Au Sénégal, une vingtaine de candidats ont franchi la première étape de validation de leur candidature à la présidentielle du 25 février 2024 avec l’acceptation de leurs parrainages par le Conseil constitutionnel.
Six ans après son adoption et son entrée en vigueur, la loi sur le parrainage continue de susciter la controverse dans le landerneau politique du Sénégal.
Si du côté de la mouvance présidentielle, le parrainage constitue un moyen d’éviter les candidatures « fantaisistes », l’opposition et la société civile le considèrent comme étant « antidémocratique », dont le seul but est de « bloquer » les candidatures de potentiels adversaires politiques pour maximiser les chances du candidat du pouvoir.
Le dépôt de parrainages constitue le premier obstacle sur la route des candidats à l’élection présidentielle.
Cette première étape de validation des candidatures vient de livrer son verdict ce mardi 09 janvier, avec son lot de confirmation, de surprises et surtout de plaintes.
Sur les 93 prétendants qui avaient déposé un dossier de candidature devant le Conseil constitutionnel, seuls 21 ont réussi à franchir l’étape du contrôle des parrainages.
21 candidats passent le cap des parrainages
Légende image,La Directrice Générale SEDIMA et KFC Sénégal, Anta Babacar Ngom a créé la surprise en validant ses parrainages dès le premier tour de contrôle.
9 candidats sur 21 avaient réussi à franchir cette phase d’examen des parrainages à l’issue du premier tour de contrôle la semaine dernière.
Parmi eux, figurent l’actuel Premier ministre Amadou Ba, candidat de la majorité présidentielle, l’ex maire de Dakar Khalifa Sall, Karim Wade le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade et des personnalités proches de l’opposant Ousmane Sonko, emprisonné depuis plusieurs mois.
Après une longue procédure judiciaire, la candidature d’Ousmane Sonko a été rejetée par le Conseil constitutionnel, son dossier ayant été jugé incomplet par les 7 sages du Conseil.
12 candidats sur les 23 qui devaient régulariser leurs parrains, ont réussi finalement à franchir cette étape de présélection et valider ainsi leur parrainage.
C’est le cas notamment des anciens premiers ministres Idrissa Seck, arrivé deuxième à la présidentielle de 2019 et Mahammed Boun Abdallah Dionne, de l’ancien ministre de l’intérieur et de l’agriculture, Aly Ngouille Ndiaye.
Membre du parti dissous PASTEF, Bassirou Diomaye Faye lieutenant d’Ousmane Sonko et emprisonné depuis avril 2023 pour «appel à l’insurrection, actes de natures à compromettre à la paix publique », entres autres charges, a sans surprise passé le filtre du parrainage.
S’il y a une chose qui est d’ores et déjà acquise, c’est que l’élection présidentielle 2024 ne sera pas paritaire car seules deux candidatures féminines ont été validées après la phase des parrainages.
Il s’agit de la jeune chef d’entreprise Anta Babacar Ngom et la gynécologue Rose Wardini, deux profils qui tranchent avec les figures féminines connues et qui ont réussi à la surprise générale à se qualifier pour le tour final de l’étape des parrainages.
Légende image,Image d’archive.
Premier tri
Selon la loi électorale sénégalaise, chaque candidat doit recueillir les parrainages d’un minimum de 0,6 % et d’un maximum de 0,8 % du fichier électoral, soit entre 44 231 et 58 975 signatures, de treize députés ou de 120 maires et présidents de conseils départementaux.
Pour les parrainages citoyens, ils doivent être collectés dans au moins sept régions, à raison d’au moins 2 000 par région.
Ce premier tri sur la route de la présidentielle aura fait une hécatombe chez les candidats déclarés. En effet, 72 candidats ont vu leur dossier de parrainages rejeté.
Motifs de rejet : la présence de doublons externes, c’est-à-dire de noms qui étaient présents sur la fiche d’un ou de plusieurs autres candidats, ainsi que de noms qui ne figurent pas au fichier électoral, fichier électronique inexploitable ou encore dossier incomplet.
Selon le code électoral sénégalais, un électeur ne peut parrainer qu’un seul candidat et la liste des électeurs qui ont parrainé le candidat doit être présentée sur fichier électronique et sous forme papier.
Plusieurs personnalités de premier rang ont été recalées pour ces motifs.
L’ancienne première ministre Aminata Touré figure dans ce lot. Elle doute de la fiabilité du système de contrôle des parrainages par le Conseil constitutionnel : « La question qu’on se pose, c’est à quel fichier faut-il se fier, quel est le fichier qu’utilise le Conseil constitutionnel pour contrôler le parrainage ? », s’interroge l’ex-chef du gouvernement.
Candidat recalé au filtre du parrainage, le professeur Mary Teuw Niane évoque une manipulation de ses données visant à l’éliminer de la course : « Il y a eu manipulation ou remplacement de notre clé contenant les fiches de parrainage.
Moi-même, je n’ai pas été identifié sur le fichier général des électeurs.
