Au lendemain de la première rencontre entre le président Emmanuel Macron et son homologue sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, l’Enseignant-chercheur en sciences politiques à la Faculté de Droit de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Jean Charles Biagui, et Bacary Domingo Mané, journaliste formateur et analyste politique nous décortiquent les enjeux qui se cachent derrière les gestes immortalisés par les images des deux chefs d’États.
Ainsi, pour le professeur Jean Charles Biagui, le président Diomaye s’est inscrit dans une démarche de rupture par rapport à ses prédécesseurs dont les images dominaient par des embrassades et accolades témoignant un paternalisme accepté et même revendiqué.
Comme pour abonder dans le même sens, le journaliste formateur et analyste politique, Domingo Mané, a indiqué au sujet de la posture du président Diomaye lors de cette rencontre que « le jeune Chef d’Etat n’a pas perdu de vue qu’il représente plus qu’un pays mais l’Afrique toute entière ».
JEAN CHARLES BIAGUI, ENSEIGNANT CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES (UCAD)
« Le président Diomaye s’est inscrit dans la perspective de rupture en ne faisant pas comme ses prédécesseurs… »
Le président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye a bien réussi, sur la forme, le pari de sa première rencontre avec son homologue français, Emmanuel Macron.
L’avis est de l’Enseignant chercheur en Sciences politiques à la Faculté de Droit Ucad, Jean Charles Biagui. Interpellé par Sud Quotidien sur les enseignements à tirer des images de la première poignée de mains entre les deux chefs qui ne partagent pas la même vision de la coopération bilatérale, Jean Charles Biagui a indiqué que « sur la forme, cette rencontre montre qu’il y’a incontestablement une rupture notamment dans la communication ».
Et pour cause renseigne-t-il, lors de cette visite du président Diomaye à Paris, « nous n’avons pas vu les images de présidents africains notamment sénégalais qui acceptent un paternalisme devant les télévisions du monde ».
« Le président Diomaye s’est inscrit dans la perspective de rupture en ne faisant pas comme ses prédécesseurs, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall avec des embrassades, accolades dans un langage avec des formules qui témoignent d’un lien colonial et un paternalisme accepté.
Diomaye à Paris, nous n’avons pas vu ces images et il faut s’en féliciter.
Au Sénégal, on peut espérer qu’on ne reverra plus ces images », a-t-il fait remarquer avant de poursuivre. « Donc, la remarque principale de cette première rencontre entre les deux chefs d’Etat est l’absence de ces images d’un paternalisme accepté souvent même revendiqué.
Cela témoigne qu’il n’y a incontestablement une rupture puisqu’on voit du point de vue de la communication quelque chose de différent.
Ensuite, le fait que cette première rencontre entre les deux chefs d’Etat soit tenue en marge d’un forum mondial organisé à Paris par la France et l’Union africaine, cela tranche avec un passé pas très lointain puisque ce n’était une visite officielle».
« Pas forcément de rupture dans le fonds en dehors du communiqué conjoint qui tient compte de la situation actuelle du Sénégal…»
Cette rupture ne concerne toutefois que la forme de cette rencontre, selon l’Enseignant chercheur en Sciences politiques à la Faculté de Droit Ucad, Jean Charles Biagui.
Abordant l’aspect du contenu des échanges entre les deux chefs d’Etat sont les grandes lignes sont traduits dans le communiqué conjoint rendu public, l’enseignant politologue n’a pas manqué d’exprimer sa réserve sur les actes posés par le successeur du président Macky Sall.
En effet, selon lui, « en dehors du communiqué conjoint qui tient compte de la situation actuelle du Sénégal notamment de la perspective souverainiste qu’on n’a pas l’habitude de voir, il faut reconnaitre qu’il n’y a pas forcément une rupture ».
Pour justifier sa position, Jean Charles Biagui évoque le contenu de ce communiqué conjoint qui, selon lui, est écrit avec « des formules très diplomatiques ».
