De la clandestinité jusqu’au début du multipartisme, la formation a toujours occupé une place de choix au sein des formations politiques. Des partis, notamment de Gauche faisaient de la formation du militant une priorité. Cependant, depuis un certain temps, l’instruction militante n’est plus une priorité pour les « grands partis » qui mettent en avant le recrutement de masse et le pragmatisme.
Ce sont les idéologies qui gouvernent le monde. Cette maxime est connue bien connue dans le landerneau politique. Depuis longtemps, les groupes se sont toujours organisés pour gérer le pouvoir. Avant, l’organisation se faisait en tribus, en royaumes ou en empires. Dans le monde contemporain pour exercer le pouvoir, la démocratie a été instaurée.
Même si ce n’est pas un régime parfait, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres », selon l’ancien Premier ministre Britannique, Winston Churchill. Avec ce système politique, tout parti voulant exercer le pouvoir est obligé de structurer sa pensée en idéologie. Dans un passé récent, la formation était ainsi une obligation pour toutes les formations politiques au Sénégal.
Et dans cet exercice, les partis de Gauche se sont distingués.
Le Dr Massirin Savané, membre du Secrétariat exécutif d’And Jëf /PADS, confirme que selon les statuts du parti, il fallait « d’abord recruter des jeunes très conscients ». « Pour qu’un jeune soit conscient, il fallait s’occuper de lui. Il ne fallait pas qu’il soit un simple militant.
S’occuper des jeunes, c’est les former réellement de manière idéologique, pour qu’en théorie et en pratique, ils puissent être conscients de ce qui les attend en termes de lutte, de combat. Il fallait qu’ils soient d’abord des militants conséquents », explique M. Savané.
L’exemple de l’école itinérante de Aj-Pads « Selebe Yoon »
Pour ce vétérinaire, membre d’Aj-Pads depuis les premières heures, la formation politique était essentielle parce qu’il fallait apprendre aux jeunes « comment travailler à massifier le parti, comment se comporter au sein du parti ». « C’est ce qui fait que nous avons beaucoup mis l’accent sur la formation.
Et nous avons un cadre pour cela, qu’on appelle l’école itinérante du parti, appelée ‘’Sellebé Yoon’’ ou carrefour ».
L’école reconnue d’Aj-Pads a permis de former et de forger beaucoup de jeunes, notamment dans le secteur politique. « On a vu que notre formation a produit des responsables agiles et des cadres outillés », confesse le chargé du développement rural et des questions agricoles rencontré à son domicile à la Cité Lobbat Fall de Pikine. Le Dr Massirin Savané rappelle qu’il y avait des séances de formation au sein de cette école pour mieux saisir les enjeux de l’heure.
Cela était une évidence pour Landing Savané et ses camardes car, à leurs yeux, c’était un parti armé de la pensée Mao Zedong.
« Il fallait connaître d’abord ce que cela voulait dire. Il fallait comprendre cette théorie. Quel est l’essence même de l’engagement de ceux qui ont créé ce parti ? Il fallait former les gens sur ces principes. On a eu à former les militants des générations de militants par la pratique mais aussi par la théorie », détaille le Dr Savané qui fut adjoint au maire de Kolda.
« Expert et rouge »
Cette formation a permis aux partis de Gauche comme Aj, d’avoir une masse critique de jeunes qui constituaient ce qu’on appelle « l’avant-garde, une jeunesse consciente », qui savait mener des combats mais qui savait aussi s’arrêter.
« Il fallait mener des combats mais aussi savoir s’arrêter quand il le fallait parce que ce qui nous unit, le pays pour lequel on se bat, est plus fort que ce qui nous divise.
La formation politique nous a permis d’avoir effectivement, pour chaque génération, une masse critique de militants conscients du combat, qui connaissent les enjeux de l’heure et qui ont des connaissances transversales. Parce qu’en son temps on disait « expert et rouge », insiste Massirin Savané.
Ce dernier de rappeler que cela voulait dire qu’il fallait non seulement être « un révolutionnaire », un progressiste formé idéologiquement mais aussi être quelqu’un ayant une formation technique lui permettant de répondre aux questions de développement. Moustapha Samb, Professeur titulaire des universités et responsable de la formation doctorale au Cesti confirme que « les partis de Gauche, effectivement, étaient des partis très structurés, très ancrés dans la formation militante ».
Mieux se former pour militer clandestinement
Faisant une comparaison entre les années de « bouillonnement intellectuel » dans les formations politiques et aujourd’hui, Dr Massirin Savané, détaille qu’au début des années 1970 c’était le temps du parti unique et il fallait s’adapter.
Cela fait qu’un militant non formé était même un danger pour lui-même.
« Au début, il fallait avoir des jeunes idéologiquement bien formés pour un peu mieux booster leur engagement.
Parce que ce n’était pas facile en son temps.
