Le Sénégal vient de vivre une situation préoccupante concernant l’approvisionnement des officines de pharmacie et des structures publiques de soin, en solutés de perfusion, médicaments essentiels dans le traitement de nombreuses pathologies, notamment pour maintenir l’hydratation des patients et administrer des médicaments par voie intraveineuse.
Des ruptures d’approvisionnement au niveau de l’ensemble des distributeurs privés comme public ont été constatées depuis plusieurs semaines avec plusieurs conséquences négatives :
1. Difficulté de prise en charge des patients, dans un contexte de flambée de la grippe, ce qui aggrave ses conséquences sur la santé publique.
2. Risque accru de complications médicales dues au manque de traitements appropriés ;
3. Surcharge de travail pour le personnel médical qui doit gérer la pénurie ;
4. Augmentation potentielle des coûts de santé pour les patients et le système de santé (prolongation de la durée d’hospitalisation).
Au-delà des solutés de perfusion, cette crise remet en lumière la nécessité de développer une industrie pharmaceutique, viable, durable et adaptée aux besoins de santé des populations.
Le gouvernement a déjà mis à jour la loi sur la Pharmacie en 2023 et pris des décrets d’application en faveur du développement du secteur.
Il reste pour notre État, l’urgence de prendre les mesures complémentaires aux réformes déjà adoptées pour renforcer la production nationale de médicaments et autres produits pharmaceutiques.
Le Sénégal importe actuellement 95% de ses médicaments et 99% de ses vaccins.
En valeur, c’est plus de 180 milliards de FCFA (260 millions d’euros) qui ont servis à acquérir des médicaments à l’étranger en 2023 contre 150 milliards FCFA en 2019. Cette forte dépendance aux importations rend le pays vulnérable aux fluctuations du marché international et aux ruptures d’approvisionnement frappant les producteurs étrangers.
L’industrie pharmaceutique locale ne compte qu’une demi-douzaine de producteurs dont un producteur de solutés, mais elle n’arrive pas à être performante malgré l’engagement financier important pris par l’État en faveur de deux unités industrielles en difficulté. Les mesures attendues par l’ensemble des acteurs contribueront justement à rendre plus attractif l’environnement économique de la production locale pharmaceutique qui est en compétition avec les importations.
La plupart des fabricants à l’étranger bénéficient de politiques de soutien de leur État (électricité à très bas prix, subventions, exonérations diverses, abattement fiscal sur le capital investi), leur permettant de circonscrire tout risque de concurrence dans les pays d’importation comme en Afrique en appliquant les tarifs les plus bas.
Il s’agit d’une stratégie de domination par les couts des petits marchés africains au Sud du Sahara, incapables d’assurer un niveau de compétitivité-prix suffisant devant les nombreux freins et obstacles auxquels ils doivent faire face, dans la production de médicaments génériques parmi lesquels la fragmentation des frontières et des réglementations.
Ce phénomène commence à frapper la France qui lutte pour conserver une industrie pharmaceutique confrontée à des tarifs de plus en plus élevés dues à la place croissante des molécules innovantes destinées au traitement des maladies chroniques non transmissibles et à l’abandon progressif de la production des molécules simples (génériques), devenues peu rentables.
Tout récemment, les laboratoires SERVIER ont confié au génériqueur indien Microlabs le soin de produire de l’Amoxicilline destiné au marché français.
Au Sénégal, la médecine avance à grands pas. Les premières greffes de rein ont été réalisées en 2023 par une équipe de chirurgiens sénégalais.
La fécondation in vitro et la procréation médicalement assistée sont devenues courantes. La greffe de moelle est en projet.
Pour le diabète et l’hypertension artérielle, affections qui touchent une part importante de la population au Sénégal (respectivement 6% et 24% de taux de prévalence-OMS 2022), les complications peuvent être améliorées apportant une meilleure qualité de vie aux patients.
Il revient à la Pharmacie de s’adapter en procurant à cette médecine les médicaments innovants qu’elle réclame.
Ces molécules restent malheureusement inaccessibles à la plupart des Sénégalais malgré les efforts des pharmaciens sur les prix, et leur disponibilité n’est pas assurée, compte tenu du poids très faible que représente le marché africain du médicament (2% du marché mondial).
Ces médicaments ne sont pas enregistrés au Sénégal pour la plupart (hors visa) ; ils sont importés sur autorisation spéciale de l’Autorité Sénégalaise de Réglementation, et sont sujets à de fréquentes ruptures d’approvisionnements auprès des fournisseurs européens.
L’année 2025 marquera le 4ème anniversaire de l’adoption en octobre 2021 par l’État du Sénégal d’un ambitieux Plan de relance de l‘industrie pharmaceutique destiné à réduire le risque de pénuries futures et à renforcer la souveraineté pharmaceutique du Sénégal.
Le nouveau Plan de développement Sénégal 2050 présente dans son Master Plan stratégique 2024-2034 l’industrie pharmaceutique comme moteur de croissance faisant partie du pilier 3 des industries manufacturières.
C’est le moment-clef pour nos nouveaux dirigeants d’appuyer sur le bouton de départ en adoptant les mesures-clefs : – Renforcement de la gouvernance des réformes par l’introduction de la Delivery Unit dans l’architecture budgétaire de l’État du Sénégal ; l’appui des PTF est à louer mais ne saurait être pérenne.
– Soutien à l’Agence sénégalaise de Règlementation Pharmaceutique afin de lui permettre d’atteindre et de se maintenir au niveau 3 de maturation de l’OMS garantissant un système de réglementation stable et fonctionnel ;
– Traitement diligent et stratégique du cout des facteurs de production encore trop élevé (électricité, TVA sur les intrants et les équipements au cordon douanier, etc), empêchant les producteurs locaux d’assurer un niveau de compétitivité satisfaisant face aux importations et obérant leurs chances de faire de l’exportation dans la sous-région ;
Des dispositifs douaniers communautaires permettent de contourner certains obstacles liés à la taxation des intrants à l’importation mais ils sont lourds à mettre en œuvre et à suivre.
– Accès aux marchés publics : la SEN-PNA doit être en mesure de booster l’industrie locale par des contrats de performance à moyen terme, afin de lui faire bénéficier des effets volumes sur les couts de production. Pour cela, l’État devra la doter de moyens financiers conséquents qui lui permettront de se faire suffisamment approvisionner en respectant ses échéances de paiement.
– Facilitations douanières accordées aux deux futurs hubs pharmaceutiques qui seront prochainement créés sur le territoire sénégalais contribuant ainsi à améliorer la disponibilité et la distribution des médicaments dans la sous-région. – Plaidoyer
Pour mémoire, l’État sénégalais vise à couvrir un tiers des besoins en médicaments d’ici 2030 et jusqu’à 50% d’ici 2035 soit un enjeu de 230 milliards de FCFA pour la production locale puisque le marché pharmaceutique doublera entre 2020 et 2035 (selon une étude McKinsey-2021). Cependant, ces efforts doivent être soutenus par un engagement politique et financier continu pour assurer la sécurité sanitaire des 40 millions d’habitants que comptera le pays en 2050.
lesoleil