Reconvertie dans la recherche, l’ancien ministre français Rama Yade vit actuellement aux Etats-Unis où elle dirige le département Afrique de l’influent Think tank américain Atlantic Council. Auteure de l’ouvrage « Les Leçons de l’Amérique : Nation et puissance », paru, cette année, aux éditions « L’Harmattan », elle analyse, dans cet entretien, la place de l’Afrique dans la politique étrangère des Etats-Unis ainsi que les enjeux internationaux de la prochaine présidence de Donald Trump.
Le président américain Joe Biden a effectué une visite en Angola du 2 au 4 décembre dernier. Son seul et dernier déplacement en Afrique. Ce voyage n’arrive-t-il pas trop tard pour un président en fin de mandat ?
Comme on dit aux Etats-Unis, des présidents en transition, c’est un « lame duck », un canard boiteux, qui a débarqué à Luanda.
Sans doute la raison pour laquelle ce n’est pas le President angolais, João Lourenço, mais son Ministre des Affaires Etrangères, Tete Antonia, qui est venu l’accueillir à sa descente d’avion. Même si les circonstances internationales (les attaques terroristes du 7 octobre en Israël) et domestiques (la tempête Milton) ont par deux fois entrainé un report de cette promesse de voyage, beaucoup regrettent que ce voyage en Afrique subsaharienne d’un président américain, le premier en 15 ans, n’arrive qu’en fin de mandat.
Le dernier président à avoir foulé le sol africain était Barack Obama.
Biden a néanmoins organisé le seul Sommet USA-Afrique en 8 ans en décembre 2022, et reçu le président du Kenya en visite d’Etat, la première d’un dirigeant africain en mai 2024, une première depuis 2008 quand le président américain Georges Bush avait accueilli le ghanéen John Kufuor.
L’Afrique n’était pas une préoccupation de la politique étrangère américaine sous Trump et même sous Biden. Y aurait-il évolution, à votre avis, avec ce deuxième mandat de Donald Trump ?
Si vous leur demandiez chacun de ces présidents s’en défendrait ! Sous son premier mandat par exemple, Donald Trump, qui avait commencé par vouloir couper les budgets des programmes de développement, avait fini par créer une nouvelle agence de développement mieux financée que ses prédécesseurs (development finance corporation-DFC) et d’une nouvelle initiative, Prosper Africa. Il est vrai que les alertes sur la concurrence chinoise avaient été fortes.
Quant à Biden, traduction de son volontarisme, il pourra légitimement indiquer que si son voyage en Afrique a été tardif, on a vu se succéder dans différents pays africains toute une série de dignitaires de son administration comme la Vice-présidente Kamala Harris, le secrétaire d’Etat Antony Blinken, le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, la secrétaire au Commerce Gina Raimondo et de manière plus inhabituelle, la secrétaire au Trésor Janet Yellen. La plus grande réalisation de Biden aura sans doute été le Lobito Corridor, le programme phare de son Nouveau Partenariat pour les investissements et les infrastructures globales, censé concurrencer la Route de la Soie des Chinois.
Il a aussi soutenu l’entrée de l’Union africaine comme membre permanent au sein du G20, réalisée lors du G20 de New Delhi en septembre 2023 et son Ambassadrice auprès des Nations-Unies, Linda Thomas-Greenfield, a défendu, au nom des Etats-Unis, l’idée de deux sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Quant à la tournure du second mandat de Trump, elle dépendra de deux éléments : la compréhension par les Américains de l’intérêt stratégique de l’Afrique mais aussi de la capacité des Africains à eux-mêmes peser dans le jeu international.
La course à la compétition fait rage en Afrique avec les autres puissances globales ou régionales. Les Etats Unis n’ont-ils pas un retard à rattraper dans ce domaine par rapport à d’autres concurrents comme la Chine ?
Les Etats-Unis ont pris tellement de retard – je rappelle que la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique depuis 2009 ! – que ces promesses ont semblé tardives à de nombreux observateurs. Ainsi, la réforme de la Banque mondiale et du Fmi est à l’arrêt alors que l’Afrique a des besoins de financement énormes. Rien qu’en matière de climat, la Banque africaine de développement a estimé que l’Afrique a besoin de 2.800 milliards de dollars de financement entre 2020 et 2030 pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique.
Le domaine sécuritaire est un pilier de la coopération entre l’Afrique et les Etats-Unis. La demande de départ des troupes américaines au Niger ne va-t-elle pas conduire à une évolution de cette coopération ?
