Dans l’esprit du poète Senghor, s’est façonnée l’idée des Actualités sénégalaises. Elles seront plus que cela. Elles deviennent la pâte à partir de laquelle un monument cinématographique sénégalais se modèlera. Modélisation, à partir de l’œil et du toucher de pionniers comme Sembène Ousmane. Cours du temps, affres du temps : le monument est enseveli. Heureusement, il existe quelque chose qu’on appelle restauration. Exhumation. Résurrection.

L’avion survole la ville et la vue d’oiseau dévoile sa vie. Des immeubles pointent vers le ciel tandis que des bulldozers nivellent la terre dans un aéroport qui n’en finit pas de s’étendre. Devant l’infini de la mer, des hôtels. Des hôtels, en centre-ville et en centre-ville, le Palais de justice, le bureau des postes… Une ville, qui vibre au rythme de son port et avec un transport fluide.

Sans embouteillages.

Une ville qui a fini de restaurer sa Cathédrale, inauguré sa Grande Mosquée et étrenne un Daniel Sorano flambant neuf. C’est Dakar, lorsque Dakar comptait cent mille habitants. C’est la capitale sénégalaise, quand elle devait accueillir le premier Festival mondial des arts nègres. C’est Dakar, projeté dans une salle de cinéma. Dakar, en noir et blanc à Pathé Dakar mais Dakar, en 4K. C’est Dakar des «Actua­lités sénégalaises».

Restaurées, ces actualités.

Et ce ne sont pas que des images de Dial Diop ou d’Ifè (Nigeria) qui défilent sur le grand écran du cinéma sis à Mermoz : «c’est un peu l’archéologie audiovisuelle de l’Afrique indépendante» qu’on y expose. Voilà sans doute une belle formule, que trouve Marco Lena. Marco Lena, restaurateur digital et par ailleurs co-initiateur de ce projet ayant donné une vie nouvelle aux quatre productions projetées ce 19 décembre 2023. Le public a eu droit à «le Sénégal et le Festival mondial des arts nègres», «Ife / 3ème Festival des arts», «Sénégal an XVI» et «Voyage aux Antilles du Pré­sident Senghor».

Leur restauration «fait partie du projet «African Film Heritage», une initiative visant à localiser, restaurer et diffuser le précieux patrimoine cinématographique africain, créé par le World Cinema Project de la Fondation du Film (Martin Scorsese), la Fédération Panafricaine des Cinéastes (Fepaci) et l’Unesco en collaboration avec la Cineteca di Bologna».

Présent dans la salle pour témoigner, présent dans le projet pour apporter son expertise et présent dans le monde du cinéma depuis des décennies, Baba Diop a vu sa mémoire se rembobiner dans le déroulé d’une narration qui repeint des rues de Dakar que frôle encore le pas de ses souvenirs. Evidemment, pour lui, «c’est merveilleux de voir les bâtiments» figés dans l’éternité de la nostalgie. Sûrement, c’est triste de voir des symboles s’éroder pour ne plus être.

«Et heureusement, se réjouit-il, la mémoire du cinéma les a sauvegardés».

Le vice-président de l’association culturelle Mami­Wata rappellera qu’autrefois, lorsque la restauration s’évoquait, le désintérêt s’exprimait, et qui prétendait que les «vieux trucs» méritent plus la poubelle qu’une attention archéologique.

«Aujourd’hui, on prend conscience que la mémoire est un trésor», et tant mieux. Il encourage à plus de restaurations. Comme d’ailleurs son ami de la même association, Babacar Diop. Pour ce dernier, «c’est important, utile et primordial de sauvegarder notre mémoire».

Restaurer n’est pas dénaturer
«Production d’Etat», lit-on sur grand écran en tout début de séance. L’Etat hier comme aujourd’hui est présent et pour cette soirée de projection, il est représenté par Habib Léon Ndiaye. La cérémonie de projection en avant-première des quatre films restaurés des Actualités sénégalaises «est une étape à inscrire dans le cadre du projet récupération, numérisation, conservation et valorisation du patrimoine audiovisuel sénégalais».

Un projet «que le ministère de la Culture et du patrimoine historique a engagé en relation avec les partenaires techniques et financiers », souligne la voix officielle. Hommage est rendu à Senghor qui a mis sur place les Actualités, «embryon de notre cinématographie». Sembène Ousmane aussi sera évoqué pour être célébré, pionnier qu’il est, par le Secrétaire général du ministère de M. Alioune Sow.

L’embryon fut façonné par la volonté politique du premier Président du Sénégal indépendant. Les artistes de la première heure lui ont insufflé son âme.

L’esprit de ces efforts doit quant à lui demeurer, d’autant plus qu’ «on se rend compte que ça manque, les images sur l’Afrique tournées par les Africains pour les Africains», ainsi que constaté par Marco Lena. Il considère que les Actualités à la restauration desquelles il a participé sont plus qu’actuelles : «En ce moment-là, vu qu’on parle de restitution des biens, je pense que c’est un peu schizophrénique de se concentrer seulement sur les masques et pas aussi sur le patrimoine visuel.

Parce que, sinon, on va découvrir ce que faisaient les ancêtres mais pas la mémoire des grands-pères.»

Le travail de restauration continue et 2024, selon M. Lena, sera une année de cartographie. Les pistes seront remontées au-delà du Sénégal. Maroc et France seront ainsi évoqués par celui qui a espoir que «toutes les 6000 bobines qui, à la base étaient conservées dans la cinémathèque nationale sénégalaise, sont conservées dans quelques labos».

La restauration ne saurait s’imaginer sans les outils modernes.

Seulement, il ne faudrait pas tomber dans le piège des avancées technologiques qui pourraient offrir un rendu tellement raffiné qu’il en ôterait son charme au film originel. Cecilia Cenciarelli attire l’attention sur le fait que le raffinement, dans le travail de restitution, est de précisément veiller à laisser le grain là où il y avait grain.

Comme travail, l’exhumation de la mémoire visuelle des ancêtres se révèle tellement méticuleuse à ses yeux qu’elle l’assimile à celle exécutée sur les fresques dans les églises.

Objectif : «essayer d’aller le plus proche possible de ce que le cinéaste a vu et conçu quand le film est sorti» et non «rendre des films parfaits selon l’œil d’aujourd’hui…». Un aperçu du temps que ce méticuleux travail peut prendre : autour de 2000 heures, pour les Actualités sénégalaises.

Solennel travail ! Aussi solennel que ce Senghor qu’on revoit en noir en blanc et entend dans une voix pleine de couleurs défendre son festival mondial des arts nègres.

Lequotidien

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