La publication du dernier bulletin de l’ANSD sur les statistiques économiques et financières a suscité la colère noire du directeur général du Port autonome de Dakar, Waly Diouf Bodian, qui s’est précipité pour apporter la contradiction à l’agence de référence.  »EnQuête » a essayé de comprendre d’où viennent ces divergences. 

C’est un Waly Diouf Bodian très remonté qui est monté au créneau, en fin de semaine dernière. Multipliant les sorties, il s’en est pris vigoureusement aux médias qui, selon ses accusations, lui en veulent simplement à cause de sa décision de suspendre les contrats de publicité que le Port autonome de Dakar avait l’habitude de signer avec certaines d’entre elles.

Le tort desdits médias, c’est simplement d’avoir repris les conclusions d’un nouveau bulletin de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie sur la situation économique et financière.

De manière accessoire, il est revenu sur la situation du port, en brandissant des chiffres qui entrent en contradiction avec ceux de l’ANSD.

 »EnQuête » a essayé d’en savoir un peu plus sur ces chiffres qui surgissent de partout et qui se contredisent. 

Intervenant lors d’une rencontre organisée par l’Association pour la solidarité du Port autonome de Dakar (ASPAD), le DG, après s’en être violemment pris à la presse qui n’a fait que relayer les chiffres de l’ANSD, a fait l’affirmation suivante : « Je ne sais pas de quel port de Dakar parle ces gens (les médias), mais le port de Dakar que je dirige se porte très bien et a réalisé des résultats probants en 2024.

Ces gens sont allés prendre des statistiques du mois de décembre comparées au mois de décembre de l’année 2023 pour dire que le port est dans une tendance dangereuse. Je le répète, c’est de la manipulation et c’est l’œuvre de journalistes de mauvaise foi qui en veulent au port. On ne peut prendre les résultats d’un mois particulier pour faire ce genre d’appréciation en faisant croire que le port a reculé sur l’année. 

À en croire le tonitruant DG, pour une bonne base de comparaison, il faut prendre les chiffres de l’année et non ceux d’un mois.

« Nous, nous travaillons sur des exercices. Et sur l’année, les chiffres sont en hausse. Il ya eu peut être une rétraction sur le mois de décembre, mais sur l’année, on est bon», a soutenu Bodian qui livre ses statistiques. « Pour le tonnage, nous étions à 23 millions en 2023 contre 24 millions en 2024.

Où est donc la catastrophe dont on nous parle ? Les exportations ont monté de 68 % pour atteindre 5 millions de tonnes ».

Ces affirmations tenues lors de la rencontre avec les travailleurs ont été reprises dans un communiqué officiel publié par la boîte.  »EnQuête » a vérifié ces différentes allégations de la Direction générale du PAD. 

Affirmation 1 : « Ces gens (les médias) sont allés prendre des statistiques du mois de décembre 2024 comparées au mois de décembre de l’année 2023 pour dire que le port est dans une tendance dangereuse. »

Sur ce point, le bulletin de l’ANSD indique noir sur blanc que : « Sur le cumul des douze mois de 2024, l’activité maritime au PAD se dégrade de 14,7 %, comparée à la même période de l’année 2023. »

Relativement au mois de décembre, l’agence a constaté que « l’activité portuaire affiche une contreperformance de 17,1 %, sensiblement au mois précédent ». La comparaison entre le mois de décembre 2024 et décembre 2023 laisse plutôt paraître une variation de 28,4 %, selon les chiffres de l’ANSD. 

Les allégations contredites de Waly Diouf Bodian

Dans son communiqué, la Direction générale du Port autonome de Dakar a donné quelques raisons qui expliquaient cette baisse qu’elle ne reconnaissait que pour le mois de décembre.

Tout en reprenant le pourcentage de -17,1 % sur le mois, elle invoque : les tensions géopolitiques et les perturbations logistiques qui auraient entraîné « le ralentissement du commerce maritime international » ainsi que « des variations saisonnières propres au secteur portuaire, avec traditionnellement un repli des volumes en fin d’année ».

Dans son bulletin, l’ANSD a donné d’autres raisons pour expliquer cette baisse.

« Cette situation fait suite à la baisse simultanée des débarquements (-24,9 %) et des embarquements (-5,0 %) sur cette période.

La réponse des débarquements est due au fléchissement de ceux des produits de la mer (-31,3 %), des hydrocarbures raffinés (-24,7 %) et, dans une moindre proportion, des marchandises diverses (-1,4 %). S’agissant des embarquements, la chute est en rapport avec ceux des phosphates (-42,4 %) et, dans une moindre mesure, des produits de la mer (-4,5 %) ainsi que des marchandises diverses (-1,4 %) ». 

