La décharge de Keur Massamba Guèye II, un amas d’ordures fumantes qui s’étend sur 6 hectares, au milieu des habitations, pose un véritable problème de pollution et de sécurité aux riverains immédiats de ce quartier situé à la lisière de la ville de Thiès, mais rattaché administrativement à la commune de Fandène.

Dès les premières lueurs du jour, les récupérateurs, hommes, femmes et enfants, prennent d’assaut ce réceptacle des déchets de la ville, qu’ils partagent avec des animaux domestiques en divagation ainsi que des hérons et des corbeaux.

Cette décharge semble avoir atteint ses limites, même si les charretiers collecteurs continuent d’y acheminer des ordures, attirant tout ce beau monde, avec d’énormes risques sur leur santé.

‘’L’odeur et la fumée de cette décharge nous tuent à petit feu’’, gémit une riveraine.

Dans une robe en wax, assortie d’un foulard bien noué à la tête, qui cache mal des cheveux grisonnants, pointant au-dessus d’un front ridé, témoin d’un âge assez avancé, Hadja Aminata Ndiaye raconte les 12 ans de galère qu’elle a vécue dans cet environnement suffoquant.

La maison surplombe la montagne de détritus, entourée de dizaines voire de centaines d’autres habitations.

Le dépôt donne sur la route de Mbour, d’où les charretiers y accèdent. Il n’est pas rare qu’un gros nuage visible de loin, s’en échappe enveloppant une bonne partie du quartier et réduisant fortement la visibilité sur la route voisine.

Le voisinage suffoque

En consumant les matières plastiques, les pneus usés, les ordures ménagères et autres cadavres d’animaux morts, déposés dans cette ancienne carrière de calcaire, le feu régulièrement allumé par les récupérateurs, envoie dans l’air un gaz sulfurique.

‘’Si on vous dit que c’était un vaste trou, vous ne le croirez pas’’, taquine Aïssata Aw, une voisine de Hadja A. Ndiaye.

La décharge étant tout le temps en feu, ‘’nous sommes obligés parfois d’allumer de l’encens, de nous calfeutrer, pour fuir l’odeur et la fumée, surtout quand il y a du vent comme aujourd’hui (dimanche 20 avril)’’, relate-t-elle.

‘’Quand je suis tombée enceinte de mon garçon, j’ai dû quitter le quartier, pour aller à Silmang, sur conseil de mon gynécologue, parce que j’étais souvent enrhumé, en plus les meubles, le sol, les rideaux de la maison sont toujours couverts de suie’’, raconte Aïssata Aw.

Au sommet du tas d’immondices, des dizaines de petits feux flambent spontanément, attisés par un vent chaud et sec.

Cette pollution ambiante couvre un vaste rayon tout autour du dépotoir, d’est en ouest, du nord au sud.

Les riverains sont enfumés jour et nuit.

‘’Aujourd’hui, avec le vent qui ne s’arrête pas et le feu qui brûle tout autour de la maison, nous sommes obligés de porter des masques, même dans les chambres et de nous adapter’’, confie Awa Ly, une mère de famille dont le domicile est à moins de dix mètres de la décharge.

S’adapter, c’est ce qu’elle fait d’ailleurs depuis 2012, l’année où elle est venue habiter dans ce quartier. Le décor est le même depuis lors. Les sachets plastiques transportés par le vent prennent feu autour de chez elle.

Ce sont les recycleurs qui brûlent des pneus usés, pour en extraire le fil de fer. En plus de la fumée que provoque cette opération, les objets flambants charriés par le vent constituent un véritable danger pour le voisinage.

‘’Les braises qui sont déplacées par le vent font que partout autour de la maison, on a du feu tout le temps’’, se plaint Aïssata Aw.

‘’Nous souffrons, mais nous sommes obligés de respirer cet air qui n’est pas bon pour notre santé’’, se résigne-t-elle.

A l’image de la fameuse décharge de Mbeubeuss à Dakar, celle de Keur Massamba Guèye II, illustre parfaitement la lancinante problématique de la gestion des ordures au Sénégal, notamment ce dernier maillon de la chaîne, que constituent les décharges.

