Les acouphènes ne concernent pas seulement les personnes ayant des problèmes d’audition. Une nouvelle étude montre que même avec une ouïe parfaite, on peut souffrir de cette sensation dérangeante, voire handicapante.

Ce sont des bourdonnements, des grésillements, voire des sifflements dans les oreilles que connaissent 10 à 15% de la population dans le monde. Jusque-là, la médecine expliquait les acouphènes par des problèmes d’audition.

Face à une perte auditive, le cerveau tente de compenser l’ouïe manquante en augmentant son activité, entraînant la perception d’un son fantôme. Mais comment expliquer que certaines personnes souffrant d’acouphènes présentent des tests auditifs normaux et entendent parfaitement bien ?

Il existe en fait des « pertes auditives cachées », dues à la détérioration des fibres nerveuses auditives, comme le montre une récente étude.

On peut donc entendre parfaitement et souffrir d’acouphènes. Interview avec le Pr Stéphane Maison, spécialisé dans l’acouphène à la Mass Eye and Ear Clinic, un hôpital de l’Université d’Harvard (Etats-Unis), et auteur de ces travaux publiés dans la revue Nature.

« Pour 2 à 4 % des personnes présentant des acouphènes, c’est handicapant »
Sciences et Avenir : Pourriez-vous nous décrire à quoi ressemblent les acouphènes pour les personnes qui ont la chance de ne pas en souffrir ?

Pr Stéphane Maison : Je prends souvent cet exemple avec mes patients : imaginez un accident de la route dans lequel vous perdez une jambe. Certaines personnes ont ensuite mal à la jambe manquante, c’est ce que l’on appelle une perception fantôme.

Elle est due au cerveau qui essaye de compenser cette perte d’informations sensorielles. Il en est de même pour les acouphènes. 10 à 15% des gens en ont. Et pour 2 à 4%, c’est handicapant, entraînant anxiété et dépression.

On savait déjà que certaines personnes peuvent présenter des « pertes auditives cachées. » Qu’est-ce que c’est exactement ?

Ces pertes cachées sont dues à une détérioration qui survient avec l’âge ou l’exposition au bruit. On ne les détecte pas tant que les dommages ne sont pas très avancés. Elles proviennent d’une dégradation du nerf de la cochlée (un organe en forme d’escargot qui reçoit les vibrations du tympan, ndlr). En parallèle, les cellules sensorielles chargées de détecter le bruit ne sont pas abîmées.

Résultat : dans le calme, on entend très bien.

Mais au bar ou dans un restaurant, la compréhension est difficile. Le patient doit s’aider d’indices visuels, comme les gestes de son interlocuteur, ou il essaye de lire sur ses lèvres. Or cette perte auditive, appelée synaptopathie cochléaire, n’est pas détectée lors de tests d’audition. Le patient est équipé d’un casque et doit lever la main lorsqu’il entend un bip.

Ce test est réalisé dans le silence et n’évalue pas l’état du nerf cochléaire.

On peut donc avoir un test auditif normal tout en étant peu à l’aise dans les environnements bruyants. On s’est alors demandé si ce n’était pas pour cette raison que certaines personnes ont des tests auditifs parfaits mais souffrent tout de même d’acouphènes.

Perte auditive cachée : « pas une seule personne n’y échappe »
Finalement, même si leurs tests auditifs sont impeccables, ces individus souffrent d’une perte auditive ?

Oui. Nous avons recruté des personnes avec des tests auditifs normaux. Nous sommes même allés plus loin en enrôlant des personnes avec des seuils normaux également aux très hautes fréquences. On les a ensuite séparés en trois groupes : celles souffrant d’acouphènes, celles souffrant d’acouphènes 24 heures sur 24 pendant au moins six mois, et enfin celles avec des acouphènes plus intermédiaires.

On a alors découvert deux choses chez les personnes avec acouphènes. Tout d’abord, il y a en effet une atteinte du nerf auditif. Et par ailleurs, le cerveau présentait une suractivité : là encore, il essaye de compenser la perte induite par les nerfs endommagés.

Mais alors comment savoir si l’on souffre soi-même d’une perte auditive cachée ?

C’est très simple, pas une seule personne n’y échappe. Quand on vieillit ou quand on est exposé au bruit, une portion du nerf se déconnecte. C’est la synapse du nerf cochléaire qui dégénère. Cette fibre devient silencieuse et les cellules sensorielles ne peuvent pas l’activer. En revanche, le corps cellulaire, l’axone qui se projette dans le cerveau, reste, lui, en vie durant plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années.

Cela signifie que l’on pourrait éventuellement retrouver l’audition si on disposait d’un traitement adapté ?

Ce sujet fait beaucoup parler de lui. On a en effet montré que chez la souris, il est possible de régénérer les dendrites, de petites fibres ramifiées du neurone, qui portent le signal nerveux. C’est possible grâce aux neutrophines, des protéines qui induisent la survie des neurones. Mais il faut dire que pour l’instant, restaurer l’audition de cette manière chez l’humain relève de l’utopie. Ça reste un rêve dont ne sait pas si nous pourrons un jour le voir se réaliser.

Si vraiment la science parvenait à cette prouesse, on pourrait résoudre bien plus que les problèmes d’acouphènes, non ?

Non seulement on pourrait cibler les problèmes d’acouphènes, mais peut-être aussi l’inconfort lié aux appareils auditifs. Ces derniers ne sont pas parfaits, les audioprothésistes le disent eux-mêmes. Ils peuvent augmenter le son perçu, mais pas sa clarté. Restaurer les fibres auditives perdues permettrait d’apporter de l’intelligibilité et donc du confort à de nombreuses personnes.

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