Affirmation 2 : « Il ya eu peut-être une rétraction sur le mois de décembre, mais nous, nous travaillons sur des exercices. Et sur l’année, les chiffres sont en hausse. Pour le tonnage, nous étions à 23 millions en 2023 contre 24 millions en 2024. Les exportations ont également augmenté de 68 % pour atteindre 5 millions de tonnes. 

Ces chiffres sont en tout cas très différents de ceux fournis par l’ANSD. À en croire l’agence, pour 2024, les débarquements et les embarquements ne font pas plus de 19 141 600 t contre 22 446 200 t pour 2023, soit une baisse de 14,7 %. En ce qui concerne les débarquements, ils sont augmentés à 12 357 000 t en 2024 contre 14 774 800 t en 2023, soit une baisse de 16,4 %.

Relativement aux embarquements, l’ANSD les évalue à 6 784 600 t en 2024 contre 7 671 400 t en 2023, soit une baisse de 11,6 %. 

L’ANSD travaille sur les bilans que lui communique le Port autonome de Dakar

Mais d’où viennent donc ces divergences entre le Port autonome de Dakar et l’Agence nationale de la statistique et de la démographie ? Du côté du Port autonome de Dakar, on estime  que l’ANSD n’a peut-être pas pris en compte la totalité des activités annuelles sur 2024 contre 2023.

« L’ a direction Facturation du port qui compile les statistiques portuaires est la seule habilitée à vous renseigner.

Or, ce qui a été publié par l’ANSD n’est pas conforme au travail de redressement effectué par le DG Waly Diouf Bodian depuis son arrivée au port en mai 2024 », souligne un de nos interlocuteurs qui croient que l’ANSD s’est basé sur des estimations.

Interpellé sur la hausse supposée de 68 % des exportations, notre interlocuteur estime que cela s’explique  par « la bonne dynamique des exportations des hydrocarbures (pétrole et gaz) et halieutiques ». Sur les résultats financiers, il n’a pas voulu trop s’épancher, estimant qu’ils ne sont pas potentiellement disponibles. 

Du côté de l’ANSD, on tente plutôt de dédramatiser, s’étonnant même de toute la polémique provoquée par la publication.

Nos sources soulignent qu’en fait, dans ce genre de situation, l’ANSD ne se base pas sur des estimations, mais sur des données réelles produites par les structures concernées.

« Il  ne s’agit pas d’enquête d’estimation ; on travaille sur les données produites par la structure concernée, en l’occurrence le Port autonome de Dakar. Ce sont des statistiques que nous collectons régulièrement et que nous traitons dans le cadre de nos bulletins mensuels. Ce sont donc les états financiers de la structure», explique une source proche de l’ANSD.

Pour elle, le port aurait pu se rapprocher de l’ANSD pour voir de près ce qui se passe.

«Quand vous dirigez une structure, si on vous dit voilà la situation, il ne faut pas nécessairement essayer de se défendre. D’abord, il faut chercher le pourquoi ou bien se rapprocher des autorités de l’ANSD, avoir une séance pour voir où se trouve le problème. Si c’est l’ANSD qui a commis une erreur, elle va faire un communiqué pour rectifier.

Il n’y a aucun problème de ce point de vue », indique notre interlocuteur qui n’a pas manqué de souligner que « les procédures sont très rigoureuses » au niveau de la structure.

« L’ANSD est très précise sur ses publications pour justement parer à ce genre de situation. Sur un processus de validation très rigoureux. Par exemple, même pour les documents sur la situation économique, avant publication, il y a un comité de lecture constitué de plusieurs responsables. On va tout scruter. Et après, on donne au DG et au DGA qui vont apprécier, faire leurs observations ».

Le verdict

En définitive, sur la première affirmation, quand le directeur général du PAD affirme que les gens se sont exécutés sur des chiffres du mois de décembre pour porter une appréciation sur tout l’exercice, il faut noter que ce n’est pas conforme à la réalité.

En effet, l’ANSD ne s’est pas limitée à une comparaison entre décembre 2023 et décembre 2024.

L’agence a estimé que, sur les 12 mois, l’activité s’est dégradée de 14,7 %, comparée à la même période de l’année 2023. Entre décembre 2024 et novembre 2024, la baisse est activée à 17,1 %. Par rapport cependant à décembre 2023, il a été constaté une réponse de 28,4 %. 

Pour ce qui concerne la deuxième affirmation, sur la hausse ou la baisse des chiffres, il nous est difficile de savoir quels chiffres se fient. En revanche, il convient de préciser que dans ce genre d’enquête, l’ANSD ne fait pas d’estimation. Elle se base sur les chiffres mêmes de la structure concernée qui, régulièrement, le long de l’année, doit communiquer son bilan comptable à l’ANSD.

Il ne devrait donc pas, en principe, y avoir de divergences. Du côté de l’ANSD, en tout cas, les autorités attendant d’être saisies avec des preuves pour voir quelle suite donner à cette polémique. 

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