“Des fois, nous sommes obligés de libérer les élèves’’

Non loin du domicile de Awa Ly, il y a l’école primaire Keur Massamba Guèye II, un établissement à cycle complet, abritant également un cycle préscolaire.

Les 482 élèves de Keur Massamba Guèye II subissent l’assaut quotidien de la fumée qui émane de la décharge.

‘’La cohabitation avec cette décharge est extrêmement difficile (pour l’école), avec des malades qu’on évacue souvent’’, témoigne le directeur de l’établissement Mamadou Fall. Il souligne que la pollution impacte tout le temps, les enseignements et apprentissages.

‘’L’odeur et la fumée, c’est pratiquement irrespirable pour les élèves.

L’équipe pédagogique en souffre aussi’’, signale le chef d’établissement. Il décrit une situation dangereuse pour les enfants, surtout les tout-petits âgés de trois à cinq ans qui, très souvent, présentent des maladies liées à ces nuisances et ‘’l’équipe pédagogique est obligée de (les) évacuer, avec ses propres moyens’’.

‘’Des fois, la fumée est telle que dans les salles de classe, nous sommes obligés de libérer, les élèves, car, note-t-il, les potaches suffoquent littéralement’’.

Malgré les odeurs de putréfaction de cadavres d’animaux mélangées à la fumée, donnant un cocktail explosif, des femmes, des enfants des jeunes sans aucune protection ni mesures de sécurité, s’y déploient, à la recherche d’objets à monnayer.

Parfois, du fait du vent tournant et de la densité de la fumée, il est impossible de voir son vis-à-vis, à quelques mètres.

Un ballet incessant de charrettes déversant des déchets à tour de rôle, se poursuit sur le site. Dès leur arrivée, elles sont assaillies par les récupérateurs.

‘’Nous collectons d’abord tout ce qui arrive ici, jusqu’à ce que nous obtenions une certaine quantité d’objets, ensuite nous les trions en séparant les plastiques et le fer’’, explique Fanta Diawara, récupératrice en activité à la décharge de Keur Massamba depuis plus de 20 ans.

Habillée d’un pantalon kaki vert sur un tee-shirt noir, la quarantenaire, adossée à un pan de mur empêchant les ordures de déborder jusque sur la route, elle informe que ce site qu’elle surnomme ‘’Mbeubeuss Thiès’’, est envahi chaque jour par des gens de toutes les catégories d’âge.

“Il n’est pas rare de voir 100 à 150 récupérateurs, dont une majorité de femmes venant de tout Thiès”.

Selon elle, la collecte, le triage et la mise en sac de ces produits est un travail éreintant, qui mobilise des centaines de personnes par jour, “surtout les jours ouvrables”.

‘’Dès fois, je récupère et j’accumule les matières pendant une semaine, après je trie en mettant chaque type de matière dans un grand sac’’, fait savoir Fanta Diawara.

Les objets ramassés sont placés dans des sacs cousus dans une vieille moustiquaire recyclée.

Chaque sac est dédié à un type d’objet. L’un, le “mbouss”, contient des sachets plastiques vendus à 50 francs le kilo. Il “dépasse rarement 25 kilos’’, indique-t-elle. Le sac rempli de différents types de bouteilles vides, est le ‘’pépé’’, qui est aussi vendu à ‘’50 francs le kilo’’.

Quant au sac ‘’matière’’, son contenu, composé de fragments de chaises, de seaux, de bassines et bidons d’huile vides, est cédé à 100 francs le kilo. S’y ajoutent les bidons d’eau de 10 de litres qui sont vendues à 35 francs l’unité. ‘’Il te faut alors 100 bidons d’eau vides, pour récolter 3500 francs, c’est très difficile’’, commente la dame.

Tout d’un coup, une énième charrette débarque remplie d’ordures ménagères.