Les combats politiques ont démarré quand on ne pouvait pas être dans un autre parti politique que le parti l’Ups, le Ps. C’était le parti unique. Pour être vigilant il fallait être bien formé. Il fallait être idéologiquement bien armé pour pouvoir mener le combat.
Parce que quand on vous arrêtait, on vous mettait en prison.
On vous torturait », se rappelle le regard plein de fierté Dr Savané. Un parti comme le Pds, 26 ans d’opposition et 12 ans au pouvoir, a aussi tablé sur la formation.
Malick Dieng, le directeur de l’institut libéral de formation supérieure du parti démocratique sénégalais (Pds) justifie la raison d’être de sa structure : « nous sommes en avance, parce que le Président Wade a dit qu’il veut construire une élite à son image. C’est-à-dire travailler à la quête perpétuelle du savoir, parce que ce sont les idées qui gouvernent le monde. Aujourd’hui, si vous n’avez pas les idées qu’il faut, vous ne pouvez pas gouverner » ….
L’électoralisme à la place de l’idéologie
Au fil du temps, ce n’est plus l’idéologie qui prédomine au sein des partis politiques. De plus en plus, les hommes politiques ont mis l’accent sur l’électoralisme, c’est-à-dire avoir beaucoup de militants pour gagner les élections. « Quelle que soit la qualité des militants, maintenant ce qui compte c’est avoir plus de militants pour remporter les élections.
A And-Jef, on était resté dans le sens de former quand même, même si on doit avoir aussi beaucoup de militants.
Parce qu’on a effectivement évolué. On disait auparavant qu’il fallait l’insurrection pour prendre le pouvoir. Après, on a dit que c’était une démocratie bourgeoise. Mais aujourd’hui nous avons compris que pour gagner des élections, il faut beaucoup de militants. Mais nous n’avons pas renoncé à la formation », souligne le Dr Massirin Savané.
Ce dernier reste convaincu que le noyau d’un parti politique « doit être toujours bien formé ».
Toutefois, il reconnait que les principaux partis politiques qui ont plus de militants ont mis l’accent maintenant sur le pragmatisme. « Au lieu de former des jeunes pour faire le travail de construction du parti, maintenant les gens ont mis l’accent sur la recherche de plus de sympathisants et d’électeurs ».
De ce fait, il estime que l’électoralisme fait que les gens mettent maintenant plus l’accent sur toute sorte de militants.
« C’est ce qu’on appelle vraiment l’attachement. Parce que les gens ne croient plus aux idéologies. Parce que nous, nous pensons que tant qu’il y a Etat, il y a idéologie. Parce qu’on même si on ne peut plus parler effectivement de lutte des classes, elle existe sous d’autres formes. Il y a toujours une classe dominante et une classe dominée. Nous continuons quand même à faire la formation des jeunes », tempère Dr Savané.
« Les hommes politiques sont devenus des situationnistes »
Ce même constat est aussi dressé par le professeur Moustapha Samb. Il fait noter qu’aujourd’hui, il y a même une sorte de désuétude du concept de l’idéologie. « Les hommes politiques sont devenus maintenant des situationnistes.
C’est-à-dire qu’ils sont là, ils étudient le terrain, ils s’adaptent pour tirer leurs dividendes.
Et souvent, cette dividende-là, elle est liée à la recherche de postes, au positionnement dans l’attelage gouvernemental », explique le responsable de la formation doctorale au Cesti. A l’en croire, le fait de mettre en avant l’engagement politique au détriment de l’idéologie a entrainé l’émergence « de forces combattantes » à la place de « forces politiques bien formées ».
« Cette manière de voir encourage le raccourci, le fait de choisir le chemin le plus court possible pour accéder au sommet politique.
Les jeunes politiques d’aujourd’hui, sont extrêmement pressés et la formation prend du temps. Apprendre prend du temps, mais il faut apprendre pour mieux servir. La théorie, les grands commentaires n’intéressent plus les gens », constate Pr Samb.
Malgré le contexte de la « star système » peu favorable « aux débats d’idées », le responsable d’Aj-Jëf /Pads, Massirin Savané précise que les « produits bien formés de la Gauche » sont toujours au-devant de la scène politique même s’ils ont rejoint des partis comme l’Alliance pour la République (Apr), le Pds et même le Pastef, actuellement au pouvoir.
Dr Massirin Savané demande aux « grands partis de ne pas délaisser la formation » car, à son avis, « pour construire un pays sur le long terme, il faut comprendre quels sont les enjeux du moment ».
« Si vous devez parler du panafricanisme, il faut que les jeunes comprennent ce que ça veut dire.
Si vous pouvez parler de souveraineté, il faut que les gens comprennent qu’il faut compter sur notre propre force. Il faut que les gens comprennent qu’aujourd’hui, la souveraineté ne doit pas être spontanée. Elle se construit à travers tous les domaines, mais elle ne se déclame pas. Et pour cela, ça demande du temps », insiste le responsable de Aj.
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