« Je ne vois pas comment la France va aider le Sénégal qui fait tout pour se défaire des liens militaires et économique qui existent entre eux.
Je me demande comment dans cette perspective ce pays (la France) dont les actions sont décriées peut aider notre pays qui veut s’émanciper de lui, à se libérer de sa tutelle et consolider une certaine souveraineté puisque ce sont ses liens politiques, militaires et économiques qui sont remis en cause », s’est interrogé Jean Charles Biagui qui demande également à ne pas surestimer cette rencontre entre le président Diomaye « très légitime » et son « homologue français qui est en perte de vitesse ».
« Entre Macron et Faye, nous avons des postures très différents en fonction de la situation de chaque pays.
Au Sénégal, nous sommes dans une perspective nouvelle ou Diomaye est arrivé au pouvoir avec une grande légitimité.
En face de lui, nous avons un Emmanuel Macron en perte de vitesse qui vient de perdre des élections très importantes l’obligeant ainsi à dissoudre l’Assemblée nationale avec tout ce que cela implique comme risque pour lui de perdre non seulement sa majorité relative mais aussi de ne pas pouvoir gouverner si le Rassemblement national (Rn)ou une autre coalition gagne les prochaines législatives », a-t-il fait remarquer tout en s’interrogeant sur l’opportunité de la programmation de cette visite dans le contexte pré-Législatives en France.
DOMINGO MANÉ, JOURNALISTE FORMATEUR ET ANALYSTE POLITIQUE
« Le président Diomaye n’a pas perdu de vue qu’il représente plus qu’un pays mais l’Afrique toute entière »
En se rendant à Paris, le président Diomaye Faye avait des idées clairs dans la tête, assure Domingo Mané, journaliste-formateur et spécialiste en communication politique pour qui cette « rencontre entre les deux chefs d’Etat était très attendue et surtout souhaitée par le second qui en a manifesté le désir dès l’arrivée au pouvoir du très jeune Chef d’Etat sénégalais ».
« Le contexte géopolitique où une génération d’Africains décomplexés veut traiter d’égal à égal avec les anciens colons donne un cachet particulier à cette entrevue avec un jeune président porteur d’un projet panafricaniste-souverainiste.
C’est pourquoi, au-delà du discours ou des mots, les gestes et les postures du Présidents Diomaye Faye sont scrutés pour se faire ou non une religion sur le projet dont il est porteur. » a souligné l’ancien Directeur de publication de Sud Quotidien avant de poursuivre toujours au sujet de la posture du président Diomaye. « Il en était conscient !
Le jeune Chef d’Etat n’a pas perdu de vue qu’il représente plus qu’un pays mais l’Afrique toute entière.
Il sait que les images de cette rencontre avec Macron sont très attendues par les Africains qui rêvent d’un continent émancipé où ils seront traités avec respect et dignité.
Les deux images que nous nous proposons d’analyser, celle de l’entrevue (les deux Présidents autour de la table pour un déjeuner) et celle de la poignée de mains, montrent un côté ambivalent, attestant des enjeux de cette rencontre ».
« La photo du déjeuner fait penser à un round d’observation…»
Poursuivant son analyse des gestes affichés par les deux chefs d’États dans les images largement diffusés de cette première rencontre, Bacary Domingo Mané renseigne au sujet de la photo du déjeuner que celle-ci « fait penser à un round d’observation entre le jeune Président Diomaye Diakhar Faye et Macron qui ne connaissait pas auparavant son invité ».
« Le territoire sur lequel se trouvaient les deux personnalités est un territoire dit «de confrontation».
Elles sont de chaque côté de la table, face-à-face. Deux territoires délimités par des fleurs où chacun préserve son assiette et ses fourchettes.
Aucun d’entre eux ne prendra le risque d’avancer, de peur d’empiéter sur le territoire de l’autre. » a fait souligné le journaliste spécialiste en communication politique avant de faire remarquer au sujet des mains du président Macron à plat sur la table et le regard posé sur le visage de son invité, que c’est comme s’il voulait l’intimider.
