Les présidents de clubs n’aiment pas parler argent. Babacar Ndiaye qui est à la tête de Teungueth FC depuis 2011 a fait exception. Avec dsports.sn, il a été, dans cet entretien par moment cash, avouant le montant reçu en 2022 de la CAF après la qualification en phase de poules de la Ligue des champions.

Il s’est aussi prononcé sur les clés du succès de Teungueth FC, de la rivalité naissante avec le Jaraaf et du développement de la Ligue sénégalaise de football professionnel.

Président Babacar Ndiaye, qu’est-ce que ce 2e titre de champion en seulement 7 saisons en Ligue 1 représente pour vous ?

Babacar Ndiaye : Une fierté pour notre ville Rufisque. Feu mon père avant son décès a eu à militer au Saltigué de Rufisque. Il en a été le trésorier et était aussi à la FSF. Il me disait ‘’tu viens de reprendre un club à Rufisque, il faudra être fort mentalement et financièrement’’. Plusieurs fois, j’ai vu des dirigeants du Saltigué débarquer chez nous pour des primes.

J’ai donc grandi dans cet environnement de foot depuis tout petit.

Donc voir ces trophées pour Teungueth FC, pour la ville de Rufisque, ça me rend extrêmement fier. C’est en quelque sorte poursuivre les ambitions de feu mon père. Gagner est tout de même très difficile. Diriger un club, c’est compliqué. Il y a tellement d’aspects à prendre en compte. La saison a été éprouvante mentalement. Les supporters sont très exigeants surtout qu’ils commencent à être habitués aux succès.

                                            Babacar Ndiaye : «Rivaliser avec le Jaraaf n’est pas dans notre stratégie»

Avec le marché des transferts et la course au titre de cette saison, on sent une rivalité naissante entre Teungueth FC et Jaraaf qui a été votre dauphin. Comment la vivez-vous personnellement ?

Par rapport au marché des transferts, il me semble que c’est dû à la participation des deux clubs aux compétitions africaines. Il fallait donc boucler très tôt les effectifs puisque l’on joue au mois d’août. Tout le monde veut les bons joueurs et ces derniers surfent sur cette supposée rivalité. Les joueurs utilisent TFC comme moyen de surenchère.

Rivaliser avec le Jaaraf n’est pas dans notre stratégie.

On déroule notre feuille de route et quand vous gagnez, vous titillez certaines équipes mais on ne rentre pas dans ce jeu. Par exemple, jamais nous avons approché un joueur sous contrat. Si un joueur est sous contrat, on entre en contact avec son club pour voir s’il y a une possibilité de transfert. Nous l’avons fait avec Jamono Fatick, Pikine, Casa et tant d’autres clubs. On reste gentleman.

Vous insinuez certainement le cas Moctar Koita que le Jaraaf a annoncé comme son nouveau joueur alors que Teungueth FC avance qu’il est sous contrat jusqu’en 2025 ?

Je vois beaucoup de déclarations par ci et par là. Le papa du joueur connait les engagements de son fils avec Teungueth FC. Nous ne voulons pas tout étaler dans la presse. Mais lui et son fils savent qu’il est toujours sous contrat avec nous. Et comme dit plus haut, notre modèle économique n’est pas une photocopie de celui d’un autre club.

On ne cherche pas à rivaliser avec Jaraaf.

On veut tout simplement continuer à progresser dans tous les aspects. Nous n’avons que 13 ans d’existence contrairement à eux. Nous vivons dans le présent et suivons notre business plan.

Dans un entretien avec Dsports TV, juste avant la fin de cette saison, on vous a entendu dire que la Ligue pro vous devait encore des primes. A combien cela s’élève ?

Deux avances de 5 millions ont été faites l’année dernière sur notre prime de champion de 2021 qui s’élèvent à 20 millions FCFA. Il en reste donc 10. Plus les 20 millions du titre de 2024, cela fait 30 millions désormais. Il faut que la Ligue arrive à éponger cela. Surtout que nous allons disputer la Ligue des champions de la CAF. Le Rwanda arrive bien.

