Le nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Faye, était apparu assez humble et sincère, quand il déclamait, le 3 avril 2024, d’une voix monocorde, les orientations de sa politique de gouvernance à la tête du pays. La mise en place du premier gouvernement dirigé par Ousmane Sonko traduit cette volonté.
Franchement, en dépit de toutes les appréhensions liées aux douleurs de l’accouchement de l’équipe de vingt-cinq ministres et cinq secrétaires d’Etat, on peut considérer que le casting est globalement bon.
Certes, on trouvera toujours à redire sur le choix des personnes à d’aussi hautes fonctions au sein de l’appareil d’Etat, mais il demeure qu’on gouverne toujours avec ses hommes, entendez les personnes en qui on a, a priori, confiance.
Sur ce registre, les architectes du gouvernement ont fait montre d’une certaine dextérité pour d’une part, ne pas tomber dans un étroit clanisme politique et, d’autre part, oublier dans leurs choix les hommes et femmes qui ont porté ou accompagné l’odyssée de la conquête du pouvoir.
La plupart des personnalités choisies, particulièrement au niveau des ministères régaliens, sont déjà prêtes pour l’emploi et rassurent dans leur secteur, comme le Général Birame Diop au ministère des Forces Armées qui, du reste, a accepté le poste non sans avoir posé des conditions, notamment le maintien du Haut-commandement de l’Armée nationale.
Le magistrat Ousmane Diagne à la Justice, le banquier et brillant investisseur dans l’agro-business Mabouba Diagne au ministère de l’Agriculture, de la sécurité alimentaire et de l’élevage ou Serigne Diop Guèye à l’Industrie et au commerce ou encore le Général de gendarmerie Jean-Baptiste Tine au ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique, sont aussi de belles recrues. Ironie du sort, le Général Tine fait partie de la fameuse liste d’autorités de l’Etat du Sénégal, déférée devant la Cour pénale internationale (Cpi) pour crimes contre l’humanité suite aux crises de mars 2021, par Juan Branco, le sulfureux avocat français de Ousmane Sonko.
La nomination de Ahmadou Al Aminou Lô, ci-devant Secrétaire général de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), comme ministre-Secrétaire général du gouvernement, est un gage de crédibilité. Du reste, cette nomination constitue-t-elle un signal pour la renonciation à l’idée saugrenue de battre une monnaie locale pour sortir de la zone Uemoa ?
Le choix de Mme Yacine Fall, pour incarner l’image du régime de Bassirou Diomaye Faye sur la scène internationale, devrait rassurer toutes les personnes qui pouvaient craindre des orientations d’un régime politique qui ne laisserait pas assez de place à la gent féminine.
Quatre femmes en tout pour le gouvernement !
On peut aussi faire la même lecture de la nomination de Mme Khady Diène Gaye, comme la première femme à occuper le poste d’un super ministère de la Jeunesse, des sports et de la culture au Sénégal. Maïmouna Dièye, présidente du Mouvement des femmes de Pastef, désignée pour diriger le ministère de la Famille et des solidarités, est tout aussi légitime sur le plan politique.
L’inspecteur des impôts Cheikh Diba, aux Finances et au budget, apparaît également légitime, même si on peut se demander si son pedigree est assez éloquent.
Aussi peut-on s’interroger sur ses futures interactions ou complémentarités avec Abdourahmane Sarr, porté à la tête du ministère de l’Economie et du plan. Ce dernier apparaît plus comme un théoricien qu’un développeur économique.
Dans le choix des personnalités politiques issues des formations alliées, on remarquera que le profil pour l’emploi semble être de rigueur, comme par exemple l’affectation de Moustapha Guirassy à l’Education nationale ou de El Hadji Abdourahmane Diouf à l’Enseignement supérieur ou de Cheikh Tidiane Dièye à l’Hydraulique et l’assainissement.
Les risques ou écueils sur la route du nouveau gouvernement
L’hypertrophie de plusieurs ministères dont certains tenus par des novices, alors que le Premier ministre et le président de la République apparaissent tout aussi novices, peut inquiéter. Ils nous avaient promis un gouvernement resserré.
La rationalité administrative peut expliquer des regroupements de secteurs stratégiques importants comme l’agriculture et l’élevage ou comme l’industrie et le commerce, ou comme l’urbanisme et les collectivités territoriales ou comme l’énergie et les mines ou encore comme la jeunesse, les sports et la culture, mais il faut bien dire que ces administrations peuvent se révéler de lourdes machines et surtout chaque secteur cache des réalités sociologiques particulières dans notre pays.
En outre, des analystes voient déjà du népotisme derrière quelques nominations du fait d’homonymies ou de relations sociales de divers ordres.
Sur ce chapitre, certains péchés que les dirigeants de Pastef collaient régulièrement aux régimes des présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall leur seront désormais opposables ; à moins que le peuple de Pastef ne se soit déjà décomplexé sur la question de l’immixtion de membres de la famille ou de proches biologiques dans la gestion des affaires de l’Etat.
