et écrivains russes, a souvent, sinon toujours, côtoyé un esprit sombre et cruel. Ce dernier a servi au premier pour réinventer des pensées pour sauver et grandir l’homme.

Monsieur le Président Poutine est déjà dans l’histoire. Mais quelle histoire ? Les livres foisonnent. Les archives du monde se remplissent des routes, des cris, des larmes, des privations, des silences et de la cruauté de votre gouvernance. Comment assumer un tel poids sur ses épaules ? Fils d’ouvrier, vous avez connu le plus épineux des chemins. Sous les ors du Kremlin, quand on vous quitte, on se souvient toujours du fils d’ouvrier qui n’a pas oublié les rigueurs et les privations de la vie. Vous ne dites rien de ce passé. Vous parlez peu. Mais tout est là, visible et bavard dans ce que l’on pourrait appeler l’âme russe. Cette âme est têtue, invincible. Elle s’appelle tristement en un mot : l’orgueil ! Gardez cet orgueil. Sans lui, vous n’êtes plus russe. Mais gardez-le en sachant que vous êtes dans la métamorphose. Vos émeutiers de l’Otan, l’Europe et les Etats-Unis, le savent mais s’accommodent mal de cet orgueil. Ils ont raison sur vous, quand il s’agit du respect de la vie humaine. Quant à la liberté, c’est la liberté. Cette femme trop belle et indomptable pourrait rencontrer forcément des obstacles quand elle se retrouve face à face avec un tel orgueil ! L’orgueil comme ciment d’une culture qui vit et se suffit de ses seules et propres règles, et jamais de celles des autres, seraient-elles universelles et au service de tous les hommes. Un jour, dans un autre siècle, un fils de la belle et grande Russie demandera pardon. Avec raison, courage et humilité, mais sans jamais perdre son orgueil. L’orgueil russe n’aura pas cessé d’être le socle et le ciment de son identité, mais elle sera installée dans la marche humaine qu’exige le respect de la vie.

Pour l’instant, en attendant ce jour à la fois proche et lointain, puissions-nous nous souvenir, pour ceux qui auront lu les livres d’histoire, en apprenant que l’histoire russe commence en 862 avec l’arrivée en Russie du roi viking Rourik, fondateur à Novgorod de la première dynastie russe, qu’un certain Vladimir Poutine avait réussi une œuvre de paix et d’humanité qui avait valeur de réparation, en stoppant une guerre fratricide avec l’Ukraine, même si le mal et les crimes commis resteront à jamais dans le tribunal de l’histoire. La paix est toujours héroïque. Mais le crime ne s’oublie pas. Vous avez été un officier du KGB. Vous connaissez toutes les ficelles de la vie secrète, sombre et cruelle que la raison d’État peut dicter. On n’en sort pas indemne.

Monsieur le Président, la Russie est un pays qui accepte et distingue dans le cadre de ses politiques publiques quatre grandes religions : l’orthodoxie, l’islam, le bouddhisme, le judaïsme. Dieu est chez vous ! Tendez-Lui la main, mais surtout le cœur. Que Dieu garde la Russie. Qu’Il apaise son orgueil. Qu’Il sauve et préserve l’héroïque Ukraine ! Qu’Il installe la paix dans le monde».

Amadou Lamine SALL – Poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

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