Les sponsors habituels ont déjà exécuté leur budget.

On négocie des rallonges. Heureusement que la Fédération sénégalaise de football a octroyé un accompagnement à hauteur de 25 millions FCFA. Nous les en remercions sincèrement. Il faut cependant que la Ligue trouve une solution pour augmenter le prize-money pour le champion de Ligue 1.

Au Maroc, le champion touche 600 millions. Tanzanie et Afrique du Sud sont, il me semble, au-dessus.

                                              «Une saison en Ligue 1 coûte facilement 250 millions FCFA…»

Les présidents de clubs n’aiment pas trop ‘’parler argent’’ alors que c’est le nerf de la guerre. Combien coûte en moyenne une saison en Ligue 1 ?

Une saison en Ligue 1 avec aussi nos cadets, nos juniors, notre académie et toutes les charges, on arrive facilement à 250 millions FCFA, si on a certain degré d’exigence et de volonté de réussite. Un joueur en moyenne est payé entre 100 et 300 mille FCFA au Sénégal.

Certains joueurs sont à 400 ou 500 mille dans deux ou trois clubs.

A Teungueth FC, on privilégie le projet sportif et les primes de match. Nos sponsors couvrent la moitié du budget. Après il y a la vente des maillots et le ticketing qui ramènent un peu de cash. On doit transférer pratiquement chaque année un joueur pour être sûr d’équilibrer le bilan. S

inon c’est le président qui sort de sa poche.

Un foot pro ne peut se développer sans droits TV. Impossible. On diffuse gratuitement au Sénégal. Imaginez un instant, le Jaraaf sans Cheikh Seck, Kaffrine sans Abdoulaye Sow, GFC sans Lat Diop. Beaucoup d’équipes ne paient pas de salaires car les présidents sont épuisés financièrement.

Est-il arrivé que vous ayez eu envie de jeter l’éponge et de tout arrêter ?

Jeter l’éponge n’est dans mon ADN. Le chemin est difficile mais on y arrivera. Cependant, je ne vais pas m’éterniser. Teungueth FC est mon bébé certes mais bientôt, je passerai la main à quelqu’un d’autre qui viendra poursuivre la mission.

Celle qui consiste à toujours faire grandir le club, à le hisser chaque année un peu plus haut sur tous les plans.

Je sais que je suis beaucoup plus sur la fin que sur le début. C’est éprouvant et surtout l’équilibre familiale, j’y tiens. Mais avec le foot c’est dur. J’en profite pour remercier ma femme. Elle a été un soutien extraordinaire.

Si le projet Teungueth FC en est arrivé là, c’est parce qu’elle m’a beaucoup supporté et eu un bon suivi des enfants. Ma fille aînée a eu le BAC, elle est à l’université. Elle est une fierté parmi tant d’autres. Le garçon a eu son brevet, les études avant tout.

                          «L’organisation et la vision, certainement les clés du succès de TFC»

Teungueth FC a été champion de Ligue 2 en 2016, est désormais double champion de Ligue 1 (2021 et 2024), a remporté les Coupes du Sénégal (2019), de la Ligue (2023) et le Trophée des champions (2023). En 2012, lorsque vous repreniez ce club, pensiez-vous connaitre un tel succès en une décennie ?

Honnêtement non. Surtout que dès que j’ai repris ce club, le stade Ngalandou Diouf a été fermé pendant 7 ans. On louait des Ndiaga Ndiaye pour faire Rufisque-Guédiawaye ou Rufisque-Pikine pour aller s’entraîner. On louait le terrain à 25000 à chaque séance. C’est dans la résilience que l’on s’est construit. On est tellement habitué à voyager que certains de nos matchs à l’extérieur, je vois notre équipe attaquer à outrance comme si nous jouions à domicile.

En si peu de temps donc, on s’est construit une belle armoire à trophées.