Des déséquilibres du point de vue des origines géographiques des membres du gouvernement sont à souligner, comme la forte prégnance de ministres provenant de Thiès et surtout de la région naturelle de Casamance (Ousmane Sonko, Cheikh Diba (?), Mountaga Diallo, Cheikh Tidiane Dièye, Olivier Boucal, Yankhoba Diémé), tandis des zones comme la conurbation Mbacké-Touba, la banlieue de Guédiawaye-Pikine, ne comptent pas, ou encore le Walo, le Sine et le Saloum, le Ndiambour ou le Fouta sont sous-représentés ou même pas du tout.
La gestation du gouvernement a été bien difficile, mais sa survie tient fondamentalement à l’entente durable de ses deux géniteurs, en l’occurrence le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko.
Le tandem aura besoin de transcender les problèmes d’ego et de susceptibilités qui ne manquent pas dans les relations humaines.
Visiblement, Ousmane Sonko se fait violence pour s’armer d’humilité et accepter la préséance du président de la République ; c’est tout à son honneur. Pourvu que ça dure !
Les péripéties de la formation du premier gouvernement ont révélé que le chef de l’Etat a tenu à affirmer son autorité, pour refuser des choix de son Premier ministre.
Leur mésentente signerait le glas de l’attelage. Il demeure un gros risque politique qui consiste à l’absence d’une majorité parlementaire à laquelle pourrait s’adosser le gouvernement.
Le Groupe parlementaire de Yewwi askan wi, qui compte à l’origine 82 députés, déjà minoritaire, a volé en éclats du fait des dissensions entre le camp de Pastef et celui de Taxawu Senegaal dirigé par Khalifa Ababacar Sall.
Il s’y ajoute que la poignée de députés provenant du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) ne se sentira pas obligée de soutenir un gouvernement au sein duquel leur formation politique ne compte aucune place.
On dira la même chose d’une éventuelle collaboration avec le Parti démocratique sénégalais (Pds).
Le parti de Me Wade, qui a soutenu la Coalition «Diomaye Président» lors de l’élection du 24 mars 2024, est remarquablement absent de l’attelage gouvernemental.
On peut certes considérer que Karim Wade peut ne pas être intéressé, à titre personnel, par un quelconque portefeuille ministériel, mais force est de dire que tous les cadres, encore restés fidèles à la ligne qu’il leur indique depuis son exil doré à Doha, ne se feraient pas prier pour devenir membres d’un gouvernement.
Sur quelle majorité parlementaire le gouvernement pourra-t-il compter ?
Le Président Macky Sall a manifestement adoubé le régime de Bassirou Diomaye Faye, mais pour autant, pourra-t-il emprunter la télécommande de Karim Wade pour, lui aussi, rester depuis un confortable exil de Marrakech et donner des consignes demandant aux députés de Benno bokk yaakaar (Bby) de soutenir le nouveau régime ?
Le cas échéant, il risquerait sans doute des désaveux.
On notera que les premières nominations de Bassirou Diomaye Faye au niveau du Cabinet présidentiel (Oumar Samba Ba, Secrétaire général de la Présidence, et Mary Teuw Niane, directeur de Cabinet) accréditaient l’idée que Macky Sall lui soufflerait à l’oreille.
En revanche, les nominations des Généraux Birame Diop et Jean-Baptiste Tine et du haut magistrat Ousmane Diagne peuvent être interprétées comme des actes posés pour redresser des torts causés.
On se rappelle que ces différentes personnalités avaient été démises de leurs fonctions avec violence, on peut même dire de manière assez humiliante par le Président Sall.
Le nouveau président de la République et son Premier ministre ont-ils été échaudés par les réactions dubitatives sinon hostiles de leur base politique, dès l’annonce des premiers décrets de nomination, pour éviter de continuer de nommer au gouvernement d’autres personnalités réputées proches de Macky Sall, surtout que cela avait été attendu par les rumeurs.
Il apparaît donc clair que Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko n’ont pas réfléchi en termes de nécessité de former une majorité parlementaire.
Il leur sera difficile de faire adopter des textes de loi majeurs, notamment la dissolution envisagée d’institutions comme le Conseil économique, social et environnemental (Cese) ou le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), entre autres.
Le nouveau gouvernement va se coltiner une Assemblée nationale majoritairement défavorable pendant plusieurs mois, le temps que le président de la République ait le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale pour organiser des élections législatives anticipées.
Le 6 septembre 2022, je prédisais dans ces colonnes, que la 14ème législature est partie pour être la plus courte de l’histoire parlementaire du Sénégal.
J’indiquais notamment que «les députés de la 14ème législature ont été élus le 31 juillet 2022 pour cinq ans. Leur mandat expire donc en 2027. Mais la prochaine législature ne devrait pas aller à son terme.
La nouvelle législature ne devrait pas durer plus de deux ans, c’est-à-dire strictement la durée constitutionnelle pour permettre la dissolution anticipée de l’Assemblée nationale.