Et pourtant, il n’y a pas d’erreur sur mes données rapportées. Nous avons vérifié que nos données personnelles demandées, c’est-à-dire les prénoms, le nom, le numéro de carte d’électeur, le numéro d’identification nationale et les dates d’expiration de ma carte nationale d’identité sont corrects.
Donc, il est impossible que je ne sois pas dans le fichier électoral », a expliqué l’ancien ministre sénégalais de l’Enseignement Supérieur.
« Comment une personne qui a déjà voté avec une carte nationale d’identité dont le numéro d’identification nationale et le numéro d’électeur sont sur la fiche de parrainage peut être inconnue au fichier électoral ? », s’interroge le professeur Niane.
Un collectif de 41 candidats recalés a été mis sur pied pour contester l’invalidation de plus de 442.000 parrains par le logiciel du Conseil constitutionnel et dénoncer le mode de contrôle du parrainage, estimant qu’il ne répondait à aucune rationalité.
Ces candidats recalés dénoncent « l’invalidation de milliers de parrains de leurs dossiers de candidatures car non identifiés ou absents du fichier électoral », des personnes sont bien inscrites sur le fichier électoral comme l’explique Aly Ngouille Ndiaye, ancien ministre de l’intérieur et toujours en lice pour la présidentielle : « J’ai été ministre de l’Intérieur du Sénégal, c’est moi qui ai organisé les élections de 2019, donc je sais bien de quoi je parle.
C’est normal qu’on se pose des questions parce que quand quelqu’un a sa carte d’électeur, régulièrement inscrit, il n’a jamais changé de bureau de vote, rien ne peut justifier qu’il ne soit pas dans le fichier électoral. »
Légende image,Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal doute de la fiabilité du système de contrôle des parrainages.
Recours, plaintes et complaintes
Pour l’expert électoral Ndiaga Sylla, la réforme du système de parrainage tant magnifiée s’est finalement révélée « plus catastrophique pour une élection présidentielle inclusive ».
Selon lui, le système de collecte et de contrôle, n’étant pas automatisé, il empêche aux candidats de déceler les doublons externes.
« Le logiciel considère comme non présents dans le fichier électoral tous les parrainages reproduits dans le fichier Excel d’une manière différente de l’orthographie figurant sur la carte nationale d’identité (CNI) biométrique CEDEAO.
Ainsi, l’omission d’une lettre sur les prénoms et noms ou d’un chiffre sur le numéro de la carte d’électeur et le NIN de même que l’erreur sur le discriminant (la date d’expiration de la CNI) entraînent le rejet du parrainage.
Plus grave encore, la commission de contrôle invalide toute liste de parrainages qui ne renseigne pas l’entête, notamment l’indication de la région. »
S’il ne remet pas en cause la fiabilité du fichier électoral, l’expert n’en préconise pas moins une réforme profonde du système de parrainage actuel qui selon lui, est un « système de parrainage à tolérance zéro ».
« Le constat est que la commission de contrôle ne fait pas la différence entre une erreur matérielle substantielle ou non et celle pouvant être corrigée séance tenante, soit par le représentant du candidat (mention de la région), soit par le logiciel.
Par ailleurs, la réforme n’a pas pris en compte les implications de la procédure de contrôle des parrainages et au surplus la décision du Conseil constitutionnel qui exige la complétude du dossier comme condition pour procéder au contrôle des parrainages d’un candidat.
En vertu de la Constitution et du code électoral, les réclamations sont déposées après la publication de la liste des candidats. Au vu de ces constats et considérations, il y a lieu d’envisager les réformes appropriées et non superficielles du système de parrainage sénégalais qui s’est révélé très complexe et sélectif. »
Légende image,Pour l’expert électoral Ndiaga Sylla, le système de parrainage au Sénégal est un système à tolérance zéro.
Le Conseil constitutionnel a achevé l’examen des parrainages ce mardi 9 janvier.
Les 7 sages ont jusqu’au 20 janvier pour examiner tous les autres documents connexes, y compris le casier judiciaire, la situation fiscale et tant d’autres critères obligatoires pour valider le dossier de candidature.
Une fois cette phase achevée, le Conseil constitutionnel procèdera le 20 janvier, à la publication de la liste définitive des candidats autorisés à se présenter à l’élection présidentielle du 25 février.
Pour la première fois de l’histoire du Sénégal, le président sortant ne sera pas candidat lors d’un scrutin présidentiel. Macky Sall ayant annoncé en juillet qu’il ne briguera pas de troisième mandat, conformément à la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats consécutifs.
Liste des 21 candidats qui ont validé leurs parrainages :
- Anta Babacar Ngom
- Rose Wardini
- Amadou Ba
- Boubacar Camara
- Cheikh Tidiane Dieye
- Déthié Fall
- Daouda Ndiaye
- Habib Sy
- Karim Wade
- Khalifa Sall
- Idrissa Seck
- Aliou Mamadou Dia
- Malick Gackou
- Aly Ngouille Ndiaye
- Mamadou Lamine Diallo
- Serigne Mboup
- Pape Djibril Fall
- Bassirou Diomaye Faye
- Mame Boye Diao
- Mouhamed Boun Abdalah Dione
- Thierno Allassane Sall
BBC