Celui qui m’a le plus marqué, c’est celui de la Coupe du Sénégal en 2019. Parce que je n’ai pas assisté à la finale. J’étais dans l’avion et je revenais de la Pologne avec la sélection des U20.

L’équipe est venue m’accueillir à l’aéroport avec le trophée.

Moi, dès que l’avion a atterri, j’ai allumé mon portable pour voir le résultat du match (Teungueth FC avait battu 1-0 l’US Gorée). C’était fabuleux de les voir vraiment à l’accueil.

Quels sont pour vous les principaux clés de la réussite de Teungueth FC lorsque l’on sait que Rufisque a historiquement eu de très grands talents mais ses différentes équipes mythiques ont eu du mal à gagner des trophées ?

Certainement l’organisation et la vision. Quand, dans une équipe, il y a plus de 40 dirigeants qui veulent tous décider ou un seul boss qui n’écoute personne, ça va droit au mur. Tout petit, plusieurs fois j’ai vu des dirigeants du Saltigué que je rencontre aujourd’hui venir se disputer avec mon père pour des questions d’argent.

J’ai grandi dans ce milieu et j’ai donc appris.

Un club, pour le gérer, il faut des systèmes de fonctionnement comme dans les entreprises. Le titre de cette année, c’est aussi le Titre du Management de Badou Dia, Papi Lo, Seydina, Babs Ndiaye et beaucoup d’autres. J’ai d’ailleurs pris un peu de recul par rapport aux autres années.

Ils ont été soumis à rude épreuve pendant des années.

Je sais ce qu’ils peuvent faire et grâce à eux Teungueth FC connait de bons résultats et ne disparaîtra jamais Inch Allah.

Malgré cette réussite depuis 2019 vous avez connu une instabilité sur le banc. Qu’est-ce qui l’explique, votre tempérament ou l’environnement hostile venant des supporters ?

Il y a peut-être plusieurs raisons. En 13 ans de présidence je n’ai licencié que 3 coachs pour mauvais résultats. On laisse donc nos coachs travailler. Maintenant, Teungueth FC est devenu une vitrine parce que l’on gagne. Cela met en lumière les entraîneurs qui deviennent très sollicités.

Des clubs surenchérissent.

Mais nous avons notre modèle et avançons pas à pas. Concernant les supporters, c’est vrai que certains doivent comprendre qu’il peut y arriver que l’on perde mais ce n’est vraiment pas la cause des départs des coachs. Sidate Sarr fait du bon travail depuis son arrivée. On espère qu’il va rester 4 ou 5 ans.

Teungueth FC a eu des partenariats avec Pau. Vous pouvez revenir un peu sur ce partenariat ?

J’y ai mis fin de façon unilatérale. Je suis dans le business depuis plus de 30 ans. Mais si c’est signer et ne pas avoir une visibilité financière surtout sur les reventes, je préfère être seul. Un partenariat doit être gagnant-gagnant. Si TFC n’a pas ses intérêts ou je vois des choses pas nettes, je me retire. Comme le cas Soumanou Sambou.

Il est passé par Teungueth FC, il a été un moment scolarisé au frais du club.

On l’a emmené à Pau mais la suite ne nous a pas plu. Il y a des pratiques que je ne tolère pas. Quand le respect n’est plus à table je me lève. Aussi simple que cela. On a nos avocats notamment Me Seydou Diagne. Plusieurs clubs qui ont voulu nous rouler ont été sanctionnés. Simba a payé pour Pape Ousmane Sakho. US Monastir vient de payer pour Pa Oumar Fall. Raja aussi concernant Sillah.

Il reste Oujda qui nous doit un reliquat de près de 30 millions FCFA après la revente de Paul Valère Bassène à la RS Berkane.

Tant qu’ils n’ont pas payé, ils ne pourront pas recruter. Certains clubs étrangers veulent abuser des clubs sénégalais mais juridiquement, nous sommes bien assis. On a appris de nos erreurs.