En effet, la personne (quelle qu’elle sera du reste) qui sera élue à l’issue de l’élection présidentielle de 2024, sera bien amenée, pour ne pas dire obligée, de dissoudre l’Assemblée nationale en septembre 2024».
On est exactement dans ce cas de figure.
Le Président Bassirou Diomaye Faye sera bien obligé, avant de prononcer la dissolution, d’attendre au moins jusqu’au mois de décembre 2024, afin de laisser passer la session budgétaire.
Toutefois, lui restera-t-il une autre astuce, celle d’organiser un référendum constitutionnel, avant cette date, pour lever certaines contraintes d’ordre juridique.
Les cent premiers jours d’enfer
L’euphorie de la victoire va vite s’estomper pour la nouvelle équipe gouvernementale. Ils vont devoir faire face aux dures réalités de la gouvernance publique, mais surtout aux priorités et urgences dirimantes.
C’est l’argent frais qui manquera le plus et il en faudra beaucoup et immédiatement ; alors qu’ils trouveront les caisses de l’Etat quasiment vides. Il leur faudra plus que du génie pour s’en sortir !
En effet, les années 2023 et le début de l’exercice en cours ne sont pas financièrement fastes, du fait d’une atmosphère de campagne électorale et de tensions politiques qui douche les activités économiques.
Les recettes intérieures, qui ne peuvent pas dépasser 200 milliards de francs Cfa par mois, ont pu en souffrir et les marchés financiers se sont d’ailleurs retenus pour financer les demandes du Sénégal.
Ainsi, le ministre Mamadou Moustapha Ba a dû, ces derniers mois, se résigner à annuler successivement deux recours aux marchés monétaires pour couvrir des financements. Le taux de couverture ne dépassait pas 10% des demandes formulées par le Sénégal, un pays habitué à des taux de couverture de plus de 150% de ses demandes.
Des projets de l’Etat en ont pâti.
Les besoins financiers ordinaires restent les mêmes, avec une masse salariale mensuelle de la Fonction publique qui a explosé ces deux dernières années pour se chiffrer à quelque 150 milliards de francs Cfa, sans compter les autres dépenses de fonctionnement.
Parmi les urgences de cette fin avril, il faudra compter le remboursement de plus de 250 milliards de francs Cfa, au titre du service de la dette.
Un défaut de paiement, très redouté, va peser fatalement sur la situation économique et financière du Sénégal pour les mois à venir.
Toute nouvelle opération de levée de fonds sur les marchés financiers sera catastrophique. C’est dans ce contexte que le nouveau gouvernement aura à faire face à d’autres dépenses pressantes dans le secteur de l’énergie.
Dès ce lundi 8 avril 2024, un navire de carburant va accoster à Dakar et exigera la bagatelle de 80 milliards de francs Cfa pour décharger sa cargaison.
Le mois dernier, la Société africaine de raffinage (Sar), dans la même situation d’une menace périlleuse d’épuisement des stocks d’hydrocarbures, avait été obligée de verser pour le paiement de la cargaison, les fonds qui étaient prévus pour s’acquitter de la fiscalité de l’Etat.
On sait que le ministère des Finances ne pouvait rembourser ses dettes à la Sar, encore moins à la Senelec qui reste à courir après plus de 75 milliards de francs Cfa de dettes de compense dues par l’Etat.
La Senelec peine aussi à recouvrer des impayés des factures des différentes administrations publiques, des collectivités locales et d’autres consommateurs dans des secteurs stratégiques pour l’Etat.
En des mots plus simples, le gouvernement risque, dans le très court terme, d’être confronté à des coupures d’électricité et des ruptures de stock de carburant.
Dans de pareilles situations, le Sénégal pouvait régulièrement compter sur des appuis budgétaires ponctuels fournis par ses partenaires traditionnels. Les régimes des présidents Wade et Sall avaient été secourus par les Etats-Unis d’Amérique et/ou la France en 2000, 2012 et 2019.
En novembre 2023, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Amadou Ba avait pu décrocher un appui budgétaire d’urgence alloué par la France qui, cependant, avait pris la précaution de ne le verser qu’en trois tranches au Sénégal.
Les nouvelles autorités du pays auront-elles la latitude de pouvoir solliciter dans l’urgence des pays amis ? Rien n’est moins sûr !
La situation financière difficile avait commandé, au début de l’année, la suppression ou la réduction drastique de certaines subventions sur l’énergie et les denrées de première nécessité.
L’Etat consacrait plus de 600 milliards à ces subventions.
La vérité des prix sera une difficulté supplémentaire pour un régime qui avait promis aux électeurs la baisse des produits de base. Des tensions sociales de divers ordres pourront naître de cette situation et leur exacerbation ne manquerait pas d’avoir des conséquences fâcheuses pour la stabilité du pays.
C’est ainsi qu’il urge de s’engager à aider le nouveau régime, à sortir la tête de l’eau, pour lui éviter de sombrer. L’échec de Bassirou Diomaye Faye sera fatal à tout le monde.
senego