« Par cette posture du Président Français, on pourrait être tenté de dire qu’il dégage une certaine assurance et affiche une volonté de mener, en toute responsabilité, les choses, voire même de «résister» si la situation le demande, comme semblent l’indiquer ses paumes cachées. Mais il y a un détail : Macron est assis presque près de la porte et le Président Diomaye est au fond.
Le territoire occupé par Macron fait-il penser à une crainte d’une menace invisible ?
Car, en cas d’une menace réelle, il pourra facilement prendre la poudre d’escampette, laissant loin derrière son invité. Un instinct de survie que le non-verbal est en train de trahir », a expliqué Domingo Mané tout en faisant remarquer que le Président Diomaye affiche une verticalité pour dire qu’il est droit dans ses bottes… ».
« Le Président Dimaye Diakhar Faye lui aussi, affiche une verticalité comme son hôte.
Histoire de dire qu’il est droit dans ses bottes, affichant du coup une certaine assurance. Il a posé sa main gauche sur sa main droite, tout en fixant du regard son homologue français. Cette posture du Président Diomaye fait penser à une spontanéité où l’affect joue un rôle déterminant dans les échanges.
Mais c’est sa main droite couverte qui représente, en réalité, sa botte secrète. Il avance masqué, en voulant garder le contrôle des échanges sans en donner l’air.
La rationalité en embuscade, l’affect n’est qu’une fausse piste où il veut entrainer son homologue », souligne le journaliste formateur et spécialiste en communication politique qui insiste. « Il sait mieux que quiconque que les États n’ont pas d’amis mais des intérêts à préserver. L’échange entre les deux Présidents se déroule dans la zone dite «personnelle».
Nous savons qu’en dehors des territoires, la distance qui sépare deux individus est un vecteur de communication. Elle est un bon élément pour évaluer une relation.
Cette zone est celle de l’amitié et de la convivialité (déjeuner). Mais les deux Chefs d’Etat n’ignorent pas que le pays est au-dessus de tout ».
La poignée de mains à deux mains du Président Macron renvoie un «geste de remerciement ou un témoignage de respect »
Par ailleurs, revenant sur le sens des différentes poignées de main, Domingo Mané renseigne sur la seconde image de la poignée de mains entre Macron et le Président Diomaye qui combine deux gestes dont la poignée de mains à deux mains du Président Macron et la poignée de main plus l’autre main de Diomaye au coude de son homologue.
« Concernant la poignée de mains à deux mains du premier des Français, on peut l’interpréter comme un «geste de remerciement ou un témoignage de respect et d’affection». Il renvoie aussi à un confort amical. Ce n’est pas étonnant qu’un hôte agisse de la sorte envers son invité. Certes, on peut épiloguer sur la sincérité ou non d’un tel geste, puisque les enjeux déterminent, en de pareilles circonstances, les comportements ».
Poignée de main plus l’autre main au coude de Macron
S’agissant du geste du Président Diomaye à travers sa poignée de mains plus l’autre main au coude de Macron, Domingo Mané souligne que «certains pensent qu’il s’agit d’une poignée de mains tout simplement amicale, montrant une aisance avec son interlocuteur », et d’autres que c’est une poignée de mains manipulatrice, qui montre un faux côté amical pour ensuite influencer négativement l’autre personne. »
« Dans les deux cas, les Présidents Diomaye et Macron sont avant tout guidés par les intérêts de leur pays.
C’est pourquoi, ils ont choisi l’ambivalence, l’ambiguïté. La distance cultivée par chacun d’eux, montre à suffisance que l’importance des enjeux ne permet pas le moindre faux pas. Chacun a tiré son épingle du jeu. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre dans les relations franco-sénégalaises ou franco-africaines », a fait remarquer Domingo Mané.
sudquotidien