Le domaine public maritime est depuis longtemps aliéné. Et la prédation continue. L’aménagement initié par le gouvernement sur la Corniche de Dakar, pourrait aider à d’abord ralentir voire stopper l’hémorragie. Ensuite, à reconquérir des points stratégiques pour, enfin, les valoriser. Tout cela, dans une perspective de «green infrastructure».

C’est une astuce d’artiste peintre bien connue que de faire se côtoyer le jaune et le noir pour embellir une toile. La Corniche-ouest de Dakar, de nuit, revêt l’allure d’une toile enduite de ces deux couleurs. D’une part, le pinceau divin étale par-dessus les promeneurs, le pagne d’un ciel noirci. Ce dernier rencontre d’autre part l’ingéniosité de l’humain, qui dresse près de la mer les poteaux d’où s’échappe une lumière jaune. Cette dernière se projette dans une mer qui accueille quelques corps. Pres­que vingt-trois heures, et ceux-là qui jouaient au football entre le noir céleste et le jaune des lampadaires, s’offrent une baignade. Prudente, quand même.

En couple, en famille ou en solitaire, on traîne le pas parmi des fleurs qui se balancent au gré d’un doux vent. Brise marine, musique de vagues, bancs pour s’asseoir, lumière jaune atténuée par la nuit… féerique serait peut-être un qualificatif de trop. Mais… quand même. Ici on se prend en photo, là les enfants profitent des balançoires. L’infrastructure attire tous les âges. Tous ses recoins sont envahis. «Si seulement on avait eu un tel joyau plus tôt.» Dans la bouche de Moussa Diouf, cette phrase est à la fois réjouissance et regret. Il est né en 1956 et vit à la Médina. Il se balade parmi les groupuscules d’hommes et de femmes sortis de l’étroitesse des quartiers pour venir profiter de l’éden de la Corniche-ouest. «Il fut un temps où cet endroit était un dépotoir», se souvient celui dont la tête bien rasée n’empêche pas les brins de cheveux blancs de se manifester.

«Mais aujourd’hui, poursuit-il, nul ne peut deviner cet aspect dépassé de ces lieux qui appartient dorénavant à l’histoire.» Son regard, soutenu par des lunettes blanches, ne sera non plus agressé par la vue de déchets d’animaux. Il se rappelle aussi le fait que l’abattoir prenait pour débarras cet espace qui fait face à la Médina et séparé de celle-ci par la route qui tend vers Dakar-Plateau. L’homme qui faisait les cent pas trouve aussi une utilité environnementale à l’infrastructure visitée le 23 juin par le Président Macky Sall. L’une n’empêchant pas l’autre, Moussa Diouf lui trouve beauté et moyen de défense contre l’érosion côtière. Quid du coût que d’aucuns trouvent excessif ? «On avait dit à peu près la même chose du Ter.

Et pourtant, tous voient aujourd’hui son intérêt. Il est vrai, comme on dit souvent au Sénégal, que les constructions ne se mangent pas, mais force est de reconnaître qu’il en faut. Il faut investir dans des constructions comme celle-ci. Et le mérite de l’actuel Président est d’oser aller dans ce sens», dit-il pour conclure. Bientôt, l’homme de petite taille marchera avec sa femme pour regagner la Médina. Semble-t-il donc, le vœu du ministère de l’Urba­nisme, du logement et de l’hygiène pu­blique, qui consiste à «protéger, préserver, moderniser et innover la Corniche», trouve l’approbation de plus d’un. Serigne Mansour Tall, à la différence de Moussa Diouf, jette un regard d’analyste sur la Cor­niche.

L’enseignant-chercheur à l’Ecole supérieure d’urbanisme (université Amadou Makhtar Mbow) soutient qu’«il y a une intense spéculation foncière autour des corniches et les terrains y sont vendus facilement». Parce que «ce sont des zones prisées, et si l’Etat avait fait la même chose qu’on est en train de réaliser présentement, on aurait pu garder la Corniche. Mais maintenant, on ne peut faire que des aménagements intermittents parce qu’il y a beaucoup de propriétés individuelles». Ainsi, il y a dans l’idée de cet aménagement initié, un aspect de préservation de la part de l’Etat, de l’assiette foncière du littoral. Ce qui en reste du moins : «On a complètement aliéné le domaine public maritime aujourd’hui», qui est «normalement une zone inconstructible». Et le mal est déjà fait…

Récupération, valorisation, «green infrastructure»
Ce qui ne signifie pas qu’on ne saurait rectifier le tir, de l’avis de M. Tall. «Si on regarde les éléments du projet, peut-être qu’il peut permettre la récupération de certains points stratégiques et puis leur valorisation», renchérit l’enseignant-chercheur. Récu­péra­tion, valorisation et pas que. Le spécialiste suggère une revalorisation verte en évoquant la notion de «green infrastructure». «Parce qu’une ville, ce n’est pas que du béton», ainsi qu’il le rappelle. «Ce sont aussi des espaces ouverts comme ceux-là. On ne peut dire qu’on est dans une presqu’île et qu’il soit impossible de voir la mer.» Par conséquent, on doit avoir «des constructions avec des aménagements paysagers, mais pas avec du béton». Dans cette optique, «on ne construit pas en dur les limites d’un terrain de football» si on projette d’en implanter. Du grillage suffira «pour permettre une perspective, une nouvelle vue sur la mer». M. Tall est aussi revenu sur la critique autour de la somme qui sera injectée dans le projet d’aménagement. «Il faut attendre de voir ce qui sera fait avec ces 18 milliards», a-t-il dit, avec la remarque selon laquelle on ne communique pas assez sur de grands projets tels que celui engagé par l’Etat.

