Le Spasfon est un médicament antispasmodique très populaire en France. Il est prescrit contre les règles douloureuses ou les douleurs gastriques. Son efficacité n’est pourtant pas si claire.

En 2021, 25 millions de boîtes de Spasfon ont été prescrites en France. Ce médicament très répandu voit pourtant son efficacité remise en question. Dans son livre Pilules Roses, de l’ignorance en médecine publié ce mercredi 25 octobre, la spécialiste en philosophie de la médecine, Juliette Ferry-Danini, souligne le manque de données scientifiques démontrant son efficacité.

Selon le Vidal, le dictionnaire des médicaments, le Spasfon est un antispasmodique. « Il lutte contre les contractions anormales et douloureuses de l’intestin, des voies biliaires, des voies urinaires et de l’utérus ». Un produit aujourd’hui particulièrement prescrit contre les règles douloureuses.

Le produit a pour la première fois été passé en revue par l’Agence nationale de sécurité du médicament en 1963 sur la base d’essais cliniques. Des tests menés avec une rigueur discutable selon Juliette Ferry-Danini, interrogée par Libération.

« On a donné le médicament à une quinzaine de personnes et on a vu si ça marchait. Le pire, c’est qu’à l’origine, on le testait pour des douleurs urinaires. En passant, on l’a finalement donné à neuf femmes qui avaient leurs règles. Il n’y a pas eu de travaux supplémentaires pour cette indication », raconte-t-elle.

Un bénéfice « faible » ou « insuffisant »?
Ce médicament remboursé a régulièrement été passé en revue par les autorités sanitaires. La Haute Autorité de la Santé a transmis à BFMTV.com les derniers avis concernant le Spasfon. Et ils sont mitigés.

En 2017, il est écrit noir sur blanc que le « service médical rendu reste faible » pour le traitement des « troubles fonctionnels du tube digestif, des « douleurs aiguës des voies urinaires » ou des règles douloureuses. Le service médical rendu (SMR) mesure l’efficacité et l’intérêt pour la santé publique.

Pire, le service médical rendu est qualifié d' »insuffisant » dans le « traitement symptomatique des douleurs liées aux troubles fonctionnels des voies biliaires ». À la lumière de ces éléments, le remboursement du Spasfon a été maintenu « excepté » dans le traitement des douleurs biliaires. Ces constatations ont été renouvelées dans un autre avis en 2018.

Prescriptions problématiques
Comment expliquer alors que ce médicament soit encore sur les étagères des pharmacies si ses effets ne sont pas démontrés dans de nombreuses utilisations? Laurent Beaugerie, chef du service de gastro-entérologie et nutrition à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, rappelle que les processus de mise sur le marché étaient bien plus permissifs il y a 60 ans.

Il souligne aussi que l’absence de preuves d’efficacité « ne signifie pas forcément que le produit est inefficace ». Par ailleurs, certaines personnes qui prennent la molécule pour se soulager depuis des années finissent par « se convaincre que ça marche ». Une sorte d’effet placebo.

Mais le gastro-enterologue l’assure: bien que le médicament soit prescrit fréquemment par les médecins généralistes, il n’est pas reconnu comme efficace dans les cas de gastro-entérites ni pour les règles douloureuses.

De son expertise, le Spasfon est « l’une de ces 10 molécules extrêmement utilisées mais de la mauvaise manière ».

« Rapport bénéfice/risque positif »
Laurent Beaugerie a siégé dans des commissions d’autorisation de mise sur le marché de médicaments. Il souligne que celles-ci peuvent être retirées. Mais ce processus est plutôt engagé si des méta-analyses démontrent la présence d’effets négatifs chez les patients. Ce qui n’est a priori pas le cas de ce produit.

Contacté par BFMTV.com, le laboratoire Téva qui commercialise le produit souligne que le Spasfon est utilisé « depuis près de 60 ans en gastro-entérologie, urologie et en gynécologie ». Il assure que « les connaissances sur l’efficacité de ces médicaments sur les spasmes d’origines diverses reposent sur une utilisation en recherche clinique depuis plusieurs décennies et attestent de l’efficacité et de la sécurité d’emploi du médicament ».

Enfin, il rappelle que le dernier rapport du comité d’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance a confirmé « le rapport bénéfice/risque positif de Spasfon » tant qu’il est utilisé de manière justifiée. L’utilisation du médicament est donc justifiée et sans danger tant qu’elle respecte les recommandations des autorités sanitaires, selon le laboratoire.

Des pilules roses sexistes?
Selon les données transmises par la Haute Autorité de la Santé, en 2016, 10% des prescriptions de Spasfon l’étaient pour soulager des règles douloureuses, le deuxième motif de prescription derrière les gastro-entérites. Pour un effet qui n’a pas été démontré.

Pour la philosophe Juliette Ferry-Danini, les petites pilules rose cachent par ailleurs une problématique sexiste à la croisée de la santé et du marketing. Elle regrette que « malgré les mauvaises données scientifiques » le médicament ait été « massivement prescrit aux femmes ».

« Le sexisme a été un moteur indéniable de ce succès qui ne devait pas l’être. Le pire, c’est qu’on n’a jamais écouté les femmes qui s’exprimaient sur ce médicament », soulève-t-elle.

La genèse même du produit repose sur des relents sexistes, appuie-t-elle encore. Il a été mis au point en suivant « l’idée que les femmes étaient biliaires », un dérivé de la théorie de l’hystérie féminine. Sur ce point, le laboratoire n’a pas apporté de commentaire.

bfmtv

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