Les Etats-Unis ont souvent privilégié une approche sécuritaire en Afrique. Mais là, c’est la Russie qui semble prendre le dessus. Elle est le premier vendeur d’armes sur le continent. On a vu son influence grandir au Sahel grâce à la coopération entre Wagner et les nouveaux leaders sahéliens. La propagande pro-russe s’est également renforcée, accompagnant les coups d’Etat et un récit souverainiste. Au-delà de l’Aes, on a vu ce que j’appelle le récit afro souverainiste s’imposer au Tchad et au Sénégal.
Les revers de Wagner puis Africa Corps contre les mouvements terroristes sont néanmoins susceptibles de les affaiblir dans la région.
Pendant ce temps, en effet, les Occidentaux cherchent à renforcer leurs points d’appui alternatifs avec le Gabon et la Côte d’Ivoire et à l’Est, avec le Kenya, devenu un « allié majeur non membre de l’Otan ». C’est le premier Etat subsaharien à gagner ce statut.
Lors du Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique de décembre 2022, un engagement d’investissement de 55 milliards de dollars en Afrique sur trois ans avait été pris. Sur le plan économique, la coopération entre l’Afrique et les Etats Unis a-t-elle atteint un certain niveau ?
Il y a eu une volonté de lancer des chantiers comme la transformation digitale avec l’Afrique ou, dans le cadre du G7, le PGII avec le Lobito Corridor que je citais plus haut. De l’espace avec les accords d’Artémis, à la santé en passant par la sécurité alimentaire, des initiatives avaient été annoncées dans la foulée du Sommet Usa-Afrique, mais rien qui ne permettra à court terme de concurrencer les 282 milliards de dollars atteints par les échanges entre la Chine et les économies africaines.
Je ne parle pas des puissances moyennes qui accélèrent comme l’Inde, la Turquie, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes Unis…
Néanmoins, les Etats-Unis ont des atouts que ses concurrents n’ont pas : le contrôle des institutions de Bretton Woods, la force du dollar, une influence forte sur les marchés financiers, alors que les Africains ont besoin d’investissements massifs. Un soft power américain qui continue de faire penser à tous les dreamers de la terre que lorsqu’on veut réussir, c’est aux Etats-Unis qu’il faut aller. De la conquête spatiale à Netflix, ce pays reste une attraction.
De manière générale, comment voyez-vous la politique extérieure américaine avec la présidence à venir ?
La transition en cours permet de se faire une idée de la direction que prendra Donald Trump. Alors qu’il n’est pas encore en fonction – ce qui arrivera le 20 janvier 2025-, il a déjà désigné son futur gouvernement avec Marco Rubio comme Secrétaire d’Etat, Hegseth à la Défense s’il passe le cap de la nomination, un envoyé spécial pour l’Ukraine, le General Keith Kellogg, son conseiller pour le Moyen Orient, Massad Boulos.
Ces nominations laissent penser à une volonté de se concentrer d’abord sur le désengagement américain des crises internationales.
Sur le plan économique, la logique du « America First » semble l’emporter avec la hausse des droits de douane annoncés pour se protéger de la concurrence chinoise et …européenne. On peut se demander ce que deviendra l’Agoa, ce système de tarifs préférentiels dont bénéficient les pays africains depuis 25 ans et qui doit être rediscuté en 2025.
Je pense que la logique transactionnelle de la future administration devra amener les Africains à ne rien attendre de particulier de Trump mais les conduire à changer leur approche en valorisant leur atout et en privilégiant la négociation dans une relation plus équilibrée, gagnant-gagnant.
Quant aux Etats-Unis, plutôt que de reprocher aux Africains de faire affaires avec tel ou tel, je pense que leur stratégie devrait plutôt consister à faire une meilleure offre que celle de leurs concurrents. Encore une fois, comme les Européens du reste, je suis convaincue qu’ils en ont la capacité. Reste à savoir s’ils en ont la volonté.
Avec le retour de Donald Trump, la rivalité sino-américaine va-t-elle aller crescendo. Ou est-il possible d’aller vers une détente ?
La guerre commerciale a déjà commencé sous Biden qui avait, en mai 2024, quadruplé les droits de douane sur les véhicules électriques chinois. De ce point de vue, il y a une continuité de la politique commerciale américaine vis-à-vis de la Chine. Je ne vois pas pourquoi ça s’arrêterait. Pour les Etats-Unis, c’est une question existentielle.
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