Le chanteur et artiste camerounais, Blick Bassy, signe «Bikutsi 3000». Dans ce «conte afro-futuriste» et «féministe», le continent africain s’émancipe du colonialisme et de l’impérialisme grâce à la danse des femmes. Reportage à l’avant-première de ce spectacle qui s’est tenue en juin au Musée du quai Branly, à Paris.

Tout commence par cet avertissement au spectateur : «Ce conte comporte des faits historiques réels.» Et puis, il y a les images de l’abattage d’un arbre à partir duquel on fabrique des tambours. Tout cela avant qu’une conteuse n’apparaisse en vidéo sur les longues tentures qui servent d’écran. Dès les premiers moments, Bikutsi 3000 nous amène loin de nos bases, aux confins de Mintaba, le continent africain. La trame de ce «conte afro-futu­riste» et «féministe» imaginé par l’artiste camerounais, Blick Bassy, croise effectivement la grande histoire. En 1885, lors de la Conférence de Berlin, 14 pays parmi lesquels l’Alle­magne, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou le Portugal, décident de se partager l’Afrique et d’imposer le système colonial. La reine du Nkolmesseng entre alors en résistance. Elle a pour objectif de défaire, d’ici 2050, Mintaba du colonialisme et de l’impérialisme grâce à une armée de femmes qui se bat par la danse.

«On danse tout le temps»
La narration se déploie en cinq tableaux qui représentent des époques et lieux différents. On part de Nkolmesseng en 1885, l’actuel Cameroun, pour arriver à Umugezi, le Rwanda, et le Burundi de 2050. Entre-temps, on a parcouru tout le continent et plus d’un siècle et demi. Traversé par les danses traditionnelles de chaque pays (Cameroun, Namibie, Togo, Tanzanie, Rwanda et Burundi), Bikutsi 3000 trouve sa pulsation dans cet art. Pourquoi en faire le pilier de tout le conte ? «Dans nos différentes tribus, on danse tout le temps, pour les guérisons, les naissances, les deuils. Chez les Bamilékés par exemple, les funérailles sont un moment de danse intense. La danse permet de passer d’une dimension à une autre», constate Blick Bassy. Cette danse n’est jamais très loin de la transe, elle appelle ici à une nécessaire transformation et à une prise de conscience des populations. Dans cette histoire panafricaine, ce sont les femmes qui jouent les premiers rôles. Elles sont conteuses, mais aussi prêtresses vaudous, reines, guerrières ou chanteuses, surtout elles sont de toutes les images. Ayant fait confiance à quatre jeunes danseuses de danse africaine ou de hip-hop, Blick Bassy leur a laissé les coudées franches pour chorégraphier ses tableaux. Un choix qui s’avère tant ces filles vont bien ensemble !

Mélange des formes artistiques
Spectacle plein d’idées et disons-le, un rien touffu… Bikutsi 3000 mêle allègrement les disciplines artistiques. Au conte et à la danse, il faut ajouter la vidéo, l’animation et la musique. Pour illustrer son propos, Blick Bassy est allé chercher des images et sons issus de la collection du Musée du quai Branly. Ces archives lui ont permis de construire les séquences vidéo et de composer une bande-son faite tantôt de ces enregistrements de terrain, tantôt de musique électronique. Ce qui porte la pièce, c’est justement la musique. Partant de ces enregistrements de rites et cérémonies, elle va progressivement vers les musiques urbaines africaines et le dancehall. C’est d’ailleurs quand les beats frappent dur que le spectacle trouve sa vibration.

Alors, après que les corps se sont donnés, on voit les danseuses avancer dans le clair-obscur et l’on entend juste leur souffle… On regrettera cependant sur la longueur que les formes artistiques se télescopent trop, la vidéo prenant le pas sur ce qui se passe sur le plateau et sur les éclairages. Présenté au quai Branly, Bi­kutsi 3000 est l’épilogue de la carte blanche que le Musée des arts premiers a donnée à Blick Bassy, parallèlement à l’exposition Sur la route des chefferies du Cameroun, du visible à l’invisible. Depuis mai, le chanteur et artiste complet camerounais a donné un concert, mis un coup de projecteur sur la jeune garde des voix féminines africaines, proposé des performances et des installations.

A propos de cela, l’artiste expliquait qu’il s’agissait d’une très belle occasion de dire «sa vision de la réalité de l’Afrique» et d’afficher son point de vue sur une gestion déconnectée des traditions et réalités culturelles de chaque pays. Pour Blick Bassy, Bikutsi 3000 est un projet plus global, tout autant qu’un spectacle. Il s’agit d’un «plaidoyer à la reconnexion aux valeurs traditionnelles et à l’environnement pour pouvoir gérer le monde» ! Suite logique d’une création qui a eu lieu entre Paris et Yaoundé, le spectacle devrait tourner un peu partout l’année prochaine et donner lieu à sa version africaine.
Rfi

Part.
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