Mbaye Jacques Ndiaye est parti en D2 polonaise contre 100 millions FCFA, vous avez communiqué sur les détails de l’opération, ce qui n’était pas le cas pour les autres transferts. Est-ce à dire que les précédents transferts n’avaient pas de contrepartie financière ?

Vous savez on ne communique pas sur nos charges aussi. Quand on a 250 millions FCFA de charge et qu’une vente de 100 millions arrive, les gens pensent qu’on est riche. Non, les transferts permettent d’équilibrer le budget.

On a fait de beau transferts c’est vrai avec Pa Ousmane Sakho, Ousmane Diouf et autres.

                    «On ne peut depuis 15 ans, faire les mêmes choses et attendre des résultats différents»

Depuis deux mercatos, les clubs soudanais et rwandais viennent dénicher nos meilleurs joueurs. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Ce sont des salaires de ministre qu’on paie à ces joueurs. Impossible de les retenir. Quand un joueur reçoit 30 millions de prime de signature et un salaire de 4 millions FCFA ailleurs, il est difficile de le retenir au Sénégal. La ligue pro sénégalaise n’a pas encore les fondations permettant au club de garder les joueurs. Le foot ce sont les droits télé, la vente des joueurs, le merchandising, le ticketing et une bonne prime de champion.

Nous n’avons pas tout ça. Pour le moment, il faut former et s’attendre à des départs chaque année.

Les joueurs, mentalement même, ne veulent pas rester. Même disputer une Ligue des champions CAF ne pèse pas dans la balance. Le Sénégal peut rivaliser en termes de talent avec toutes les autres nations mais notre business modèle n’est pas efficace.

En 2022, Teungueth FC avait réussi à atteindre la phase de poules de Ligue des champions. Combien la CAF a octroyé à votre club pour cela ?

Nous n’avions reçu que 250.000$ (environ 150 millions FCFA) de la Caf et non 500 mille dollars (environ 300 millions). La RTS avait signé le cahier des charges avec la FSF et n’a pas rempli sa part dans la diffusion des matchs. La CAF a coupé à la source. Entrer en phase de poule est lucratif et certaines équipes sont prêtes a tout pour cela.

Après le sacre au CHAN 2022, l’ancien président de la République avait demandé qu’on lui présente un projet de développement du football local. De nouvelles autorités sont arrivées. Par quels moyens efficaces pensez-vous qu’elles peuvent aider les clubs ?

L’accès au foncier pour la mise en place de terrains d’entraînement et autres. Aider aussi à la logistique et faire une subvention financière encadrée. Ça permettra même d’auditer les clubs ensuite pour leur gestion. L’état fait beaucoup pour la sélection A mais le foot local n’a rien.

Le statut du joueur, la fiscalité il y a beaucoup de choses à revoir.

Les autorités n’ont pas besoin de 100 pages. Un bon projet de 7 à 10 pages bien succinctes, ça devrait le faire. On verra quels actes posera ce nouveau régime. Le budget du sport ne fait pas 1% pour plus de 53 fédérations. C’est aux pilotes du foot sénégalais de guider le foot amateur et pro à bon port.

En 2021, vous aviez ambitionné de candidater pour la présidence de la LSFP avant de vous retirer. Serez-vous candidat pour 2025 ?

J’avais, avec mon équipe, un beau programme. On n’a pas le monopole de la réussite mais ce plan est de loin mieux que ce qui se fait actuellement. En ce moment, la LSFP dépend absolument de la FSF.  Je m’étais retiré parce qu’il y a eu beaucoup d’interventions. Des autorités sportives au président de la FSF, de la LFA et autres. Et même au niveau familial.

Quand, même vos parents vous demandent de vous désister, on ne peut faire autrement.

Il y a eu des regrets pour ma team qui avait fait un très bon travail. Je suis encore jeune. Ce poste n’est pas une obsession. Nous voulions juste apporter notre expertise. Le foot local Sénégalais ne décolle pas. Tant qu’on ne change pas le business modèle actuel, ce sera dur d’y arriver. On ne peut depuis 15 ans, faire les mêmes choses et attendre des résultats différents.

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