Transactions en forte augmentation en valeur et en volume, chiffres d’affaires en progression, hausse du nombre de comptes. Si la croissance est indéniable, elle s’accompagne cependant de défis et d’incertitudes que la Commission bancaire de l’UEMOA tente de réguler avec prudence.

En trois années, le secteur de la monnaie électronique a connu une croissance fulgurante. Entre 2021 et 2023, la valeur des transactions de monnaie électronique a bondi de 288%, passant de 44 213 milliards à 171 959 milliards FCFA. L’année dernière uniquement, elle a progressé de 146%. Les transactions quant à elles, ont doublé pour atteindre près de 8,78 milliards FCFA en 2023. Le nombre de points de service – ces endroits où l’on peut déposer ou retirer de l’argent – a grimpé de 16,4 % en un an, pour s’établir à plus de 1,1 million. 

Une expansion soutenue par les besoins des populations

Cette expansion est d’autant plus impressionnante qu’elle répond à un besoin vital. En effet, dans des régions où les banques sont souvent absentes, les établissements de monnaie électronique (EME) – institution financière autorisée à émettre, gérer et distribuer de la monnaie électronique – sont devenus le refuge financier des populations. Grâce à eux, des millions de personnes, principalement dans les zones rurales et périurbaines, autrefois exclues du système bancaire, ont aujourd’hui accès à des services financiers de base.

Le nombre de comptes de monnaie électronique a ainsi augmenté de 23,3 % en 2023 à 138,1 millions, et le nombre de comptes actifs a suivi la même tendance avec une hausse de 13,3 %.

En comparaison, le nombre de comptes de la clientèle dans le secteur bancaire a progressé de 6,6 % en 2023 pour s’établir à 20,8 millions, un rythme nettement plus modéré par rapport aux EME. Cela montre bien le niveau de pénétration et l’adoption croissante des services financiers numériques dans la sous-région. 

La progression des comptes actifs – ceux utilisés pour au moins une transaction tous les trois mois – est également notable, avec une hausse de 13,3 % en 2023 pour atteindre 52,3 millions. Les utilisateurs profitent de la facilité et de l’accessibilité offertes par ces services, en particulier pour les paiements de proximité, les transferts d’argent, et même pour régler des factures, alors même que les usages se sont multipliés, ces dernières années.

Les paiements de factures, en particulier, sont des usages plus récents qui représentent désormais 16,3 % des transactions totales alors que les transferts de fonds à partir de comptes bancaires de particuliers et transferts intra-Uemoa ont encore une forte marge de progression. 

Les EME se frottent les mains, mais peinent à être profitables

En 2023, le chiffre d’affaires du secteur a rebondi de manière spectaculaire, une augmentation de 45,9 % pour atteindre 252,2 milliards FCFA, après une contraction notable de 23,6 % en 2022. Cette reprise est largement attribuée à l’augmentation du volume des transactions, stimulée par l’entrée en scène d’acteurs majeurs comme Wave Digital Finance au Sénégal et SAMA Money au Mali.

Mais, derrière ces chiffres encourageants se cache une réalité plus complexe.

Les EME ont collectivement enregistré un déficit net de 21,3 milliards FCFA en 2023, une légère amélioration par rapport à la perte de 32,8 milliards FCFA en 2022. Cela pourrait s’expliquer en grande partie par le fait que plusieurs d’entre eux étaient encore en phase d’investissements massifs, notamment les six plus grandes, qui détiennent 55,2 % du marché.

Rien qu’en 2023, leurs dettes financières ont explosé de plus de 218%.

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Un engouement qui cache des défis

Autres défis non moins importants :  le nombre de comptes inactifs – ceux qui dorment, sans aucune transaction – a explosé, en hausse de 30,4 % entre 2022 et 2023 pour atteindre 85,8 millions. En d’autres termes, bien que les EME attirent de plus en plus de clients, une grande partie de ces derniers n’utilisent pas réellement les services après l’ouverture de leurs comptes.

Cette situation pose un véritable défi pour les établissements de monnaie électronique.

Comment encourager ces utilisateurs à ne pas abandonner leurs comptes ? Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette désaffection : une fois le compte ouvert, les utilisateurs peuvent se rendre compte qu’ils n’ont pas autant besoin des services qu’ils le pensaient, ou encore, que les obstacles techniques et les frais sont plus importants qu’ils ne l’avaient envisagé. Il se peut aussi que les offres ne répondent pas complètement aux besoins des utilisateurs, ou que le marché soit saturé avec des comptes multiples pour un même utilisateur, chacun recevant peu d’attention.

La prudence reste de mise dans un environnement en expansion

Au-delà des enjeux liés à l’engagement des utilisateurs, les indicateurs prudentiels du secteur donnent une image contrastée de la santé financière des EME. Ces ratios sont essentiels pour comprendre comment les institutions gèrent les risques et assurent leur solidité financière, surtout dans un environnement en forte croissance et incertain.

Prenons d’abord le ratio de couverture.

Il mesure la proportion des fonds propres que l’établissement réserve par rapport à la monnaie électronique en circulation. Autrement dit, c’est une manière de s’assurer qu’une EME garde suffisamment de ressources en réserve pour absorber d’éventuels chocs financiers. Le seuil réglementaire dans la zone UEMOA est fixé à 3 %, c’est-à-dire que pour chaque 100 FCFA de monnaie électronique émise, au moins 3 FCFA doivent être couverts par des fonds propres. Or, bien que ce ratio soit resté au-dessus du minimum requis, il est passé de 10,5 % en 2022 à 8,3 % en 2023.

Cette baisse, même si elle n’est pas encore alarmante, pourrait indiquer une fragilisation de la capacité des EME à absorber les chocs économiques futurs. 

Ensuite, le ratio d’équivalence nous renseigne sur la capacité des EME à honorer leurs engagements, c’est-à-dire à s’assurer que les ressources disponibles sont suffisantes pour faire face aux obligations financières.

Idéalement, ce ratio devrait être à 100 %, ce qui signifierait que chaque centime engagé par l’EME est parfaitement couvert par ses actifs. En 2023, ce ratio a progressé à 93,1 %, une amélioration de 4% par rapport à l’année précédente, mais toujours en dessous de l’idéal. Et si de ce côté, les établissements de monnaie électronique semblent aller dans la bonne direction, ils ont encore du chemin à faire pour garantir une couverture complète de leurs engagements.

Enfin, le ratio de placement quantifie la prudence des EME dans leurs investissements.

Il fixe une limite aux risques qu’ils peuvent prendre avec l’argent des utilisateurs. Dans l’UEMOA, ce ratio ne doit pas dépasser 25 %, ce qui signifie que moins de 25 % de la monnaie électronique peut être placée dans des investissements risqués.

2023, ce ratio, bien qu’en hausse de 3,3%, est resté à 18,7%, largement inférieur au seuil, ce qui peut être perçu comme un signe positif : les établissements de monnaie électronique ne prennent pas de risques excessifs avec l’argent des clients. Toutefois, ces derniers mois, plusieurs voix se sont élevées pour appeler à une révision de la réglementation, afin de permettre aux EME d’investir davantage de ces ressources, parfois de l’épargne dormante, sur les marchés financiers.

ECOFIN

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