La douleur est très fréquente en gériatrie, entre 40 et 70 % en médecine de ville, entre 80 et 90 % dans les EHPADS. La question de la prise en charge de cette douleur est donc cruciale. Parmi les médicaments dont disposent les médecins pour soulager leurs patients, on trouve le Tramadol. Attention toutefois, des précautions s’imposent.
Tramadol : comment fonctionne-t-il ?
Le Tramadol est un des opioïdes faibles les plus consommés en France. “Son intérêt est son mécanisme d’action mixte. Il a une action opioïde, il va se fixer sur les récepteurs de la douleur (les récepteurs MU) et a également une activité sérotoninergique qui va jouer sur les circuits inhibiteurs descendants de la douleur (envoyés du cerveau vers les nerfs)”., explique le Dr Capriz, gériatre et algologue (spécialiste de la douleur).
C’est ce double mode d’action qui rend par exemple le Tramadol plus efficace que la morphine sur les douleurs à composante neuropathique.
“Le problème du Tramadol est sa métabolisation, dans le sens où deux patients peuvent prendre ce médicament et tous deux auront un effet différent”, observe la spécialiste. Certaines personnes sont des métabolisateurs lents (15 à 20 % de la population), le médicament sera alors sans effet.
D’autres, environ 5 à 10% de la population caucasienne, sont des métaboliseurs ultra rapides. Le Tramadol sera alors toxique à dose normale, avec un risque de surdosage, de vomissements, de malaise.
Tramadol : quelles sont ses indications ?
Le Tramadol est indiqué dans la prise en charge des douleurs modérées intenses, pour des douleurs aiguës ou chroniques. Ses indications sont les mêmes que celles des autres antalgiques opiacés de niveau 2 : la traumatologie dont les fractures, en péri-opératoire, les lombosciatiques etc.
“Mais il y a aussi des indications dans les douleurs dites neuropathiques pures ou mixtes (c’est-à-dire nociceptives avec une composante neuropathique) : douleurs du zona ou d’amputation, en post-chirurgie thoracique ou du cancer du sein, en chimiothérapie etc.”, détaille la spécialiste.
Les effets secondaires du Tramadol chez les personnes âgées
“Les personnes âgées ont souvent une métabolisation plus lente des médicaments, en raison d’une insuffisance rénale, cardiaque ou encore hépatique. Ils vont donc rester plus longtemps dans l’organisme et atteindre des taux anormalement élevés, ce qui explique que les effets secondaires soient plus fréquents et plus intenses.”, explique le Dr Capriz.
Le Tramadol possède de surcroît plus d’effets indésirables que les opiacés classiques, car il cumule les effets secondaires de cette classe de médicaments (constipation, sédation, hallucinations, syndrome confusionnel, rétention d’urine, sensation vertigineuse etc.) avec ceux des médicaments sérotoninergiques (agitation, mouvements non coordonnés, troubles du langage, syncope, contractions musculaires involontaires, manque de sel, hypoglycémie notamment chez les patients diabétique).
Le Tramadol peut également abaisser le seuil épileptogène, provoquer une instabilité tensionnelle et une accélération ou un abaissement du rythme cardiaque. Une réaction allergique est évidemment possible, même si ces cas sont rares.
“Je demande toujours aux patients s’ils ont déjà pris ce médicament, et s’ils ont ressenti des effets indésirables. C’est le bon sens qui nous guide par rapport au problème de tolérance du patient. Il faut que le rapport bénéfices/risques soit positif.”, ajoute la gériatre.
Chez les personnes âgées qui prennent des médicaments, il existe aussi un risque d’interaction avec le Tramadol.
Certains médicaments vont inhiber son efficacité, alors que d’autres vont au contraire conduire à un risque de surdosage. Il est donc très important que le prescripteur analyse bien l’ordonnance du patient afin de s’assurer qu’aucun autre médicament ne va modifier l’efficacité du Tramadol.
C’est le cas de certains médicaments très courants, en particulier chez les personnes âgées, tels que les antidépresseurs, antipsychotiques, antibiotiques ou encore les médicaments à visée cardiovasculaire.
Tramadol : les précautions à prendre chez les personnes âgées
“Le Tramadol est un médicament très efficace mais du fait de ses variabilités d’efficacité, les gériatres sont un peu plus frileux à l’utiliser”, observe le Dr Capriz. Lorsque les patients disent y être intolérants ou se pensent allergiques, je peux parfois le réintroduire en titrant les besoins. Car bien souvent, « l’allergie ou l’intolérance » sont le résultat d’un mésusage”, ajoute-t-elle.
En effet, la plupart des comprimés de Tramadol ne sont pas adaptés à la tolérance de la personne âgée. En gériatrie, le Tramadol est donc le plus souvent utilisé sous la forme pédiatrique en gouttes (une goutte = 2,5 mg) à un dosage faible : 3 à 5 gouttes, deux à trois fois par jour à adapter en fonction du poids et de la fonction rénale du patient.
La dose peut ainsi être modulée, augmentée par paliers, sans atteindre en fait les dosages fixes des comprimés que l’on trouve dans la pharmacopée française.
Le Dr Capriz rappelle toutefois qu’il peut y avoir un problème de comptage des gouttes chez les personnes âgées. “C’est pour cette raison que je prescris aussi le passage d’une infirmière qui va assurer le suivi et la tolérance du médicament”, explique-t-elle.
Outre cet encadrement infirmier, il faut également bien préciser la posologie en nombre de gouttes par prise, puis en nombre de prises par jour sur la boîte du médicament. Le pharmacien a un rôle très important à jouer dans le circuit du médicament, et il est également là pour rappeler le fonctionnement du flacon compte-gouttes.
Tramadol : attention au risque de dépendance !
Le Tramadol expose à un risque de dépendance pouvant survenir assez rapidement, après 10 à 15 jours de traitement seulement. L’arrêt de ce médicament peut donc aussi poser problème et provoquer un syndrome de sevrage : troubles anxieux, troubles du sommeil, sueurs, réactivation des douleurs.
C’est pour cette raison que depuis 2020, la durée maximale de prescription des médicaments antalgiques contenant du tramadol est réduite de 12 mois à 3 mois, pour limiter leur mésusage ainsi que les risques de dépendance.
“Il ne doit jamais être prescrit à long terme et lorsque le patient a moins de douleurs, on baisse progressivement la dose. Avec la galénique en gouttes, le protocole de sevrage est beaucoup plus simple à mettre en place qu’avec des comprimés”, explique la gériatre.
L’utilisation du Tramadol ne doit jamais être banalisée
“Le Tramadol doit toujours être prescrit avec précaution, mais plus encore chez les patients fragiles, ayant des comorbidités, des maladies chroniques, une insuffisance rénale sévère”, explique la gériatre.
Cette dernière rappelle également que chaque prescription est unique et individuelle. “Il faut avoir un œil neuf sur chaque patient, et ne pas agir par automatisme”, ajoute-t-elle.
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