La promenade des Dakarois, qui constitue aussi en un prolongement de la Porte du troisième millénaire vers le centre-ville, ne s’est pas limitée à dominer de par sa hauteur les eaux. Elle se déploie dans la mer par une passerelle. Des silhouettes s’y croisent. Heu­reuses qu’elles sont de pouvoir profiter d’une vue sur l’océan jusqu’ici possible qu’en pirogue. Une vue aujourd’hui accessible grâce à la montagne de pierres qui donne plus d’autorité à l’infrastructure sur la mer. Sur les parois, se cassent les vagues, l’ardeur de la mer s’en retrouve apaisée. Moussa Diouf avait certainement vu juste, parlant de rempart contre l’érosion. Et il est confirmé par une voix autorisée du ministère en charge de l’exécution du projet de chef de l’Etat. Pour Harouna Dème, «il s’agit avant tout de protéger la zone côtière, parce qu’il y a l’érosion marine et on constate qu’il y a beaucoup d’effondrements au niveau des falaises et qui menacent cette partie de Dakar». Le conseiller technique en communication du ministère de l’Urbanisme, du logement et de l’hygiène publique délimite le rayon d’action du projet.

«Il concerne toute la Corniche de Dakar, du bloc des Madeleines jusqu’à la Mosquée de la divinité», dit-il. Ce, expliquant que les projections incluses dans cette entreprise d’aménagement justifient bien son coût. L’idée est, selon M. Dème, de «rendre Dakar plus belle, parce qu’il y a des manifestations internationales qui arrivent, tels les Jeux Olympiques qui sont prévus en 2026. Il y a aussi l’ambition du Sénégal de co-organiser ou d’organiser la Coupe d’Afrique dans les prochaines années». Outre cela, «Dakar veut se positionner comme un hub aérien et touristique». Et dans cette optique, «il faut que ça soit une ville attrayante». De l’avis de Harouna Dème, ce projet «global» participe considérablement au rayonnement de la capitale et à l’amélioration du cadre de vie. Il considère par ailleurs que pour ce qui est des travaux sur la Corniche en vue de ralentir l’avancée des eaux, plus tard pourrait être trop tard.

Plus haut, face à la plage de Koussoum qui revit grâce aux mètres de sable récupérés par les aménagements, les promeneurs expriment leur satisfaction. Mais des fois, c’est la crainte qui transparaît. Au détour d’une discussion, une visiteuse se plaint des coques de cacahuètes jetées à tout hasard par quelques uns. Pourtant, il y a des poubelles. Le jardin, récemment arrosé par un camion-citerne, est doté de plaques. Dessus, il est marqué qu’il est interdit d’y pénétrer. Reste à savoir si ces plaques auront l’effet escompté : dissuader l’incivisme et donner tort à un autre promeneur qui dit avec assurance que le décor, qui attire tant de curiosité, ne tiendra pas une seule année. Le temps en jugera. Il jugera aussi de la capacité de dissuasion de cet homme tout de noir vêtu, derrière qui court un chien et dont le t-shirt est floqué «sécurité».

Le prolongement du Monu­ment du troisième millénaire n’est pas la seule nouveauté de la Corniche-ouest. A minuit passé, le bruit des marteaux-piqueurs résonne près de la Cité Claudel de l’université Cheikh Anta Diop. Des hommes en blouse s’activent sur les trottoirs à qui leur action donne une autre vie. Et la Place du souvenir africain aura bientôt, à côté d’elle, un autre joyau. En plus de la Place des promeneurs, tous ces projets feront de la Corniche-ouest le «nouveau visage de Dakar». Cette dernière inscription se lit sur la clôture de l’espace qu’on est en train de transformer en vitrine. La clôture donne un avant-goût : y sont imprimées des images qui donnent une idée de ce que sera le projet une fois arrivé à terme. L’état de construction obligeant d’en rester loin, nul ne peut passer. Des agents de sécurité veillent au grain. N’empêche, la verdure d’un jardin déjà sorti de terre se dévoile timidement derrière la clôture. Et tant mieux.

«Dakar repense sa Cor­niche», ainsi que lu sur l’enclos de l’espace en rénovation. Avec le «ressablage» de la plage et la création d’accès piétons à l’océan, l’installation d’aires de jeu et de marchés, le projet du ministère de l’Urbanisme veut doter la Corniche du «meilleur coucher de soleil d’Afrique».

lequotidien

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