Dakar, la capitale sénégalaise, ne cesse de s’étendre. Cette extension, synonyme d’un boom immobilier, se traduit par des constructions qui s’étendent au détriment du patrimoine architectural et même d’espaces dédiés aux services ou à l’agriculture urbaine et aux aménagements paysagers. En hommage à l’exposition des 40 ans de l’artiste céramiste Mauro Petroni, l’Institut culturel italien a accueilli la semaine dernière une projection du film de Francesco Rosi, «Main basse sur la ville».

Dakar est une m – étropole en constante mutation. L’immo­bilier surtout y connaît un boom extraordinaire. Les nouveaux immeubles poussent comme des champignons et parfois, cette extension se fait au détriment du patrimoine architectural et même d’espaces dédiés aux services ou à l’agriculture urbaine et aux aménagements paysagers.

Jeudi dernier, l’Institut culturel italien à Dakar a organisé la projection du film Main basse sur la ville de Francesco Rosi.

A la suite de la projection, les architectes Carole Diop, Nzinga Mboup et l’artiste céramiste Mauro Petroni ont animé une discussion autour des changements urbains de Dakar. Pour l’architecte Nzinga Mboup, «il y a une vrai problématique dans l’accaparement du foncier» à Dakar. «On ne répond même pas aux besoins de services», dénonce l’architecte en évoquant les émeutes qui avaient secoué le quartier traditionnel de Ngor.

Les populations de ce village s’étaient révoltées suite à un projet de construction d’une brigade de gendarmerie sur l’une des dernières réserves foncières sur laquelle les populations espéraient voir ériger un lycée.

Derrière ce boom immobilier, les spécialistes voient surtout le triomphe de la spéculation foncière. Cette spéculation se fait même en foulant aux pieds les règles de sauvegarde du patrimoine historique. Aujourd’hui, Dakar démolit un à un ses éléments architecturaux significatifs. Il en est ainsi du Marché Sandaga qu’une réhabilitation intelligente pouvait sauver.

Carole Diop est une architecte qui travaille depuis de nombreuses années à la sauvegarde du patrimoine architectural de Dakar.

A travers des balades instructives sur les lieux et les bâtiments emblématiques, elle participe à sensibiliser sur la préservation de ce patrimoine. Selon elle, l’Avenue Nelson Mandela illustre parfaitement cette situation. Dans cette rue du Plateau de Dakar, existe une rangée de 7 villas portant des noms de muses de l’antiquité grecque et devant lesquelles des plaques Patrimoine historique réalisées par le céramiste Mauro Petroni, étaient apposées.

Mais aujourd’hui, il ne reste plus que 3 ou 4 de ces villas, détruites qu’elles ont été pour laisser la place à des constructions modernes et sans âme. «C’est tout un pan de l’histoire et de l’évolution de la ville qui disparaît», déplore Mme Diop.

Un déficit de 350 000 logements par an
«De manière générale, il faut réfléchir à un vrai projet de société», estime Mme Mboup. Dakar, devenue trop exiguë pour les millions d’habitants qui y vivent, rend la question de l’habitat très complexe. Selon l’architecte Nzinga Mboup, le déficit en logement tournerait autour de 350 000 logements par an au Sénégal. Mais la réponse des autorités publiques, le Programme des 100 mille logements, est loin de répondre aux besoins.

Aussi, la ville tend à devenir une forêt de tours. Les constructions en hauteur essaiment et sont de plus en plus imposantes.

Jusqu’aux Mamelles de Ouakam, des immeubles y sont incongrument posés. Nzinga Mboup ne s’y trompe pas quand elle dit : «Nous les architectes, on nous appelle maintenant pour construire des tours. Ce ne sont plus des immeubles. Et ces tours, on les construit pour qui ? On sait qu’il y a un déficit de 350 000 logements. Il y a un Programme des 100 mille logements, mais on sait que les tours qui sont construites n’en font pas partie.»

Dakar en cours de gentrification ?

Il n’est pas exagéré de le dire. Plusieurs quartiers de la capitale changent de visage. Les petites maisons sont remplacées par des constructions d’un standing élevé, tandis que le gros des Sénégalais est invité à s’installer dans des lotissements très éloignés de Dakar.

Les deux architectes ont d’ailleurs présenté une exposition à Raw Material dans le cadre du Partcours 2024. «La ville est à nous» est un appel au secours selon Nzinga Mboup. «On est tous affectés et on se retrouve devant une ville qui change sans que la population ne soit consultée», se désole Mme Mboup.

Dakar 2024 et Naples 1963
Dans Main basse sur la ville, Francesco Rosi pointe une situation similaire à celle que vit Dakar. Seulement, le film italien date de 1963. Rosi décrit une situation où la municipalité de Naples transforme des terrains agricoles en terrains constructibles. Près d’un chantier de construction, l’effondrement d’un immeuble vétuste cause la mort de deux personnes.

Le promoteur du chantier est responsable, mais il dispose de nombreux appuis politiques.

L’accident est ainsi le prétexte du réalisateur pour montrer la corruption, le manque d’éthique dans la classe politique napolitaine au moment où la ville est en pleine croissance économique.

Cette projection, qui a accueilli la nouvelle ambassadrice d’Italie à Dakar, Mme Caterina Bertolini, se déroule en hommage à l’exposition marquant les 40 ans du céramiste Mauro Petroni. Une exposition que le Centre culturel italien va continuer à accueillir jusqu’à la fin du mois de mars.

lequotidien

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