Pour préserver les ressources halieutiques, Moustapha Dème, chercheur économiste des pêches au Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye (Isra/Crodt), plaide pour une réorientation de certaines formes de subvention de la pêche. En effet, explique l’expert, ce soutien financier contribue à la surpêche.

Le secteur de la pêche est confronté à d’énormes difficultés. Entre autres, les acteurs listent souvent, la surpêche, la pêche inn ou illicite, entre autres. Selon Moustapha Dème, l’Etat en a une grande part de responsabilité, puisqu’il «apporte un soutien financier extraordinaire à la pêche, sous forme de détaxe des équipements de pêche, sous forme de subvention du carburant, des moteurs et un certain nombre d’avantages liés à la pêche industrielle et aux exportations».

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Déjà en 2022, souligne le chercheur économiste des pêches au Centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye (Isra/Crodt), «32 milliards de francs Cfa ont été mis à profit par l’Etat du Sénégal, pour accompagner la pêche. Alors que la pêche n’a généré que 4 milliards sous forme de redevances et de recettes.

Tous ces moyens mis en œuvre dans le secteur ont occasionné un surinvestissement.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, l’effort de pêche, les moyens déployés dans les pêcheries dépassent le potentiel halieutique».

Il rappelle que «dans le cadre d’une étude financée par la Banque mondiale, dans les pêcheries démersales côtières, il y a de cela dix ans, on disait qu’il y avait 51% de surcapacité, c’est-à-dire que pour avoir une pêche durable au niveau de ces ressources, 51% des pêcheurs qui interviennent dans ce segment devaient en sortir pour se reconvertir».

«Comment peut-on comprendre que dix ans plus tard ou cinq ans, on puisse mettre plus de 2 milliards pour armer davantage ces pêcheurs sous forme de subventions de moteurs, alors qu’on est déjà en surexploitation ?», s’interroge-t-il.

La pêche mérite d’être soutenue.

Ce soutien est utile. Mais le gros problème, relève l’expert, «c’est son orientation. Il y a des créneaux beaucoup plus viables que de subventionner des moteurs. Dans la recherche, par exemple, l’Etat ne met que 100 millions de francs Cfa par année. Le bateau de recherche du Crodt est tombé en panne depuis des années».

«Aujourd’hui, une bonne partie de ce soutien financier doit être réorienté, particulièrement vers des fonctions de gestion des pêcheries, notamment la surveillance, la recherche, la formation, le renforcement de capacités et tout ce qui concerne la sécurité sanitaire des produits, au lieu que ça soit des subventions directes qui ne feront qu’augmenter la surcapacité.

Les plans d’aménagement qui prévalent maintenant dans le secteur de la pêche ont besoin de financements», plaide M. Dème.

«Le permis de pêche n’a aucun impact»
Il intervenait lors d’un atelier de renforcement de capacités des journalistes et communicants en appui au plaidoyer sur la pêche Inn et transparence dans le secteur de la pêche organisé par l’Ong Environmental justice foundation (Ejf).

En outre, déplore le chercheur, «à partir de 2005, l’Etat a institué le permis de pêche, mais cette mesure a été très inefficace, d’autant plus que le coût du permis est très faible. Le coût varie entre 5000 et 25 000 francs Cfa. Pour la pêche à pied, le coût est fixé à 5000 ; concernant les pirogues de moins de 13 m, elles doivent verser 15000 francs, et celles de plus de 13 m, 25 000 francs Cfa, et 50% des pêcheurs ne paient même pas ce permis de pêche.

Cela veut dire qu’on utilise ce permis comme cadre de gestion des pêcheries, mais il n’a aucun impact et n’a fait qu’accroître la surcapacité dans les pêcheries».

Comme conséquences de cette surcapacité, Moustapha Dème mentionne, entre autres, la «surexploitation et dégradation des ressources halieutiques, l’accroissement de la vulnérabilité et de la précarité des populations côtières ; la vulnérabilité des communautés côtières aggravée par la faible capacité d’adaptation aux différents facteurs de crise ; la menace sur la sécurité alimentaire du pays ; une forte dépendance de l’industrie halieutique nationale vis-à-vis des ressources halieutiques des pays voisins».

Pis, renseigne-t-il, la consommation per capita diminue de plus en plus. Cette consommation annuelle par personne a évolué de 29 kg et se retrouve aujourd’hui à 15 kg, baisse liée aux différents usages de la ressource et surtout les exportations.

La consommation per capita chute à 15%
«Les Sénégalais se nourrissaient essentiellement de petits pélagiques côtiers qui ne concernaient que 10% des exportations sénégalaises, puisque l’essentiel des exportations portait sur le poulpe et les démersaux côtiers qui se sont effondrés. Donc, les producteurs se sont redéployés sur ces petits pélagiques côtiers qui étaient le filet de sécurité des populations sénégalaises.

70% des exportations sénégalaises sont constitués de petits pélagiques côtiers.

Cela veut dire qu’on titre du pain de la bouche des Sénégalais pour la sous-région et ailleurs ; sans compter maintenant l’émergence de l’industrie de farine de poisson, essentiellement approvisionnée à partir des petits pélagiques côtiers qui signent des contrats d’exclusivité d’approvisionnement et d’ailleurs, en Mauritanie où il y a 40 usines de farine de poisson, ce sont les pêcheurs sénégalais, notamment les Saint-louisiens, qui contribuent largement à l’émergence de cette industrie.

En Gambie aussi, il y a trois usines de farine de poisson approvisionnées à 90% par les Sénégalais», analyse Dème. Avant de conclure : «Le poisson qui nourrissait le Sénégal va dans la sous-région, et est utilisé à d’autres usages non alimentaires comme la farine de poisson».

lequotidien

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