Le jeune charretier, bien qu’étant à longueur de journée en contact avec les déchets, ne met ni gants, ni masque ni chaussures, encore moins de tenue adaptée à son activité.

“Le soir, je bois du lait et après, ça va !”

Très vite, sa charrette est entourée de quatre jeunes garçons et de deux femmes dont Fanta Diawara. Ils plongent sans hésitation leurs mains nues dans ces ordures fraîchement déchargées. Le spectacle est saisissant: voir toutes ces personnes prendre autant de risques pour mettre la main sur des objets de faible valeur, renseigne sur leur niveau de précarité.

‘’C’est notre quotidien, lâche Fanta Diawara, nous prions pour qu’il y ait plus de charrettes, pour que nous puissions récupérer davantage de choses’’.

Malgré les risques que comporte cet environnement sur la santé des riverains, de nouvelles constructions sortent de terre, tout autour de la décharge. Dans les environs, il y a aussi des lieux de travail et des maisons inachevées occupées par des familles, dont des membres s’activent dans la récupération de fil de fer extrait des pneus brûlés.

D’ailleurs, le versant sud de la décharge est bordé de restes de pneus calcinés. L’endroit est noir, l’atmosphère chargée d’un air presque irrespirable.

Des jeunes et des moins jeunes vaquent à la récupération de fil de fer. ‘’Nous en avons l’habitude. Le soir, je bois du lait, et après, ça va !’’, confie Ibrahima Diop. Moustache grisonnante, l’homme est dans son élément. Il est muni d’une barre de fer dont il se sert pour remuer les pneus mis en feu, afin d’en séparer la matière plastique consumée du fer.

“Vers une fermeture effective de la décharge”

S’il reconnaît les risques sanitaires qu’encourent les gens qui vivent dans cet environnement, il estime que cela reste un mal nécessaire. C’est de la vente d’objets recyclés qu’ils tirent leurs dépenses quotidiennes, ainsi que l’argent avec lequel ils achètent des fournitures scolaires à leurs enfants.

Selon les autorités régionales de la Société nationale de gestion intégrée des déchets (SONAGED), les bennes à ordures ont cessé d’acheminer des ordures ménagères vers la décharge de Keur Massamba Guèye.

L’ancienne déléguée régionale de la SONAGED, Korka Seck précise que la décharge est essentiellement alimentée par les charretiers de la ville.

‘’Nous l’avons (la décharge) fermée aux bennes depuis 2022, actuellement seuls les charretiers déversent dans ce site’’, affirme Korka Seck. A l’en croire, la quasi-totalité des camions ramasseurs sont orientés maintenant vers un site provisoire ouvert dans la commune de Pout.

Elle annonce que le Centre intégré de valorisation des déchets (CIVD) de Tivaouane sera bientôt disponible, pour recevoir les ordures ménagères de la ville de Thiès.

Le site provisoire sera aménagé de façon à limiter les nuisances olfactives, explique-t-elle.

En visite récemment sur le site, la présidente de la commission développement durable et transition écologique de l’Assemblée nationale, Amy Ndiaye avait admis les problèmes que posent la décharge de Keur Massamba Guèye. Elle renseigne que la commission a été saisie par les populations riveraines sur les nuisances causées par cette déchetterie.

‘’Nous avons été saisis par les populations riveraines de cette décharge par rapport à ce problème de santé publique, c’est pourquoi la commission est venue avec le directeur général de la SONAGED, pour trouver des solutions’’, avait-elle expliqué à la presse.

Confirmant l’ancienne déléguée régionale, la députée avait noté que la décharge a été “fermée administrativement’’, mais qu’il faudra trouver des “mesures urgentes”, pour empêcher les charretiers de continuer à déverser des déchets.

Elle avait préconisé l’érection d’un mur clôturant le site et le déploiement de vigiles en permanence, pour protéger la décharge des feux allumés par les récupérateurs, et qui constituent la “source principale de la pollution olfactive’’.

‘’Nous allons assurer le suivi, pour que la décharge soit carrément arrêtée”, a-t-elle promis.

aps

Part.
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